Foncier et conflits domaniaux : les confidences de maître Thierno Souleymane Baldé…

Maître Thierno Souleymane Baldé

CONAKRY-Comment les problèmes fonciers sont-il gérés en République de Guinée ? Que dit la loi sur le droit foncier ? L’Etat a-t-il le droit de vendre des domaines à des particuliers ? Dans quelles conditions et comment l’Etat peut-il exproprier un domaine à un particulier ? De toutes ces questions et tant d'autres, maitre Thierno Souleymane BALDE, avocat au barreau guinéen répond sans détour.

Dans cette interview qu'il nous accordé, cet homme de droit prodigue également des conseils aux citoyens qui veulent acheter des terrains, pour ne pas être en conflit avec la Loi. Exclusif !!!

AFRICAGUINEE.COM : Parlez-nous du droit foncier guinéen ?

MAITRE THIERNO SOULEYMANE BALDE : Il y a des domaines publics et il y a des domaines privés. Quand vous prenez le code foncier et domanial au niveau de l’article 1, il est dit l’Etat ainsi que les autres personnes physiques et morales privées, peuvent être titulaires du droit de propriété sur le sol et les immeubles qu’ils portent et l’exercer selon les règles du code civil. Cela signifie tout simplement que le droit de propriété confère à son titulaire la jouissance et la libre disposition des biens qui en font l’objet de la manière la plus absolue. Il peut y avoir des domaines qui appartiennent à l’Etat comme il peut y avoir des domaines qui appartiennent aux citoyens c’est-à-dire les personnes physiques. Selon les circonstances, l’Etat peut disposer de ces biens comme les particuliers. Mais quel que soit le scénario, il y a des règles spécifiques qui définissent les conditions dans lesquelles il peut y avoir un transfert de propriété. Sans le respect de ces règles il peut y avoir des conflits avec la loi et des problèmes qui peuvent éventuellement surgir entre l’acquéreur et le cédant. C’est la raison pour laquelle, il est fondamental de respecter les dispositions qui sont contenues à la fois au niveau du code civil mais aussi au niveau du code foncier et domanial.

On constate souvent qu’il y a des hauts commis de l’Etat qui s’approprient des domaines de manière illégale que ce soit des domaines publics ou privés. Selon vous cela est dû à la faiblesse de l’Etat ou une simple violation de la loi ?

C’est les deux à la fois. Les règles sont faites pour être respectées. Nous ne pouvons pas vivre au sein d’une société sans qu’il n’y ait des règles qui définissent les relations à la fois entre l’Etat et les citoyens et entre les citoyens eux-mêmes. Si effectivement l’Etat a le droit de disposer de certains domaines publics, la loi définit exactement dans quelle condition. Si vous prenez un cas assez fréquent au niveau de Conakry ici, vous avez les domaines maritimes c’est-à-dire les domaines qui longent le bord de la mer. Ce sont des domaines qui appartiennent à l’Etat. Les citoyens ne peuvent pas en disposer librement pour des raisons bien déterminées. Mais qu’est-ce que nous voyons ? Il y a beaucoup de citoyens en complicité avec les autorités de l’habitat qui viennent mettre la terre, ce qu’on appelle communément le remblaie et puis construire. Ils vont des fois jusqu’à atteindre la mer. Cela peut entrainer des dégâts assez importants parce qu’il va y avoir toujours des risques d’inondations causées par le blocus des passages de l’eau et les intempéries qui proviennent de la mer. Les domaines publiques peuvent être gérer à différent niveau.

Il y a par exemple des domaines qui sont gérés par les différentes communes selon les règles qui définissent le code des collectivités. Il peut y avoir des domaines qui appartiennent aux sociétés mixtes. Si vous prenez l’ancienne SOTELGUI qui avait des domaines un peu partout à travers le pays était une société anonyme avec un conseil d’administration. Il peut y arriver des fois qu’il y ait une nécessité de se séparer de certains domaines pour des questions de rentabilité. Mais là aussi les règles sont bien déterminées, il faudrait d’abord qu’il y ait une justification et suivre les règles qui sied. Il faut qu’il y ait un appel d’offre ou bien une vente aux enchères et un montant préalable doit être déterminé au niveau des valeurs de la vente et dans certains cas si cette valeur n’est pas atteinte, ils peuvent décider d’annuler la vente. Si ce n’est pas dans ce cas de scénario, l’Etat ne peut pas disposer du domaine public. Actuellement il y a beaucoup d’occupations illégales du domaine public. Mais vous verrez le jour où il y aura un gouvernement responsable qui décide de veiller à ce que la loi soit appliquée correctement et que les biens de l’Etat soient gérés d’une manière transparente et équitable, l’Etat finira par récupérer ces domaines qui ont été acquis illégalement.

Maintenant en ce qui concerne les domaines privés, là aussi la constitution du 7 mai 2010 est claire : la propriété est sacrée. Même l’Etat ne doit pas toucher sauf s’il est question d’utilité publique. Si par exemple l’Etat veut construire une école, un hôpital ou une route, dans ces conditions-là l’Etat peut décider d’exproprier mais en payant au préalable une indemnisation juste et équitable qui tient compte de la valeur réelle du domaine qui doit faire l’objet d’expropriation. Si ce n’est pas dans ce cas de figure, la propriété privée doit être protégée et préservée à tout prix. Donc voilà les scénarios dans lesquels l’Etat peut décider de disposer de certains biens. Et des scénarios dans lesquels il est strictement interdit à l’Etat de procéder à des ventes à des particuliers qui lui sont proches et dans certains cas leurs propres familles comme c’est le cas souvent ici en Guinée. Ils peuvent le faire maintenant, mais le jour où il y aura un gouvernement qui va décider de veiller à la préservation des biens publics et l’application correcte de la loi, ces biens-là vont revenir à l’Etat.

Voulez-vous dire que tous ceux qui ont acheté des terrains dans les domaines réservés de l’Etat peuvent un jour ou l'autre s'attendre à une expropriation ?

Bien sûr. Vous avez vu des exemples dans la période du régime de feu Général Lansana Conté où certains domaines qui appartenaient à l’Etat ont été vendus à des particuliers. Mais lorsque le CNDD (conseil national pour la démocratie et développement) est arrivé au pouvoir, ces domaines ont été récupérés. De la même manière, il y a beaucoup de domaines actuellement qui sont occupés par des proches du président et il y a certains même qui datent aussi au temps du président Lansana Conté. Mais le jour où il y aura un gouvernement responsable, ils vont récupérer tous les domaines. Ceux-là qui auront acheté ces domaines l’auraient fait à leur propre préjudice.

Est-ce qu’on peut avoir une idée sur ces domaines réservés de l’Etat et qui sont occupés par des particuliers ?

On a des exemples ici et à l’intérieur du pays. Il y a par exemple des domaines qui font l’objet d’inscription des domaines réservés de l’Etat. Des fois c’est des forêts, des fois c’est un domaine où l’Etat veut par exemple construire des édifices publics. Comme des écoles, des centres de santé, des hôpitaux, des routes, beaucoup d’autres utilités publiques. Mais il y a des fonctionnaires qui sont corrompus, qui essayent de changer le statut de ces domaines pour pouvoir les vendre à des particuliers. L’existence de ces biens est connue non seulement au niveau du quartier, mais aussi au niveau des autorités locales et nationales. Donc le moment venu, il sera question de les identifier et puis essayer de les récupérer.

Est-ce qu’on peut faire allusion à Koloma 2 et Soloprimo qui a été déguerpis l’an dernier ?

La loi est assez claire, lorsqu’il y a un bien immobilier qui appartient à un particulier, l’Etat a le droit d’exproprier le particulier mais il faut payer une indemnité qui est juste et équitable au préalable avant l’expropriation. Donc si c’est le cas, le particulier ne peut rien dire puisque c’est une question d’intérêt général, c’est une question d’utilité publique. Mais si le particulier exproprié alors qu’il a un droit de propriété absolu sur le domaine et que ces conditions-là ne sont pas remplies, il est tout à fait dans ses droits de contester cette expropriation devant les juridictions compétentes pour obtenir gain de cause. Mais nous savons actuellement comment fonctionne notre justice, il y a vraiment cette question d’indépendance qui joue beaucoup. Lorsque l’Etat est impliqué, il y a très peu des magistrats qui ont le courage de dire le droit rien que le droit. Mais cela ne va pas perdurer indéfiniment. Un jour ou l’autre nous avons l’espoir qu’il y aura un gouvernement qui va veiller à ce que la constitution et les différentes dispositions qui régissent la vie de notre société soient strictement appliquées, cela indépendamment de la personne concernée ou bien de la circonstance.

On voit souvent dans les périphéries de Conakry, Dubréka et Coyah où il y a d’énormes conflits domaniaux où les chefs de quartiers sont impliqués dans la vente des terrains. Que dit la loi là-dessus ? Qui doit réellement réglementer ce secteur ?

La loi est assez claire : L’article 39 du code foncier et domanial définit justement la procédure. Nous parlons aujourd’hui de la loi mais n’oubliez pas qu’il y a le droit coutumier. Il y a des décennies avant, il y a beaucoup de domaines qui ne faisaient pas l’objet de lotissement. Quand vous prenez au-delà de Conakry c’est-à-dire l’intérieur du pays, il y a beaucoup de domaines qui appartiennent à des particuliers, mais qui ne sont pas lotis. Mais quel que soit le citoyen concerné il sait à qui appartient ces domaines. Donc, s’il y a quiconque qui veut les utiliser il faudrait d’abord avoir le consentement préalable des propriétaires ou bien des héritiers et il n’y a pas un papier en tant que tel qui sanctionne la propriété.

C’est la raison pour laquelle au niveau du code foncier, il est prévu les différentes catégories qui sanctionnent la propriété. Il y a les personnes physiques ou morales qui sont titulaires des titres fonciers. Quand vous avez un domaine déterminé, il y a lotissement, il y a les différents éléments qui sont établis pour indiquer d’une manière claire et nette à qui appartient le domaine en question. Et le titre de propriété qui est défini c’est ce qu’on appelle le titre foncier. Il y a ensuite les occupants que ce soit les personnes physiques ou morales qui sont titulaires du livre foncier qui va leur permettre d’habiter ou d’autoriser dans le domaine. Ça existait depuis très longtemps. Il y a des occupants, personnes physiques ou morales qui peuvent justifier une occupation paisible personnelle et continue de bonne foi d’un immeuble à titre de propriétaire pendant un certain nombre d’années, ils payent les taxes fonciers et puis ils ont mis en valeur la propriété. Donc ils le font pendant une certaine période qu’ils acquièrent la propriété.

Maintenant au-delà, il y a des domaines qui ne font pas l’objet de lotissement mais on sait exactement à qui ou à quelle famille ce domaine appartient. A quelle personne physique ? Et si vous voyez que ce soit à Conakry ici ou à l’intérieur du pays on parle assez souvent d’acte de donation, de certificat ou à des donations qui sont livrées justement par le chef de quartier mais avec le consentement à la fois du propriétaire et puis de l’acquéreur. Il y a le cédant et le cessionnaire qui viennent devant le chef du quartier : il faut apporter les photos, des témoins, indiquer le prix, la superficie et que ce soit attesté par les différentes parties concernées que cette propriétés-là appartient à la famille ou aux personnes concernées. Et cela depuis des décennies et des décennies. Généralement lorsqu’il y a des propriétés qui appartiennent à des familles autochtones, ce sont les cas de figures qui peuvent se présenter. Sans cela, ceux-là qui ont acquis les parcelles pour une raison quelconque, à un moment donné qui décident de les revendre, il faudrait qu’ils disposent d’abord les documents qui attestent effectivement qu’ils sont propriétaires. Là il y a un transfert de propriété, mais si ce n’est pas dans ce cas de figure aucune personne n’est autorisée à aller occuper un domaine qui ne lui appartient pas ou bien qui appartient à autrui.

Qu’est-ce qui explique alors ces conflits domaniaux récurrents selon vous ?

Il y a assez souvent des problèmes qui se posent pour une simple raison. Il y a des propriétés qui sont vendues à deux, trois, quatre voire cinq personnes d’une manière illégale. Chaque propriétaire vient revendiquer la propriété, donc cela pose des problèmes. On a certains citoyens qui sont vraiment indélicats, qui sont de mauvaise foi et qui essayent justement d'induire en erreur les potentiels acquéreurs, ils vendent à une personne ensuite à une autre personne ainsi de suite. Donc cela pose énormément des problèmes surtout nous savons qu'au niveau du registre foncier il n’y a pas en fait une gestion transparente et adéquate. S’il y avait une gestion transparente et adéquate du registre foncier cela n’allait pas poser problème puisqu’ailleurs dans d’autres pays quand vous venez vous décidez d’acquérir un bien immobilier, il est inscrit sur le fichier général. Quelle que soit les circonstances, aucune autre personne ne peut venir acquérir la même propriété. Il y a ces cas de figure qui se présentent où les propriétaires vendent à plusieurs particuliers le même domaine.  

Ensuite il y a certains cas dans lesquels les chefs de quartiers en complicité avec des propriétaires essayent de délivrer des documents à des différentes personnes sur la même parcelle. En fin de compte il y a certains cadres véreux qui essayent de passer par des manœuvres frauduleuses pour changer le statut d’un domaine public afin de le céder à des particulier, on a vu des cas où même où c’est des fonctionnaires qui viennent essayer de s’accaparer des domaines qui appartiennent à des particuliers alors qu’ils n’en avaient absolument aucun droit. Tout ça est dû au disfonctionnement malheureusement de notre justice puisqu’il y a l’impunité qui règne en maitre absolu, mais aussi à la mauvaise gestion du fichier qui, à mon avis n’existe même pas. A cela s'ajoute la mauvaise gestion du domaine à la fois public et privé. Puisqu'on devrait vraiment avoir un fichier général qui puisse être répertorié sur l’ensemble du domaine public et privé, qu’il y ait des informations assez précises par rapport à chaque propriétaire. Si vous prenez dans certains pays, il y a des propriétés qui existent ça fait six ou sept siècles, mais chez nous ici il y a beaucoup d’efforts à faire pour arriver à assainir la gestion du domaine foncier.

Quel conseil avez-vous à donner aux citoyens qui veulent acheter des terrains et construire pour leurs familles ?

Il faut vraiment prendre toutes les précautions nécessaires. Vérifier d’abord au niveau des autorités locales et le voisinage. Vérifiez si le domaine en question appartient à quelqu’un d’autre ou pas. Ensuite aller vérifier au niveau des autorités locales par exemple au niveau de la commune, du gouvernorat, au niveau du cadastre général si effectivement il n’y a pas un titre foncier au nom d’une personne donnée avant d’acheter. Il ne faut jamais venir voir un domaine déterminer, acheter sans d’abord mener toutes les enquêtes de moralités préalables. Et surtout déterminer si ces domaines appartiennent à quelqu’un ou pas. Et une foi que vous achetez un domaine déterminé, veuillez à établir tous les documents légaux immédiatement : le certificat, le plan de masse, le certificat du titre foncier etc. Ensuite, établir tous les documents et les mettre à côté, comme ça même s’il y a un conflit si vous avez tous les documents en question ça pourra vous permettre de faire valoir votre droit de propriété et éventuellement gagner. Mais si vous n’avez aucun papier ou bien il y a des papiers qui sont antérieurs aux vôtres il vous sera assez difficile d’obtenir gain de cause devant les différents tribunaux.

Quels domaines faut-il acheter sans avoir des soucis après ?

Il y a des domaines qui ne peuvent pas être l’objet de vente. Par exemple il y a des domaines où il est prévu le passage d’une route ou bien d’un chemin de fer ou la construction d’une école, d’un centre de santé, c’est des domaines réservés donc si quelqu’un vient acheter une parcelle qui est dans ces domaines il va de soi que la personne le fait à ses risques et périls. Même au niveau de l’établissement du document, la personne dans les conditions normales, ne pourrait pas avoir des documents légaux. Mais nous savons avec la corruption qui sévit en Guinée, les gens sont capables de faire tout : même établir des certificats de décès pour une personne qui est vivante. Mais les gens qui le font, ils le font à leurs risques et périls. Il y a des endroits où dans les conditions normales, l’Etat ne peut jamais délivrer un permis de construire. Puisque si la loi est respectée, même si le domaine vous appartient et que vous voulez construire, il faut d’abord demander une autorisation préalable au niveau des autorités concernées notamment celles-là qui sont chargées de gérer toutes les questions liées à l’habitat. Sans ces autorisations, vous ne pouvez pas construire même modifier. Dans certains pays, même si vous avez un arbre planté dans votre cours, que vous voulez couper même si c'est une branche, vous ne pouvez pas le faire sans l’autorisation des autorités concernées. Donc il faut que les gens essayent de se renseigner et surtout qu’ils ne puissent pas acquérir un domaine dont à long terme, ils ne pourraient pas avoir le droit de jouir paisiblement. S’ils le font, ce serait à leur propre détriment.

Interview réalisée par Oumar Bady Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 666 134 023

Créé le 21 août 2020 17:08

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