La justice guinéenne sous le CNRD : « Dès le départ il y a eu un couac… », selon le doyen Salifou Sylla 

CONAKRY- ‘’ La justice sera la boussole qui orientera tout citoyen’’, a annoncé le président Mamadi Doumbouya, quelques heures après avoir déposé Alpha Condé, le 5 septembre 2021, suite à un coup d’Etat militaire. Cette phrase fétiche avait suscité beaucoup d’espoir chez le peuple de Guinée. Mais plus de deux ans après ce discours, certains guinéens se trouvent dans la désillusion. La justice tant annoncée a du mal à rassurer les justiciables. Dans cette partie de notre interview avec l’ancien ministre Salifou Sylla, nous abordons la question de la justice guinéenne sous l’ère du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).

AFRICAGUINEE.COM : Après avoir renversé le pouvoir d’Alpha Condé le 5 septembre 2021, le Général Mamadi Doumbouya avait annoncé que désormais la justice allait être la « boussole ».  Près de 3 ans après, comment analysez-vous l’état de la justice sous CNRD ?

PR. SALIFOU SYLLA : Vous savez il y a toujours des déclarations politiques que l’ont fait et la manière de les respecter. Tout le monde avait espéré que cette déclaration allait nous conduire vers de lendemains meilleurs, mais dès le départ il y a eu un couac. On a nommé une dame (Fatoumata Yarie Soumah ndlr) comme ministre de la justice. Elle avait une certaine idée de la manière dont la justice devait être rendue, de l’indépendance des magistrats et de leur rôle. C’est ce qu’elle a montré quand on l’a nommée mais au bout d’un mois, on a vu tout de suite la volonté de l’exécutif de mettre main sur la justice. On connait la suite… Elle a été sortie du Gouvernement. C’était les tous premiers mois.

Cela montre déjà qu’il y a la déclaration et il y a l’idée qu’en fait on ne peut laisser cette justice faire ce qu’elle doit faire. Elle a été limogée et je sais ce qu’elle avait répondu quand elle a écrit une lettre au ministre secrétaire général de la présidence pour dire ‘’ça ne peut pas se faire…’’. Quand on l’a sorti du gouvernement, ils l’ont remplacé par quelqu’un qui était plus coulant. Et par la suite ils ont mis un autre ministre qui vient de partir (Alphonse Charles Wright ndlr), qui on pouvait espérer d’un magistrat même s’il n’était parmi les magistrats les plus gradés. Ce qui était frappant, c’est de voir ce ministre (Alphonse Charles Wright ndlr) marcher sur les plates-bandes des magistrats.

Ce n’est pas le ministre qui rend la justice. Le ministre supervise simplement l’administration de la justice mais il appartient aux magistrats de rendre la justice et il appartient aux procureurs de poursuivre. Mais si le ministre substitue à tous ces gens, c’est lui qui parle partout, tous les parquets s’étaient mis derrière, partout où il y avait un problème, dans le quartier ou n’importe où c’est le ministre qui va. Il (Alphonse Charles Wright, ndlr) a été procureur général d’abord et quand il a été ministre alors il est allé tout vent débout. Évidemment, c’était quand même curieux que ce soit un magistrat qui se mette à marcher sur les règles de la magistrature et qui se mette à nommer les gens tout en ne respectant pas les procédures.

Alors si quelqu’un du corps fait ça ce qu’il n’y a pas de conviction et on le laissait faire. D’ailleurs sans ces incidents qu’on a connus tout dernièrement (scandales de mœurs, accrocs avec le Premier ministre Bernard Goumou, ndlr) il serait encore là membre du gouvernement.

Dans ma vie, je me suis toujours méfié de ces grandes déclarations… Les textes sont là mais quel est notre problème fondamental, c’est le respect de ce qui est écrit. Nous écrivons les constitutions, nous pouvons mettre les plus belles choses dans les constitutions, nous ne les respectons pas. Quand un texte de droit n’est pas respecté alors il n’est plus un texte de droit, il devient un chiffon, le problème de fond c’est ça. Quand j’entends dire ici ‘’la constitution n’était pas bonne…’’ mais écrivez une nouvelle constitution, écrivez la constitution en lettre d’or mais si vous ne la respectez pas, ce n’est pas un texte de droit c’est un chiffon. Ça ne sert à rien, tout le problème dans nos pays c’est le respect des règles de droit, on ne respecte pas les règles de droit.

Tous nos problèmes, dès que quelqu’un est là, on le glorifie, lui il n’est plus soumis au droit, il est le chef et il est supérieur au droit, c’est le culte de la personnalité, tout ce que lui il fait c’est normal et quand on en arrive là vraiment il y a des problèmes.

Procès 28 septembre

Ce que j’ai salué à un moment donné, c’est l’ouverture du procès des événements du 28 septembre 2009. Ce procès aurait dû se tenir dès 2010 parce que tous les éléments étaient là pour qu’on fasse le procès. Mais le président qui était en place, Alpha Condé a fait qu’il n’y a pas eu de procès. Le mérite est que ce procès ait été organisé maintenant. Si ce procès n’avait pas été organisé ce serait une tare indélébile pour notre pays pour l’éternité. Il fallait que ce procès se tienne, tout le monde a suivi ce qui a été dit et ce qui est en train d’être dit. Les calamités humaines que nous avons connues dans ce pays, est-ce qu’on pouvait taire ça ? Non. Mais les autorités d’alors (le régime d’Alpha Condé ndlr) ne voulaient pas que ce procès soit organisé. Donc c’est un mérite de le faire maintenant. Nous arrivons vers la conclusion de ce procès et on verra bien ce que ça va donner.

Quand on parle de la justice, vous savez il y a beaucoup d’éléments. Ce n’est pas toujours les meilleurs juges qui sont mis aux postes les plus importants et on ne tient pas compte parfois de l’ancienneté. On peut prendre quelqu’un qui est manipulable et qui a quelques accointances avec certaines autorités et on le nomme à des postes au-dessus des magistrats qui sont d’un grade supérieur à lui. Tout cela désorganise la justice. L’indépendance des magistrats c’est écrit, les textes le disent et le précisent mais vous êtes indépendant si vous avez le courage d’assumer votre indépendance. Si le magistrat a peur et qu’il se dise ‘’si je rends tel jugement on peut me déplacer, on peut m’affecter, je n’ai aucune garantie’’ alors il peut opter pour sa carrière et laisser la justice de côté. Donc pour être indépendant, il faut que les juges soient d’abord décidés moralement à assurer cette indépendance et ne pas voir ce qui peut être une menace pour leur carrière (…). Les textes sont là mais si les juges n’ont pas le courage d’assumer leur indépendance donc de trancher dans le sens de ce que veut la loi alors ça pose problème.

Fin !

Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 666 134 023

Créé le 7 mai 2024 17:17

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