Bah Oury : ‘’Le redécoupage administratif est une nécessité absolue…’’

Bah Oury, leader de l'UDRG

CONAKRY- Le Gouvernement de la transition, à travers le ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation a engagé un processus de découpage administratif. Une initiative qui est diversement appréciée et politiquement analysée par certains. Dans cette interview a accordée à Africaguinee.com, Bah Oury a donné sa lecture sur cette réforme.

AFRICAGUINEE.COM : Quelle appréciation faites-vous de cette initiative du ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation portant sur le découpage administratif ?

BAH OURY : L’une des graves faiblesses de la gouvernance de notre pays durant ces dernières décennies, c’est l’abandon de la décentralisation. Pour mémoire, le président Lansana Conté avait obtenu une adhésion large des populations, lorsqu’il avait engagé son programme de décembre 1985, une dynamique de décentralisation pour en finir avec la concentration de tous les pouvoirs et de tous les moyens. Ceci a donné une impulsion dans l’implication des populations à se prendre en charge. Mais malheureusement, avec le processus de démocratisation, l’existence de multiple partis, la mauvaise conception de la démocratie a transformé rapidement le parti PUP qui était le parti proche du pouvoir en un parti Etat qui, coûte que coûte voulait régenter la gestion de l’ensemble des communes. Et de ce point de vue, la décentralisation est devenue beaucoup plus fictive qu’une décentralisation au service des populations.

Avec l’arrivée de monsieur Alpha Condé, la situation a été encore beaucoup dégradée. On a eu des délégations spéciales qui ont régenté le pays pendant longtemps. Le refus systématique d’organiser des élections libres et conformes à l’esprit républicain, en ce qui concerne les communes et les collectivités locales. En dernière analyse, au lieu de procéder à un renforcement du processus de la décentralisation, monsieur Alpha Condé nous a nettement ramené en arrière et aujourd’hui c’est une occasion de repenser et de corriger les erreurs et les fautes passées.

Je dois dire que le redécoupage des communes de Conakry (Ratoma, Matoto …) correspond à une nécessité absolue. Lorsque vous prenez Matoto et Ratoma, ce sont les deux communes les plus peuplées du pays. Les infrastructures de base, les services publics, sont en deçà de ce que les populations attendent, d’où la nécessité d’avoir une gestion avec beaucoup plus de proximité et de redécoupage, pour permettre aux citoyens de ces communes d’avoir des infrastructures indispensables en ce qui concerne les services publics, une plus grande proximité entre ceux qui dirigent et les populations qui ont besoin de ces services de base.  C’est donc tout à fait dans l’ère du temps, en conformité avec la dynamique dont il faut insuffler à la décentralisation pour que nous puissions réussir un aspect essentiel de la refondation de l’Etat.

Pour certains observateurs, ce découpage administratif a des visées politiques. Ils insinuent que c’est pour mieux contrôler des fiefs de certaines formations politiques. Qu’en dites-vous ?

Ceci m’amène à plusieurs lectures. La première, c’est celle qui est la plus optimiste et positive. Lorsqu’on procède à une décentralisation, on remet le pouvoir au niveau des populations qui choisiront, par des élections leurs dirigeants pour répondre à leur préoccupation. Donc, décentraliser c’est donner le pouvoir ou le restaurer auprès des populations. Ce qui est le contraire d’une volonté d’accaparement.

En ce qui concerne le pays, la décentralisation et les esquisses qui sont engagées aujourd’hui, doivent nécessairement accompagner des allocations de ressources et des transferts des moyens alloués aux collectivités locales pour ne pas que ça soit les organes centraux qui gèrent ce qui est dévolu aux collectivités de base. En plus de cela, il faudrait que les communes aient la possibilité de lever des taxes et impôts en conformité avec les réalités économiques et leur objectif d’avoir les ressources nécessaires pour construire et transformer positivement leurs communes.

Ceci dit, c’est une lecture beaucoup plus négative lorsque certains estiment que c’est pour décapiter leur fief. Peut-être qu’ils avaient déjà pris en otage ces communes. C’est pour cela qu’ils ont peut-être des craintes. Maintenant que ceci n’est plus, ils estiment qu’ils ont perdu une bataille de ce point de vue. Mais je crois qu’une vraie décentralisation n’a rien à voir avec les partis politiques. Que les partis politiques concourent à formuler des programmes, à faire émerger leurs capacités de gérer correctement les communes. Mais la gestion communale n’est pas une gestion partisane. Ça doit-être une gestion qui prend en compte l’ensemble des collectivités locales, l’ensemble des habitants d’une commune, sur la base d’un programme, de projet qui intègre tout le monde parce que les questions sont précises : l’école, la santé, de mobilité, de logement, de questions de prises en charge des personnes déshéritées et c’est cela que constitue les éléments fondamentaux des communes.

Mais lorsque quelqu’un dit que c’est pour décapiter son fief, cela veut que la personne ou ceux qui pensent ainsi ont une mauvaise compréhension de ce qu’est la décentralisation et comme c’est des partis qui ont déjà géré les communes, cela veut dire qu’ils étaient beaucoup plus là pour contrôler où se servir au lieu de servir ou aller dans le sens de l’intérêt des populations. Donc c’est tout à fait compréhensible dans ce cas-là qu’ils pensent que c’est une manière de les décapiter.

Mais ces collectivités ou communes qui seront créées et celles existantes seront gérées par des personnes nommées par les dirigeants actuels…

En toute franchise, au mois de février 2023, j’avais envoyé un mémo au premier ministre dont je n’ai pas eu de réponse jusqu’à présent. Ce mémo faisait part de la nécessité absolue de repenser la gestion des communes durant cette phase de transition. Parce que les autorités en ce moment-là n’avaient clarifié leur position si oui ou non faut-il installer des délégations ou laisser les communes gérées par les anciens élus de 2018 ? Comme vous le savez, les élus des collectivités locales interfèrent et jouent un rôle extrêmement important dans le processus électoral. Vous ne pouvez pas penser à avoir des élections transparentes et crédibles lorsque vous laissez les anciennes entités élues en 2018, gérer un processus électoral sous prétexte qu’il vaut mieux les laisser pour avoir le calme et la tranquillité. Si tel était le cas, ça aurait été une catastrophe parce que certains partis politiques allaient utiliser ces leviers pour saboter systématiquement le processus politique qui va être engagé dans les prochains mois.

Donc il était nécessaire, pour une question d’équité, de neutralité, d’objectivité, de remettre une réelle politique de décentralisation d’avoir des délégations spéciales dont le mandat et la mission sont très précis, une absolue neutralité, équité pour gérer de la manière la plus transparente en conformité avec les lois de la République les processus sociaux et politiques qui vont s’engager dans cette transition. Je rappelle que les membres qui seront dans les délégations spéciales ne pourront pas être candidats aux prochaines élections. Or si ceci n’était pas fait, des maires installés actuellement pourraient prétendre à dire que sur quelles bases on va les exclure du processus politique puisqu’ils émanent de certains partis politiques ? On aurait eu à faire face à des conflits de toute nature pour remettre en cause beaucoup d’aspects notamment la stabilité du pays alors que nous avons dans cette phase une stabilité, responsabilité à tous les niveaux pour que chaque dirigeant fasse ce qu’il a à faire en conformité avec des intérêts nationaux et avoir des fondements basés sur une loyauté vis-à-vis des lois de la République.

Qu’est-ce qui vous fait croire que ceux qui seront désignés pour diriger ces délégations spéciales ne seront pas sous l’emprise des dirigeants actuels dans le cadre de l’organisation des futures élections ?

De toute façon, nous sommes tous là, c’est notre pays et c’est notre intérêt. Avoir des éléments n’appartenant pas ou n’émanant pas d’entités politiques mais qui appartiennent à la société et qui vont jouer un rôle que le ministère de l’administration du territoire en relation avec les lois de la République, vont leur indiquer pour gérer correctement le processus politique qui se met en place dans l’intérêt du pays et de la primauté du droit, ça c’est essentiel. C’est la question de la refondation parce que c’est à ce niveau-là que depuis des décennies la Guinée pèche parce que les dirigeants politiques veulent contrôler les populations à travers des maires et autres cadres qui n’ont pas de légitimité réelle et de ce point de vue, les élections seront à ce niveau-là, plus libres, transparentes, équitables pour faire aboutir une nouvelle capacité de gestion des collectivités locales.

A suivre…

Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo

Pour Africguinee.com

Tel : (00224) 664 72 76 28

Créé le 25 janvier 2024 10:04

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