Transition de 2009 avec Dadis Camara : Doura Chérif livre des secrets…

Maître Doura Chérif

CONAKRY- Que s’est-il passé en 2009 lors du procès des narcotrafiquants ? Maître Doura Chérif, ce magistrat qui avait dirigé les débats a accepté de faire des témoignages. Au micro de nos deux journalistes, le magistrat qui s’est reconverti en avocat a livré certains secrets de la transition dirigée par Dadis Camara. 

A travers cette interview, Maître Doura Chérif adresse également un message à l’endroit des autorités. 

 

AFRICAGUINEE.COM : Vous aviez conduit sous le règne de la junte de Moussa Dadis Camara le procès des narcotrafiquants dans lequel de gros bonnets étaient impliqués. Parlez-nous-en…

Ce procès aussi était très important. Vous avez souligné aussi quelque chose de très important; il y avait de gros bonnets derrière ce dossier. Je vous dirai que le président Dadis Camara et le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD, junte) avaient mis aux arrêts 107 personnes. Sur les 107 ils n’ont pas livré 20 personnes à la justice. Donc ils libéraient qui ils veulent. Au niveau du Gouvernement, au niveau de tous les responsables c’était des interventions qui ont fait que beaucoup se sont retrouvés dehors, il y en a qui sont décédés. Disons qu’on a détruit, on a cassé le procès, on a détruit le dossier. Par après ils ont voulu trouver des boucs émissaires par la voie politique, le mensonge, la félonie des politiciens. Et on veut rendre les juges responsables de cette situation. Voilà ce qui est arrivé. Ce qui fait qu’aujourd’hui il y a beaucoup qui sont dans les rouages de l’Etat qui étaient mêlés à cette situation. Comment les avions pouvaient venir à Boké débarquer des choses sans que l’Etat n’intervienne ? Et aujourd’hui on essaye de trouver les boucs émissaires pour dire c’est tel magistrat ou un autre qui a libéré. Non aucun magistrat n’a libéré personne. Ce sont eux les politiciens, eux qui cherchaient à devenir quelque chose dans le pays qui ont libéré, ce ne sont pas les magistrats. Il faut que cela soit clair, que l’opinion le sache, les magistrats n’ont libéré aucun détenu dans ce dossier-là.

Au-delà des politiciens, il y a aussi de hauts responsables de l’armée qu’on a vu défiler  devant la barre…

Mais bien sûre ! Comme je vous l’ai dit il était difficile d’aboutir à un résultat heureux dans cette affaire. Parce que simplement il y a eu beaucoup de personnes pour piétiner la procédure, cacher  les  faits, protéger les délinquants et pour les mettre parfois dehors, voilà la réalité.

Est-ce qu’il vous est arrivé une fois dans ce dossier de penser à  l’abandonner vu que vous n’aviez pas tous les leviers de commande ?

Non ! Moi j’ai fait ce que j’ai pu ou la cour a fait ce qu’elle a pu.  Il y a eu des condamnations. Abandonner serait un déni de justice, ce qui n’est pas normal pour un juge. C’était pour éviter le déni de justice qu’on a conduit le procès jusqu’à sa fin, il y a eu une décision de justice, c’est ça qui est important. C’est ça qui peut permettre même aujourd’hui, je ne dirai pas de créer une jurisprudence mais de trouver les voies de moyens pour aboutir à certaines réalités qu’on n’avait pas pu découvrir en ce moment. Ces éléments-là, les décisions rendues peuvent permettre aujourd’hui  de clarifier une situation. 

Quel sentiment avez-vous eu après ce procès ? 

Le sentiment que j’ai eu, il fallait tout faire pour séparer le judiciaire de l’exécutif. La séparation des pouvoirs devait être une réalité effective. Il faut continuer à travailler dans ce sens. Il faut faire de la séparation des pouvoirs une réalité. Qu’on ne puisse pas venir libérer quelqu’un parce qu’on est colonel, ministre ou même président de la République sans les voies de droit qu’il faut. Donc cela veut dire qu’il faut une justice forte. Pour ça il faut nécessairement séparer les Pouvoirs  sinon il n’y pas de démocratie.

Est-ce que le fait que nous vivions sous une junte n’explique pas cette situation ?

Bon tout cela fait partie. 

C’est tout de même curieux Me Doura Chérif, parce que c’est la junte qui avait déclenché une guerre farouche contre les narcotrafiquants…

Et voilà, alors pourquoi cette junte qui a déclenché cette guerre n’a pas pu l’amener jusqu’au bout ? Parce que la justice n’avait pas les pouvoirs auxquels elle a droit, elle n’avait pas les pouvoirs qu’il fallait lui donner. C’est ça.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce procès ? 

Vous avez dit quelque chose de très important. Je suis toujours revenu sur cet aspect, même dans mon discours de clôture des assises, j’ai parlé de ce que la Guinée était devenue : une route, un boulevard mondial de trafic de drogue, même de la consommation au plan intérieur, la Guinée était devenue une plaque tournante, un échangeur de la drogue, et ça m’a fait mal et je l’ai dénoncé. C’était pas facile à l’époque, la justice n’avait pas toutes les forces qu’il lui fallait pour résister aux assauts, pour résister à la volonté de certaines personnes de réussir ce qu’elles voulaient.  

Hier étant juge vous avez souvent entendu des avocats dénoncer des procès guidés, une justice aux ordres qui empêchent toute manifestation de la vérité. Aujourd’hui vous-mêmes devenus magistrat, êtes-vous victime de cette même justice guinéenne à laquelle vous avez appartenu ? 

Écoutez ! Moi j’ai toujours appartenu à cette catégorie de magistrats qu’on a toujours appelés les magistrats récalcitrants. Parce que moi je ne peux pas concevoir une justice sans indépendance. Pendant toute ma carrière de juge, c’est le point que j’ai défendu, demandez à n’importe quel magistrat guinéen il vous le dira que Doura Cherif est le champion de la lutte pour l’indépendance de la justice. Et je continuerai toujours à défendre l’indépendance de la magistrature tant que je vivrais, tant que je suis dans le système judiciaire ou même en dehors du système, je continuerai la lutte qui est celle de défendre l’indépendance de la justice 

Comme on parle de l’indépendance de la justice, étant magistrat avez-vous l’impression que les choses ont changé, ou sont en train de changer dans le bon sens sachant qu’il y a une réforme qui a été engagée depuis 8 ans maintenant ?

Ça je réponds tout de suite oui. Les choses sont en train de changer mais je vais ajouter ceci, le changement des textes ne signifie pas forcément le changement de la situation. On peut avoir les textes les meilleurs, les plus beaux textes, s’ils ne sont pas appliqués ça n’aura pas de sens, ça ne peut pas apporter le changement. Le changement doit venir aussi bien par les textes que par les dirigeants, les magistrats, les juges eux-mêmes, si vous voulez le personnel judiciaire. Le changement doit venir par le comportement des Hommes. Je ne dirai même qu’il n’y pas de justice indépendante mais des juges indépendants. J’insiste qu’il y a des juges indépendants pas de justice indépendante  parce que tous les pouvoirs politiques veulent apprivoiser la justice. Quel que soit le chef d’Etat, il voudra toujours avoir la justice sous sa botte. Que ça soit ici ou sous d’autres cieux, on le constate un peu partout.

Donc c’est le refus des magistrats, le refus des juges de se soumettre à cette volonté qui à mon avis est la preuve réelle de l’indépendance de la justice parce que les textes sont là mais ils ne peuvent pas s’appliquer d’eux-mêmes, il faut les appliquer. Mais aujourd’hui il y a une kyrielle de textes qui dorment dans les tiroirs qui ne sont pas appliqués. Il faut ensuite mettre les magistrats à l’abri du besoin, il faut qu’ils soient bien payés, correctement payés. Je trouve même indélicat pour les magistrats dans un pays de se comporter comme les enseignants le font. A savoir prendre des pancartes, sortir en robe pour réclamer des choses. Je dis non et non ! La magistrature est un corps très sérieux. Il faut penser à mettre ce corps à l’abri du besoin parce que c’est lui qui a le pouvoir de juger, de se prononcer sur l’honneur, sur la dignité, la propriété et même sur la vie de ses concitoyens. Ils ne doivent pas être corruptibles. Le magistrat doit avoir la conscience lui-même qu’il ne doit pas être corruptible et on doit créer les conditions réelles de son incorruptibilité, cela est indispensable.

Je vous dit j’ai servi 10 ans au Foutah (Labé NDLR), j’ai entendu dire au Foutah en Poular j’ai oublié peut-être la formule (gnâwowo hâna ka wélèdè, hâna diâguêdai), c’est-à-dire le juge ne doit pas avoir faim, il ne doit pas avoir froid. J’ai souvent entendu dire ça et c’est vraiIl ne faut pas penser peut-être que c’est en mettant seulement le magistrat dans les conditions matérielles qu’il va être également indépendant. Lui-même doit avoir la conscience qu’il doit être indépendant, il doit être  formé dans ce sens. N’est pas magistrat qui le veut, n’est pas juge qui le veut. Il faut insister sur les textes, il faut chaque fois les amender. Moi, j’ai toujours été contre le principe que dans le statut de la magistrature qu’on dise dans le Conseil Supérieur de la magistrature c’est le président de la République qui est le président du conseil et le ministre de la justice le vice-président. Parce que  dans ces conditions, c’est l’exécutif qui chapote le judiciaire. Il n’y a pas longtemps j’en ai parlé au cours d’un débat avec votre confrère Abdoulaye Djibril Diallo. Deux semaines après c’est les magistrats du Gabon qui se sont soulevés pour dire ils vont changer ça. Ils ont dit avec cette disposition où le président gère le conseil de la magistrature nous n’en voulons plus. Nous on parlait ici alors qu’au Gabon ils se sont levés contre cette idée chez eux. C’est des vieilles idées, des idées anciennes, la séparation des pouvoirs est aussi vieille que Montesquieu mais est-ce qu’elle est entrée dans la réalité des faits ? 

J’ai toujours parlé du discours de Général De Gaulle où il  a toujours voulu donner un certain cadrage à l’administration française, au pouvoir en France. On a toujours voulu que la justice soit là aux ordres de l’exécutif même si on parle de la séparation des pouvoirs. Donc voilà à mon avis les différents problèmes qui doivent trouver les solutions. Je souhaite simplement qu’on comprenne que quand on dit le président de la République à ses pouvoirs, c’est des pouvoirs qui lui sont reconnus. Que l’Assemblée nationale à ses pouvoirs, que la judiciaire à ses pouvoirs, qu’on ne ramène pas cela à des personnes. Si demain c’est Monsieur Alseny Fofana qui devient président de la République, qu’il se comporte comme la loi le veut pour que lorsque lui quittera si c’est Abdoulaye Diallo qui viendra au pouvoir que ce même cadre soit aménagé pour celui-là. Sinon on ne s’en sortira pas et il faut avoir le courage de dénoncer ces faits là, il faut le dire et il faut avoir le courage de pratiquer c’est important.

Durant votre carrière de magistrat est-ce qu’il y a eu une fois un cas d’immixion du Président de la République ou d’un haut cadre dans un de vos dossiers ? 

Oui c’est arrivé, mais je n’ai jamais marché dans ce sens. Moi je crois que c’est pour cela qu’ils se sont dit quei je devais être en dehors du système judiciaire. Ça peut arriver à tous les niveaux. Moi j’ai été agressé dans des juridictions par certaines personnes, physiquement agressé. Il arrive à tout le monde, ce n’est pas seulement chez nous ici. Si vous prenez n’importe quel pays, si vous prenez le cas du juge Eric Halphen en France, c’est un juge d’instruction qui a subi toutes les difficultés du monde. Finalement il a écrit un livre ‘’Sept ans de solitude’’. Pendant sept  ans il a été maltraité, martyrisé, il a été déporté, affecté n’importe comment. 

Est-ce inhérent à la fonction de magistrat ?

C’est un corolaire de la fonction, il faut l’accepter. Je ne veux pas parler de moi-même. Mais j’écrirai les choses que je laisserai à la postérité.

Depuis 2011 il y a eu plus de 100 personnes tuées à l’occasion des manifestations politiques. L’opposition dénonce « l’inertie » de la justice face à tous ces cas d’assassinats. Qu’en pensez-vous ?

Ecoutez que chacun joue son rôle, que les juges jugent. Ce n’est pas un pléonasme, le juge juge, ce n’est pas encore une figure de style. Quand je vous dis le juge, il ne va pas sortir dans la rue avec sa robe pour aller arrêter le délinquant. Ceux qui sont chargés d’arrêter les délinquants, de réunir les éléments de preuve et de les livrer à la justice qui doit faire correctement son travail. Ceux qui ont ce rôle de juger doivent également juger conformément à la loi sans l’intimidation, sans la corruption. Ils doivent dire le droit. Qui que ça soit vous dit et quelque soit l’autorité qui vous dise de rendre une décision, il ne faut pas accepter de rendre une décision qui vous empêchera d’être  libre. Parce que même dans votre chambre vous pouvez aussi être en prison, sur votre lit si vous n’avez pas la conscience tranquille, vous êtes en prison. 

Chacun doit jouer son rôle et l’autorité politique doit contribuer de façon efficace à faire appliquer le droit. Ce n’est même pas de  la politique peut-être, mais si aujourd’hui vous êtes président de la République vous ne faites pas ce que vous devez faire, demain c’est quelqu’un qui va venir, la difficulté reviendra à cette personne et on ne s’en sortira jamais. Donc il faut que chacun de nous joue son rôle. Malheureusement en politique c’est les politiciens qui utilisent l’ethnie, la religion, l’argent, c’est eux qui font tout ça.

Avez-vous un message à l’endroit des autorités ?  

Le message que je peux avoir ne s’adresse qu’au pouvoir. Ne nous voilons pas la face tant que nous ne prendrons pas nos responsabilités chacun à son niveau sans haine pour l’un ou pour l’autre, ça sera difficile d’avancer. Évidemment on me dira au niveau politique il est inévitable que les uns aient de la haine pour les autres. Nous devons nous débarrasser du fardeau de la race, du fardeau de la religion, du fardeau de l’ethnie, du fardeau du régionalisme et voir la Guinée. Si nous aimons la Guinée nous ne ferons que ce qui pourrait faire progresser cette Guinée. Nous allons laisser de côté nos intérêts personnels. C’est ça qui peut nous amener à ne pas chérir le pouvoir contre la Guinée, chérir l’argent contre la Guinée.

Le pouvoir doit prendre ses responsabilités et être à la hauteur des espérances parce que c’est des personnes que nous avons élues pour mener notre pays vers le bien. Il ne faut qu’on dise c’est le peulh, le malinké, le guerzé qui doit être président, tout ça c’est des poisons. On donne à celui qui est capable, le capable doit travailler pour tout le monde. Il y a des pays qui s’en sortent. Aujourd’hui on ne peut plus comparer la Guinée à la Chine mais il y a 40 ou 50 ans on était au même niveau de développement que la Chine. Mais aujourd’hui la Chine est partie, elle est au sommet du monde. C’est parce qu’ils ont privilégié le travail, la rectitude et le droit. Tant qu’on ne respectera pas la loi dans le pays, ça ne marchera pas.  

Merci beaucoup Me Doura Cherif pour  la disponibilité !

Merci à vous aussi et à bientôt !

 

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1 et 

Alpha Ousmane Bah pour Africaguinee.com

Tél. : (00224) 655 311 112

Créé le 14 janvier 2019 12:54

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