Procès sur les exactions de 2009 : les révélations à la barre de l’ex ministre Tibou Kamara

CONAKRY- L’ancien ministre de la Communication du CNDD (Comité National pour la Démocratie et le Développement) en 2009 a livré son témoignage, ce lundi 13 novembre 2023, dans le cadre du procès sur massacre 2009.

A la barre du tribunal criminel de Dixinn, Tibou Kamara a révélé dans les moindres détails les contours du voyage du président Moussa Dadis Camara à Labé où ce dernier a tenu un meeting le 27 septembre 2009 avant de rentrer à Conakry.

Du voyage à Labé, de leur escale dans une station de service à la sortie de la ville de Karamoko Mo Alpha, la proposition qu’il a faite au président du CNDD par rapport à la manifestation projetée par les forces vives le 28 septembre, du fameux appel téléphonique, l’ancien ministre a livré un témoignage digne d’un livre d’histoire. Explications

Voyage à Labé

« Le président s’est rendu à Labé à la demande de la notabilité de cette ville. A Labé, les populations ont réservé un accueil chaleureux et enthousiaste dans la ferveur populaire. Le meeting qui a eu lieu au stade principal de Labé, s’est principalement bien déroulé.

L’idée de médiation avec les forces vives pour éviter la manifestation

Sur le retour, je me souviens qu’on a fait un arrêt à la station de Labé. Le capitaine était avec une troupe à la station d’essence, j’étais plus haut avec le général Sékouba Konaté et d’autres personnes qui faisaient partie de la délégation. C’est à cet endroit que je me suis entretenu avec le général Sékouba Konaté à propos de la manifestation de l’opposition qui était projetée. Je lui ai expliqué que, personnellement, je souhaitais que lui et moi nous en parlions à son tour pour qu’il en parle au capitaine Moussa Dadis Camara parce que les prémisses d’une confrontation se dessinaient avec la détermination de l’opposition et les forces vives de l’organiser vaille que vaille. Le souci des autorités était que la manifestation ne vienne pas troubler l’ordre public et surtout le principe avec une date jugée historique et appartenant à l’ensemble des Guinéens.

Il y a tout aussi la problématique des manifestations où vous avez d’un côté le souci des organisateurs de ces manifestations d’exercer les libertés et droits qui sont reconnus par nos lois et nos textes, et l’autre côté vous avez l’Etat, qui a le souci que bien que ce droit soit reconnu, cette liberté soit consacrée, que ce droit puisse s’exercer dans l’encadrement, dans le respect des autres de manière à ce que la République ne soit pas troublée afin que ces droits puissent s’exercer pleinement.

J’expliquais donc au général Sékouba Konaté mes préoccupations pourtant inconciliables. Nous aurions pu et nous devrions parler avec les organisateurs pour engager leur responsabilité par rapport à l’organisation de la manifestation, pour pouvoir trouver un accord avec eux de manière à ce que nous n’allions pas à la confrontation, et que nous ne tombions pas dans une épreuve de force, à l’issue incertaine. Parce que personne ne peut dire comment finit une épreuve de force. Personne ne peut imaginer dans l’incompréhension et la confrontation, ce qu’ils pourraient en advenir comme on a eu l’amère et dramatique expérience avec les évènements du 28 septembre.

Le général Sékouba Konaté était convaincu par mon argumentaire. Il m’a répondu que lui, n’étant pas politique, comme il aimait le dire, mais il a ajouté : ‘’ je suis d’accord avec toi. Comme le capitaine n’est pas loin, je vais lui demander d’en discuter avec toi et tout ce sur quoi vous serez d’accord, je le serai aussi, c’est vous les politiques, c’est vous qui connaissez mieux le fonctionnement de l’Etat’’. Il avait dit que que c’était la bonne marche, et qu’il allait voir le capitaine pour faire passer ce message de conciliation, de réconciliation de positions tranchées. 

Echange avec Dadis

Je suis allé voir le capitaine Moussa Dadis Camara. Effectivement, je dois dire qu’il a prêté une oreille attentive. Il était un peu sceptique, parce qu’il ne voyait pas les raisons de manifester, les motifs de mécontentement des forces vives, à l’époque si je peux me le permettre qui étaient de très bons partenaires, individuellement et collectivement. Parce qu’ils discutaient au téléphone, il les recevait, parfois un à un. Il était donc étonné des raisons de descendre dans la rue. 

La deuxième chose, il disait qu’il parlait avec certains d’entre eux et que personne ne lui a fait part les raisons de manifester pour ainsi dire qu’il était sceptique et dubitatif. Et comme un chef d’Etat est toujours mieux informé, lorsque vous partagez un avis et l’information que vous recevez avec lui, peut-être qu’il a d’autres éléments qui fondent son jugement et sa conviction. Donc je n’ai pas insisté sur ma proposition parce que je n’ai pas senti une inquiétude particulière chez le président. Il  a la confiance absolue qu’il avait dans ses relations avec les autres forces vives et que pour lui, étaient un rempart contre la bataille rangée entre eux et lui.

Nous sommes rentrés à Conakry tranquillement, la consigne qui avait été donnée était précise : c’est qu’à partir du moment où nous rentrerions de ce voyage excédé, harassé, épuisé, c’était donc de rester à la maison et de profiter du moment. Je donne cette précision parce qu’habituellement le travail se fait la nuit, ceux qui étaient au camp ou aux alentours savent un peu, la nuit commençait le jour, et vice-versa (…).

Donc j’étais couché à la maison dans mon lit, j’ai reçu l’appel du capitaine, me demandant que si c’était possible que je vienne le voir au camp. C’était courtois de sa part de me demander si c’était possible, d’aller le voir. J’ai raccroché et je me suis mis en route. Je suis donc arrivé au camp Alpha YAYA, l’ambiance était morose parce qu’habituellement c’est dans les soirées qu’on travaille, il y a avait une affluence, le pouvoir attire du monde, le camp était devenu comme une agglomération. Et puisque la consigne avait était donnée après le retour, il n’y avait pas assez du monde, je n’ai pas eu des difficultés à arriver au camp.

(…) Lorsque j’ai pénétré dans son appartement, le capitaine n’avait même pas de béret, il était extrêmement fatigué, c’est comme s’il sortait à peine, et je me suis dit que peut-être compte-tenu des informations sans doute qu’il avait reçues par rapport aux préparatifs de la manifestation. De toutes les façons il n’était pas en tenue de travail, et n’était pas derrière son bureau.

L’appel téléphonique à Sidya Touré, leader de l’UFR

Donc il s’est rappelé de la discussion qu’on a eue, à Labé, de ce que j’avais fait comme observation, et cela intéressait que nous refassions la discussion. C’est ce que nous avons fait et à la fin il était d’accord d’appeler les organisateurs de la manifestation, pour trouver un accord sur les conditions et les modalités de l’organisation de leur manifestation. C’est à sa demande, ce n’est pas moi qui en ai pris l’initiative d’appeler qui que ce soit, c’est à sa demande que j’ai appelé l’ancien premier ministre, le président de l’UFR (union des forces républicaines) monsieur Sidya Touré. Je précise à ce stade que ce n’était pas la première fois que j’appelais quelqu’un pour le président Moussa Dadis Camara. Pour ceux qui l’ont connu, rarement lui-même utilisait son téléphone. Son téléphone était presque tout le temps fermé, il l’ouvrait lorsqu’il s’agissait d’appeler un proche, une tiers personne de son choix, mais sinon pour la plupart du temps c’est par les téléphones de ses collaborateurs que nous parvenions à rentrer en communication avec lui. (…)

J’ai donc appelé le président Sidya Touré et lui ai dit, ne quittez pas, je passe le Président.  Le capitaine a entamé la conversation  par les civilités habituelles, et ensuite il a dit à Sidya qu’il était d’accord que la manifestation ait lieu, mais qu’il avait deux points sur lesquels il voulait discuter avec lui :  le premier point c’est la date du 28 septembre. Il a estimé qu’à partir du moment que c’est une date historique, réservée à la mémoire des Guinéens et étant une fête qui avait permis de célébrer la fierté recouvrée, qu’il souhaitait qu’on épargne à cette date des conflits liés à des protestations, manifestations et qu’après le 28 septembre n’importe qu’elle autre date du choix des organisateurs était agrée par lui pour faire leur manifestation.

La deuxième chose qu’il a demandée, c’est de délocaliser la manifestation du 28 septembre vers le stade de Nongo. Si mes souvenirs sont bons, c’est parce qu’à cette époque-là le stade du 28 septembre était en rénovation ou accueillait des travaux en prélude d’un match international, bref il a souhaité que la manifestation n’ait pas lieu à cet endroit parce que ce n’était pas approprié pour la circonstance.

Monsieur Sidya Touré a expliqué que l’heure était un peu tardive et qu’il aurait été difficile à une heure si tardive de pouvoir discuter avec les co-organisateurs de la manifestation et les convaincre à un report parce qu’on n’était plus qu’à quelques heures de la tenue de leur manifestation. Et la deuxième chose, Sidya Touré a voulu rassurer le capitaine Dadis que la manifestation sera pacifique et que de toutes les façons ce qu’ils ont prévu dans leur programme c’est de venir rencontrer les militants, prononcer leurs discours et qu’après ils vont repartir…

La dernière tentative d’un appel téléphonique de la dernière chance

Le capitaine a demandé encore de reporter la marche à une date ultérieure et de bien vouloir délocaliser la manifestation au stade de Nongo, mais j’ai vu que l’appel a été interrompu. Le capitaine m’a remis le téléphone pour rappeler encore monsieur Sidya, je l’ai rappelé. Ils ont refait la même conversation sur les mêmes termes. Et ensuite, une nouvelle fois le téléphone s’est coupé. Quand le capitaine m’a donné le téléphone pour rappeler une seconde fois, le téléphone de monsieur Sidya Touré ne passait plus parce qu’il était éteint. Je ne pouvais pas dire au capitaine que le téléphone de Sidya Touré était éteint, j’ai simplement dit que ça ne passait plus, qu’on va essayer d’appeler d’autres organisateurs de la manifestation. On a essayé avec Cellou Dalein Diallo (président de l’UFDG) et avec d’autres, mais une coïncidence, aucun des numéros ne passait. Finalement, on n’arrivait plus à joindre personne. A cet instant, moi j’ai vu le président Dadis un peu déçu de n’avoir pas trouvé un accord, mais il y avait encore de l’espoir, parce que malgré cette tentative qui n’avait pas abouti, le lendemain, il était question que les chefs religieux prennent la relève pour continuer les discussions avec les forces vives de manière à parvenir à un consensus.

C’est dans cette optique d’ailleurs que les chefs religieux se sont rendus très tôt dans la matinée du 28 septembre pour rencontrer  Jean Marie Doré, ( ancien premier ministre et président de l’UPG ndlr), et d’autres leaders à son domicile. La rencontre a bel-et-bien eu lieu mais je ne peux dire ce qu’il en a été, puisque je n’étais présent ni témoin de la scène. Mais je connais l’esprit qui a prévalu à la rencontre entre ces leaders et les chefs religieux, c’était de continuer les discussions ou médiations entamées la veille parce que la discussion entre le président Dadis et monsieur Sidya Touré n’était pas allée à son terme la nuit du 27 septembre (…) », a détaillé l’ancien ministre  de la Communication du CNDD en 2009.

Nous y reviendrons !

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 628 84 13 73

Créé le 13 novembre 2023 19:36

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