L’interview « vérité » de maître Mory Doumbouya, ex garde des sceaux: « Évitons les contestations inutiles… »

CONAKRY-Il avait enlevé sa robe d’avocat à cause des charges dans l’administration. D’abord en tant qu’Agent Judiciaire de l’Etat, ensuite ministre de la Justice, jusqu’au coup d’Etat du 05 septembre 2021. Maitre Mory Doumbouya a de nouveau enfilé sa toge et a signé son retour devant les prétoires. Il vient de défendre un dossier sensible devant le tribunal criminel militaire permanent de Conakry. L’affaire de vol d’armes survenu au Camp de Sarmoréyah dans laquelle le nom de l’ex chef d’État-major Général des armées avait été cité.

Comment ce procès tenu à huis clos s’est-il déroulé ? Quelles sont les articulations du verdict ? Pourquoi le Général Sadiba Koulibaly a-t-il été blanchi ? Comment son intégration a-t-elle été rendue possible ? Quels sont ses rapports avec l’ancien Président Alpha Condé ? Maitre Mory Doumbouya parle sans détours. Dans cet entretien, il revient également sur les accusations de malversations présumées portées contre lui ainsi que contre d’autres anciens dignitaires du régime déchu. Entretien exclusif.

AFRICAGUINEE.COM : Le Tribunal militaire de Conakry vient de rendre son arrêt sur l’affaire de vol d’armes survenu au Camp de Samoreah de Kindia. Pourriez-vous nous en dire plus sur les articulations de ce verdict ?

MAITRE MORY DOUMBOUYA : Effectivement, nous sommes intervenus dans ce dossier. Je n’étais pas seul, il y avait d’autres confrères à mes côtés pour assurer la défense de quatre accusés militaires et un civil. Soit au total cinq accusés poursuivis pour des faits extrêmement graves : vol aggravé, transfert illicite d’armes, complicité, blanchiment de capitaux et financement du terrorisme. Les investigations préliminaires ont été faites par la brigade des investigations de la gendarmerie, communément appelée Direction centrale des investigations judiciaires. Et suite à ces investigations, le parquet du tribunal militaire a décidé de l’ouverture d’une information pour tirer au clair les tenants et les aboutissants de ce dossier rocambolesque. Le juge d’instruction a été saisi du dossier, des enquêtes ont été approfondies à ce niveau et au terme de l’instruction, une ordonnance de renvoi a été rendue pour renvoyer l’ensemble des accusés devant le tribunal criminel permanent des forces armées de Conakry.

Nous avons, en tant qu’avocat de la défense, au même titre que nos confrères de la partie civile, reçu des cédules de citation et l’audience publique a été programmée début mai. Les débats ont commencé, nous ne nous sommes pas attardés de trop sur des questions de procédures. Les débats au fond ont permis de passer au crible, l’ensemble des faits incriminés et au terme des débats, le tribunal a provoqué des réquisitions et des plaidoiries. Les représentants de l’Etat (les parties civiles qui ont été déléguées pour défendre les intérêts de l’agent judiciaire de l’Etat), ont présenté leurs plaidoiries. Le parquet militaire a présenté ses réquisitions, la défense a plaidé. Le procès a été mis en délibéré pour décision être rendue le lundi 3 juillet passé.

Effectivement, les juges ont tenu leur agenda, puisque, à la date indiquée, nous sommes venus dans la salle d’audience, au tribunal militaire et la formation du jugement a vidé son délibéré. Les peines varient de 10 ans à 1 an. Le civil qui comparaissait comme co-accusé, a été relaxé pour délit non constitué. Et les quatre accusés qui ont été condamnés pour un an, les peines prononcées contre deux des quatre, étaient assorties d’une mesure de 7 mois pour terme de sursis. Donc, sept mois assortis de sursis sur 1 an.

Les deux autres, dix ans pour le principal concerné, un an pour un autre accusé militaire, sans mesure de sursis. Le tribunal n’a pas occulté les intérêts de l’Etat guinéen. Puisque nos confrères de la partie civile avaient présenté des demandes de réparation, ramenant les demandes à leur juste valeur. Le tribunal a condamné l’ensemble des accusés au payement en faveur de l’Etat, la somme de 1 milliards 500 millions au titre des réparations. Autre mesure, c’est la confiscation des armes saisies au profit de l’Etat guinéen. Tels sont les temps forts ayant sanctionnés la délibération des juges dans ce dossier.

Le nom du général Sadiba Koulibaly, ancien chef de l’état-major général des armées, avait été cité dans cette affaire par un des prévenus. Nous apprenons qu’il a été blanchi. Comment les débats se sont-ils déroulés pour aboutir à cette conclusion ?

En ce qui me concerne, par débats de rue, j’avais entendu que l’ancien chef d’état-major général des armées, le général Sadiba Koulibaly serait impliqué dans ce dossier. De sorte que, quand les contacts des accusés étaient venus au cabinet pour nous constituer, j’avais encore à l’idée, qu’elle serait l’étendue d’une implication de ces officiers dans ces faits. Je m’étais posé beaucoup de questions, parce que je m’étais dit, comment, pour ces genres de pratiques, un officier pouvait tirer les ficelles, au point de mettre au premier plan, des sous-officiers et des soldats. Je m’étais dit que si tel était le cas, nous aurions au niveau de la défense, du pain sur la planche. Mais très heureusement, nous nous sommes aperçus à l’ouverture des débats, que le général Sadiba Koulibaly n’était ni poursuivi, ni renvoyé, par le simple fait qu’il n’avait aucune connexion avec les agissements des accusés. Ce sont nous, les avocats de la défense, qui avions demandé avec insistance, nonobstant les réserves du parquet militaire, au tribunal d’ouvrir une parenthèse pour clarifier cet aspect-là. Au niveau de la défense, nous étions curieux de savoir effectivement si général Sadiba Koulibaly, avait tirer les ficelles de tous ces agissements. S’il était derrière des agissements des accusés.

Au terme des débats menés, autour d’une éventuelle participation du général Sadiba Koulibaly, nous sommes parvenus à la conclusion qu’il n’était ni de près, ni de loin, impliqué dans les faits incriminés. Cet officier supérieur est resté égal à lui-même. Je me serais dit personnellement, que c’était le début d’une véritable déliquescence de l’appareil d’Etat, si des débats nous avaient permis de relever que cet officier général était impliqué dans les faits. Mais la leçon à retenir sur ce point, est que simplement, le nom de cet officier avait fait le tour de la ville sur la base des informations non vérifiées et qui n’ont pas pu résister aux débats du prétoire.

Pour conclure mes propos sur ce point, retenez qu’à date, ni du côté des avocats de l’Etat, ni du côté du parquet militaire, à fortiori nous les avocats de la défense, personne, même si vous provoquer un débat contradictoire entre les trois parties, personne n’est parvenue à sortir même une aiguille de preuve contre le général Sadiba Koulibaly. Sinon, s’il existait tant soit peu, des éléments corroborant ces fausses informations, le parquet militaire aurait pris toutes ces responsabilités et le général aurait été poursuivi, conformément à la procédure applicable en cas de poursuite contre un officier supérieur ou un officier général. Mais dans une certaine proportion on s’était aperçu que pour une question de sagesse, il n’était pas nécessaire de nous éterniser sur des débats liés à une quelconque implication du général Sadiba Koulibaly.

Revenons sur votre cas. Il y a longtemps que vous vous êtes éloigné des prétoire des tribunaux à cause des charges dans l’administration. D’abord, en tant qu’agent judiciaire de l’Etat, et ensuite ministre de la justice. Vous avez repris le service. Comment cette reprise se passe-t-elle ?

Avec fierté et honneur. C’est en quelque sorte, le retour à la source. Comme dirait le célèbre écrivain Aimé Césair, dans « le Cahier d’un retour au pays natal ». C’est vrai, à un moment, j’avais assuré des charges publiques, mais je savais que ces charges étaient temporaires et qu’un jour, ces missions prendraient fin. On n’est pas nommé à un poste électif ou nominatif de manière permanente. C’est juste un temps puisque la logique voudrait qu’il y ait une alternance dans la gestion administrative des affaires publiques. Que tous les guinéens soient placés dans les mêmes conditions.

Suite aux événements du 5 septembre, j’ai écrit deux semaines après, à monsieur le bâtonnier de l’ordre des avocats de prendre acte de mon retour à la maison. Et pendant tout ce temps, je n’avais pas fermé ce cabinet qui a continué à exister. Il fallait s’attendre à ce qui est arrivé, même si ce n’était pas prévisible, mais il fallait s’attendre à la fin de cette mission, d’une manière ou d’une autre. Ma demande donc de reprise des activités a été sanctionnée par une délibération du conseil. J’ai eu l’autorisation et le feu vert du bâtonnier. C’est ce qui fait que je ne tiens ni compte de cette antérieure, encore moins d’une quelconque option de privilège. Je continue de faire le tour des tribunaux pour assurer la défense des personnes, qui continuent encore à me faire confiance.

Beaucoup de choses ont été dites depuis le coup d’Etat du 5 septembre. Votre nom ainsi que ceux de plusieurs anciens dignitaires ont été cités dans des affaires présumés de malversations. Comment vous avez vécu tout ça ?

En tant que croyant d’abord, il fallait laisser le temps au temps. Nous sommes dans une république, le temps est en train de clarifier beaucoup de choses pour nous. Je pense bien que l’horizon s’éclairera davantage. En tout cas, je pense avoir servi avec fierté, la république. Je suis aujourd’hui dans mon milieu professionnel, je continuerai à agir dans le même cadre, sans à priori, parce que pour moi la Guinée, c’est notre maison commune. Nous devons nous battre pour préserver les acquis démocratiques. Et de faire en sorte que la Guinée demeure un pays émergent. Et que l’émergence entamée par nos frères du Sénégal et d’autres pays nous inspirent davantage et que nous sortions des egos pour faire face aux défis du développement.

Est-ce qu’à la lumière des enquêtes menées, l’accusation a abouti à un non-lieu vous concernant ?

Il faut laisser tout cela à la discrétion des jugesLes juges sont les seules habilités à se prononcer sur de telle question. Une accusation n’est pas synonyme de condamnation, une accusation ne signifie pas que quelqu’un est jeté en pâture. En terme ordinaire, une accusation signifie qu’il existe des soupçons autour de tel ou tel fait, alors donnez-nous la possibilité de vérifier. Qui vérifie ? C’est l’autorité judiciaire, en l’occurrence les magistrats. C’est à eux de statuer sans désemparer sur les causes qui leurs sont soumises et de dire au peuple, c’est notre intime conviction en terme de décision juridictionnelle par rapport à n’importe quelle situation. La Guinée ne ferait pas une exception dans ce domaine.

Vous êtes l’un des hommes de confiance de l’ancien président Alpha Condé, aujourd’hui contraint à l’exil. Comment appréhendez-vous son sort après 10 ans à la tête de l’Etat guinéen ?

Je préfère ne pas ouvrir de débat sur cette question, parce que je me suis réinstallé en tant qu’avocat. Je préfère évoluer sur des questions judiciaires. Le débat politique relevant d’une autre tribune, devrait pouvoir se mener ailleurs. Permettez que je réponde à des questions d’ordre judiciaire. Je reste avocat, si je décide de m’investir dans un autre domaine même par reconversion, je m’exprimerais avec aisance.

Êtes-vous en contact avec Alpha Condé ?

Vous savez, le contact n’est pas forcément physique. Je ne suis pas en mesure aujourd’hui de vous dire si je suis en contact ou pas avec lui, parce que moi je suis à mon cabinet. Le président Alpha Condé qui se trouve ailleurs n’est pas obligé de me contacter. Mais cette période, il faut laisser le temps au temps. Je préfère m’occuper de mes activités. Le professeur Alpha Condé est mieux averti. Et je pense que les activités politiques le concernant se passent dans le cadre global des activités de son parti. Les responsables du parti son mieux placés pour dire comment les choses se déroulent du côté du président Alpha.

Auriez-vous un dernier message à passer ?

Un message d’unité, de paix, de tolérance et d’acceptation dans la diversité. Nous sommes des guinéens. Personne n’a effectué des prières pour qu’il naisse guinéen, mais en réalité, ayons comme priorité, le développement de ce pays. Évitons les contestations inutiles, tournons-nous vers l’essentiel. De toute façon, sans le concours de l’ensemble des guinéens, aucun camp ne fera avancer ce pays à lui seul. La Guinée ne se développera qu’avec l’unité de ses fils. Donc je rêve d’une Guinée pacifiée, unie et une Guinée émergente qui va continuer à siéger au concert des nations en tant qu’Etat responsable.

Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo

En collaboration avec Boubacar 1 Diallo et Dansa Camara

Créé le 7 juillet 2023 09:00

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