Immersion dans le quotidien insoutenable des femmes à Laaɓa Buruwal : « Ici, un seau d’eau a plus d’importance qu’une tonne de riz…»

TOUGUE-Il est 05h du matin, nous sommes à Laaɓa buruwal, les hommes viennent à peine de terminer la prière de l’aube. Dans chaque hameaux et case du village, tout le monde se lève au premier appel du muezzin, on entend les bruits des ustensiles. Soudain, de loin, on aperçoit de longues files. Des silhouettes qui disparaissent dans la nature, munies de torches. Ce sont des femmes du village qui, à peine réveillée, se lancent dans une quête interminable de l’eau, cette denrée indispensable à la vie. Elles empruntent un petit sentier éclairé par des torches, qui vues de loin, donnent l’impression à de petites constellations.

A Laaɓa buruwal, l’eau est un luxe. Elles marchent de l’aube au lever du soleil, traversent une clairière avant d’arriver au marais où elles s’approvisionnent en eau. La source est située à environ deux kilomètres du village. Là, une eau chargée de particules stagne. C’est cette eau non potable, de quantité insuffisante qui est utilisée pour tous les besoins : linge, cuisson, bain… Elle est filtrée l’eau avec de moyens rudimentaires pour la rendre comestible.

Cette bourgade est située dans la commune rurale de Kollagui, préfecture de Tougué. Là, les populations vivent encore des réalités du moyennage. Les faits sont saisissants. La quête de l’eau est une véritable corvée. Cette situation difficile empêche les enfants du village d’avoir une scolarité normale. Africaguinee.com s’est rendu dans ce village isolé en manque de tout ! Nous y avons passé une nuit pour suivre le quotidien difficile des femmes de ce village. La marche commence à 5h du matin. Enfants, adolescents, femmes, personnes âgées se suivent pour arriver au marigot sur le point de tarir (nous sommes en fin de saison sèche). A cause de l’insécurité qui règnent partout, des hommes sont obligés d’accompagner les femmes pour les protéger d’éventuelles attaques.

Chaque jour, après la prière de l’aube, Madame Aminata Sow, sexagénaire porte sa jarre d’une dizaine de litres en direction de la source. C’est son quotidien depuis sa tendre enfance.

 « J’ai plus de 60 ans aujourd’hui. Depuis que j’avais 5 ans, c’est à Ɓunndu Laaɓa (nom de l’une de rares sources du village NDLR) que nous connaissons comme source, toutes ces années c’est ici que je viens pour puiser. Si l’eau tarit ici, il faut aller à la rivière située très loin de là. Aujourd’hui nous avons des enfants et des petits enfants, ils vivent la même réalité que nous. Nos petits enfants qui vont à l’école, certains vont jusqu’à Kollagui à 7km de chez nous pour étudier. Malgré cette distance je les réveille tous, chacun est obligé d’aller puiser pour nous avant d’aller à l’école. Nous n’avons pas le choix. Nous avons des besoins familiaux en eau, nous avons des animaux qui doivent se désaltérer, le besoin en eau ne finit pas.

Le calvaire se passe de commentaire. Vous me voyez j’ai vraiment froid mais il n’y a pas où se reposer. Et puis venir seulement à la source ne constitue nullement une certitude que vous aurez de l’eau même sale à plus forte raison potable. Les plus jeunes femmes m’ont accordé un privilège avec d’autres personnes âgées sinon je n’aurais rien trouvé. Vous avez vu j’ai rempli ma jarre, les autres sont en rang. Ici la règle, on privilégie les personnes âgées et les élèves, les autres attendent le tour-tour. Vous voyez aussi l’état de l’eau, elle n’est pas directement consommable, il faut la filtrer aussi et la garder longtemps au repos afin que les particules restent au fond du récipient.

Nos grandes filles et nos belles-filles ne peuvent plus trouver de l’eau ici, la source est déjà vide. Elles sont obligées d’aller à la rivière Dombelewol située à environ 4 kilomètres du village. Ça prendra toute la matinée cette corvée, c’est après qu’elles vont rentrer pour faire d’autres tâches ménagères. Nous demandons aux détenteurs de projets d’adduction d’eau de les orienter chez nous, les gouvernants aussi doivent savoir que nous sommes là. Un forage nous suffira ici » lance la sexagénaire, complètement essoufflée par la longue marche.

Madame Habibatou Baldé est aussi dans la soixantaine d’âge. Elle regrette de revivre cette épreuve vécue par ses parents. Elle fait partie aujourd’hui des doyennes de Laaɓa Buruwal. Après une matinée de longue marche, elle est assise dans sa cour pour engager une opération de filtrage de l’eau. Un autre travail dur et qui prend du temps.

« Je suis née dans ce village et remariée sur place. La corvée de l’eau est aussi vieille que nos parents. Nous avons trouvé nos parents dans cette souffrance, nous avons souffert aussi, nos enfants s’apprêtent à vivre le même calvaire. Il faut vivre ici pour se rendre compte de la triste réalité. Nous les personnes âgées avec le privilège que nous avons, si nous partons à 5heures à la source la plus proche, c’est à environ 2km on peut puiser, mais l’eau ne suffit pas à tous, nous qui puisons là rentrons entre 7h 8H. Les autres ils perdent toute la matinée en allant à la rivière. Ce qui fait plus mal dans tout ça, l’eau que tu ramènes n’est pas directement consommable à cause de son état d’impureté, il faut du temps pour filtrer encore. Ici je suis dans ce processus, ça me prendra le reste de la matinée, nous souffrons doublement de ce manque d’eau. Et nous n’avons aucun espoir que c’est demain que ça finira », soupire-t-elle.

Cette autre septuagénaire abonde dans le même sens. Tous les jours, elle se réveillent au premier appel du muezzin, à l’image des autres femmes du village. Au crépuscule de sa vie, elle n’a pas goûté au bonheur d’avoir facilement accès à l’eau.

« Notre village a toujours été le parent pauvre en matière d’eau. Ici, nous sommes obligées de rompre notre sommeil et partir la nuit après l’appel du muezzin. J’ai une lampe torche. Si nous ne sortons pas à cette heure, nous ne pouvons pas rentrer avant midi.

Nous éclairons notre chemin avec jusqu’au lever du soleil pour éviter au moins de marcher sur des reptiles dans la brousse. Entre l’aurore et l’aube, personne n’a le droit de dormir dans son lit. Chacun est contraint de se lever tôt pour aller chercher de l’eau, à défaut vous passerez un jour difficile. Nous sommes très éprouvées par le manque d’eau. Que les bonnes volontés se rappellent que nous sommes là aussi, nous existons sans eau. Aidez-nous », plaide la septuagénaire.

Ce matin Dialikatou Sow et un groupe de femmes arrivent à la source alors que les premières venues ont tout puisé. Ce n’est pas que la fange qui reste, elle reprend le chemin de Dombelewol, une rivière située à 4 kilomètres du village. « La source a tari déjà, nous n’avons plus le choix que de continuer à Dombelewol pour espérer un sceau d’eau à filtrer. Près de 7km nous séparent de la rivière. Dans ce village, il n’y a pas de puits ordinaires encore moins une pompe. Jusqu’à présent nous vivons de l’eau de source et de rivière. A la rivière aussi, la partie où nous devons puiser, est trop accidentée, il faut que des hommes descendent pour nous remonter l’eau, nous les femmes nous ne pouvons pas du tout », explique-t-elle.

Aminata Diallo enceinte, trébuche et tombe sur le chemin de retour. Son eau s’est renversée alors qu’elle est en milieu du chemin du retour. Retourner à la rivière lui est impossible. Le pacte, en cas de chute, chacune des femmes offre un gobelet. Aminata a bénéficié de cette solidarité.

« Je suis tombée avec le sceau sur la colline, si ce n’est la solidarité des femmes du village, j’allais rentrer bredouille sans aucune goutte. Non seulement, la rivière est loin, retourner est une peine et moi seule sans un homme qui peut faire monter l’eau. Vous voyez que chacun m’a donné un gobelet d’eau environ un litre. C’est ce qui me sauve. Nous souffrons, une femme en état de famille devrait avoir de repos, malheureusement cela n’est pas possible à Laaɓa Buruwal. L’eau est rare », se lamente cette femme en grossesse.

 « Un seau d’eau est plus important qu’une tonne de riz pour nous »

Mamadou Alpha Baldé, habitant de Laaɓa Buruwal fait partie des hommes qui accompagnent les femmes chaque matin. Nous le trouvons auprès de la source, un feu allumé à côté, pour se réchauffer les mains contre la fraicheur.

« Nous sommes organisés, chaque jour, deux hommes doivent accompagner les femmes dans leur quête de l’eau. Notre présence à côté des femmes, c’est en guise de sécurité et pour les aider à remontrer l’eau puisée de la rivière. Une réalité dure à vivre. Non seulement, c’est distant, le chemin est dangereux…ce n’est pas prudent de laisser des femmes seules dans la brousse. Ici, nous sommes à la merci des matinées froides (…). Vivement un forage dans notre village. C’est un rêve de vie d’avoir un forage dans notre village », plaide Alpha Baldé.

« Ici sans les hommes il n’y a aucune possibilité d’obtenir de l’eau, aujourd’hui c’est mon tour de descendre au fond pour remonter l’eau. On se relaye de temps en temps. Difficilement j’arrive à remuer mes doigts à cause de la fraicheur. Ça joue même sur l’éducation des enfants, parfois certains enfants vont à l’école sans prendre leur petit déjeuner

Aujourd’hui l’eau est devenue plus qu’une priorité. Nous nous interrogeons si un jour nous aurons de l’eau à portée de main sans marcher toute cette distance. Nous sommes plus qu’éprouvés. ‘’Un bidon de 20 litres d’eau potable a plus de valeur pour nous qu’une tonne de riz’’ pour nous.  C’est difficile. Nous demandons à l’Etat d’agir pour nous aider », lance Abdoulaye Pathé.

Reportage réalisée par Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 664 93 45 45

Créé le 25 juin 2023 05:16

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