Trafic de migrants guinéens : ‘’Mon frère tu as été vendu, si tu ne paies pas on peut te tuer… »

Des migrants internés dans un camp, crédit photo info migrant

A l'instar des autres pays de l'Afrique subsaharienne, la Guinée est confronté au fléau de la migration irrégulière. Chaque année, des centaines voire des milliers de jeunes fuient le pays pour des raisons diverses : pauvreté, persécution politique ou sociale. Pour se construire une vie meilleure, ces jeunes optent pour la plus part des cas, pour la voie irrégulière. L'Europe est souvent la destination privilégiée. Au total, 17 290 migrants guinéens irréguliers ont été identifiés dans l’Union européenne en 2018, soit une forte augmentation par rapport à 2014 (3 115). Mais le chemin pour y arrivé est parsemé d'embûches.

Les candidats à la migration irrégulière, tombent souvent dans les mains de groupes criminels qui les exploitent et humilient à souhait. Beaucoup de jeunes Guinéens ayant emprunté le chemin de l’Europe par la voie irrégulière en ont été victimes. Durant leur parcours, certains ont été vendus, traités comme esclave dans des champs, d'autres victimes de rapt et de travaux forcés. Du Mali au Niger en passant par l’Algérie, la Libye ou le Maroc, ces candidats à la migration irrégulière ont été victimes de toute sorte de violation des droits humains.

Maurice Koïba, migrant retourné a vécu la pire expérience en 2017 lors de son voyage qui a viré au cauchemar. Tout commence lors des grèves des enseignants ayant paralysé le secteur éducatif guinéen. Enseignant vacataire de son état à l’époque dans une école privée, Maurice ne percevait plus de salaire de la part de son employé. Il décida alors de se lancer dans ce voyage au bout de l'enfer. Avec l’aide d’un de ses amis, il a pris la route.

« Quand je me suis lancé dans la migration irrégulière, je ne m’attendais pas à ce genre de pratique. C’est à partir de Nzérékoré que j’ai entrepris ce voyage avec l’un de mes amis. Nous avons passé par la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, l’Algérie jusqu’en Libye et prendre le bateau pour la méditerranée. Mais c’était tout un calvaire, la traversée du désert, le manque d’eau…c’était l’enfer.

Arrivé d’abord à la rentrée de l’Algérie, nous avons été vendus pour une première fois.  Mais le pire c'était en Libye où nous avons été vendus comme esclave à des sommes insignifiantes, 1.500 dinars  qu’on pouvait évaluer à près d’un million cinq cent mille francs guinéens. C’est quelque chose que je ne m’y attendais pas »  se rappelle M. Koiba.

Dans ses pérégrinations, Koiba a enduré beaucoup de violences, d’abord physique et même  psychologique. Le manger pour lui est aussi une autre difficulté à laquelle, il a enduré. "Chez nous ici, c’est le riz qu’on connait et là-bas, c’est du pain et le blé, c’est tout ce qu’on mangeait. Dieu merci, durant mon parcours, pendant les (9) neuf mois, je ne suis pas biologiquement tombé malade. Mais la torture physique et mentale qu’on nous faisait subir, mont vraiment bouleversé", se souvient Maurice.

En Libye ajoute-t-il, « quand on nous a vendus, comme c’est un pays en guerre, beaucoup d’édifices ont été détruits par l’effet des armes lourdes, donc on nous demandait de nettoyer les débris de ces différents édifices, les lieux publics, faire le balayage des maisons incendiées. Nous étions en permanence surveillés par les gardes de ceux qui nous ont achetés et ceux qui nous ont vendus restaient à côté. On travaillait comme esclave.

En Algérie, là où on avait vendu, on nous amenait travailler dans les plantations de dattes et dans les champs de carottes. C’est comme ça qu’on travaillait jusqu’au jour où on obtenait la rançon demandée par le patron. Pour l’Algérie, je ne savais pas que j’avais été vendu mais pour la Libye, je l’ai très vite compris. Parce que quand nous sommes arrivés, nos ravisseurs nous ont automatiquement mis dans une grande cour. Au début, je pensais que c’était juste pour une escale avant de reprendre la route pour Sabratha qui est située au bord de la méditerranée. Mais, ils nous ont fait rentrer dans cette cour puis encore dans une autre maison et ils ont fermé.

A travers les fenêtres, j’observais une certaine communication qui se passait entre la personne qui nous avait envoyé et celle qui nous avait reçu. Ils échangeaient d’une manière et je l’ai vu sortir une certaine somme qu'il a donnée à celui qui nous a envoyés. C’est là que j’ai su qu’on a été marchandé. En plus, le Moudir est rentré dans la maison où nous étions pour nous dire qu’on devait une telle somme avant d’être libéré. C’est comme ça que j’ai compris leur stratégie de trafic humain », relate Maurice Koïba.

Cet ancien migrant irrégulier a été rapatrié en Guinée, le 13 novembre 2017. Aujourd’hui, il est le président de l’organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière bureau régional Nzérékoré.

Tout comme Maurice Koïba, Thierno Boubacar Diallo est un migrant retourné. En 2017, alors qu’il faisait la licence 1 dans une université privée de Conakry, avec un ami, il a entrepris le voyage pour l’Europe par la méditerranée, en passant par le Mali, l’Algérie et la Libye pour rejoindre ensuite les côtes de l’Italie. Un rêve qui a viré au cauchemar. Son témoignage est plus qu’un film d’horreur.   

 « Ma décision de voyager a été prise de justesse, parce que j’ai préparé mon voyage en une semaine avec un ami qui habitait Bambéto (Ratoma).  On était ensemble au Marcage, (Centre de mémorisation du coran, ndlr). On a préparé le voyage avec l’aide de certains amis qui sont en Europe. Aucun de nos parents n’étaient au courant », entame Boubacar avant de nous plonger dans son récit.

« C’est quand nous sommes arrivés au Mali qu’on a appelé les parents parce qu’à la gare voiture internationale de Bamako, c’est là-bas où les tentatives d’arnaques commencent avec les soi-disant  rabatteurs qui te disent qu’ils peuvent t’envoyer à n’importe quel pays d’Europe ou d’Amérique. C’est comme ça ils font pour arnaquer les gens. Mon ami et moi avions croisé beaucoup d’entre eux, mais on n’est pas tombé dans leur piège. Et c’est comme ça que nous deux, avions emprunté le chemin pour Gao. Arrivée dans cette ville, on n’avait pas de correspondance, c’est dans le bus où nous étions embarqué qu’on a échangé avec d’autres voyageurs clandestins qui ont accepté de partir avec eux chez leur correspondant. De Bamako à Gao, c’est tout un calvaire parce que les militaires maliens nous rackettaient énormément et je les en veux toujours d’ailleurs….. Sur cette route, c’est le moins et le pire car il y a aussi les rebelles Touaregs sur le trajet, on était obligé de rouler de 8h à 18 heures car la nuit, les rebelles pouvaient nous attaquer.

On a fait trois jours de route avant d’arriver à destination. Là-bas, chez le correspondant de nos compagnons de voyage, ils nous ont réclamé 30 milles franc CFA. Mes parents se sont acquittés du montant, malheureusement mon ami n’avait pas de moyens. Après cette ville, on s’est embarqué pour Kidal. Arrivée dans cette ville, ils nous ont fait entrer dans une cour en disant qu’on devait encore payer de l’argent. On a voulu protester. Celui qui nous avait reçu a clairement fait savoir qu’il nous avait acheté, et il qu’il fallait payer de l’argent. Il dit clairement, ‘’mon frère tu as été vendu, si tu ne paies pas de l’argent on peut même te tuer parce que les exemples de ce genre se font souvent ici’’.

Parmi nous, on avait un monsieur qui venait de Mamou, marié et père d’un enfant. Quand ils nous ont embarqués pour aller nous enfermer dans une maison, il a voulu se sauver, ils l’ont rattrapé et l'ont tabassé presqu'à mort. Et beaucoup d’autres migrants ont subi le même sort. Là également, ma famille a donné de l’argent, pour qu'on soit libéré. Mon grand, moi et les autres, on nous a encore embarqués pour Timiaouine, c’est la ville qui sépare le Mali de l’Algérie. C’est quand tu arrives dans cette ville que tu vas essayer de rejoindre d’autres villes algériennes. Timiaouine c’est comme une ville carrefour, il y a plusieurs routes que tu peux emprunter pour aller dans d’autres villes algériennes, comme Tamanrasset et autres.

Parqués comme des boites de sardine

Pour Tamanrasset, c’est 700 et quelques Km, mais pour Bordj Bou Arreridji, la distance est moins que ça. Nous nous avons opté pour la petite distance, c’est-à-dire Bordj Bou Arreridji. Cette ville est à 150 Km de Tamanrasset. Ils nous ont embarqué chez un conducteur Touareg parce que c’est les seuls qui y transitent. Au nombre de quinze, (15) nous nous sommes embarqués dans sa voiture, parqués comme des boites de sardine. Dans la voiture, ils  frappaient des gens. Tellement qu’on était serré, la respiration était difficile.

Le chauffeur et ses complices nous ont pris et envoyés juste à 50 Kilomètres de la ville de Tamanrasset. Arrivé un endroit, ils ont dit de les attendre, sous ce soleil du Sahara, on était au moment de l’été. Une heure après on ne les a pas vus, on a encore attendu et finalement j’ai dit au groupe de voyageurs que si on continuait à attendre, on allait tous mourir parce qu’on commençait à manquer d’eau. Ils ont finalement compris et on a décidé de marcher les 100 kilomètres restant. On a fait trois jours de marche, le monsieur qui avait été sauvagement battu à Kidal a fini par succomber à 10 km de la ville d’arrivée. Sa mort nous avait très affecté. Il me disait : ‘’ petit, je souffre, je n'en peux plus’’. Je lui répondais : ‘’grand, efforce-toi, on va bientôt arriver’’ mais on ne pouvait rien faire pour lui. C’est en marchant qu’il est tombé comme ça et finalement, il a rendu l’âme. On l’a laissé là-bas et continué notre chemin jusqu’à la rentrée de la ville. Il y avait un poste de gendarmerie à la rentrée, nous nous y sommes dirigés directement pour les informer qu’on avait laissé la dépouille d’un de nous à 10 Km de la ville, les agents ont pris leur véhicule et sont allés chercher le corps. Ils l’ont ramené et envoyé à la morgue. Puisque, c’est clandestinement qu’il est rentré dans le territoire algérien, on ne pouvait pas envisager le rapatriement de son corps. On l’a enterré avec trois autres migrants, tous morts en cours de route.

Dans cette ville, on nous a fait rentrer dans les foyers. Mais là-bas aussi, il fallait payer de l’argent, ils ont des jeunes qu’on appelle les clochards, ils traitent les noirs comme ils veulent, tu n’as pas où te plaindre. Ils volent certains migrants noirs, blessent d’autres et tuent même certains et rien ne sort » explique Thierno Boubacar.

Le jeune migrant a continué son chemin, en Algérie puis au Maroc avant d’être ramené à nouveau en Algérie. Il y est resté pendant quelques temps avant d’aller en Libye pour essayer de rejoindre l’Italie. Vendu par d’autres passeurs, il a connu toute sorte de traitement inhumain avant de tenter de s’embarquer dans un bateau de fortune pour l’Italie. Ayant découvert que le navire en plastique était percé, il a décidé de renoncer à la dernière minute. Ce voyage a été annulé et les passeurs ont décidé de réparer le bateau qui voyagera quelques jours après avec 150 migrants à bord. Il apprendra plus tard que le bateau avait chaviré et que 75 migrants avaient trouvé la mort.

Après moult tentatives sans succès, Thierno Boubacar Diallo s'est résout de renoncer à ce voyage irrégulier. Grâce à l’appui de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), en Septembre 2018, il a été rapatrié vers la Guinée où il a retrouvé son pays et ses parents. Malgré cette mésaventure, Thierno Boubacar a pu reprendre ses cours en Génie civile. Il attend la remise de son diplôme dans les prochains jours.

Tout comme Maurice Koïba, Thierno Boubacar Diallo est aussi membre de l’organisation guinéenne de la lutte contre la migration irrégulière. Ils sont dans la sensibilisation des jeunes sur les méfaits de la migration irrégulière.

Selon l'Organisation internationale pour les Migrations OIM, ce n’est qu’à partir de 2014/2015 que la migration irrégulière des jeunes en Guinée en Europe a pris une ampleur considérable. Les chiffres relatifs au phénomène sont importants surtout si on considère l’augmentation constante au fil des dernières années et le poids des migrants irréguliers guinéens par rapport aux autres nationalités.

"Au total, 17 290 migrants guinéens irréguliers ont été identifiés dans l’Union européenne en 2018, avec une forte augmentation par rapport à 2014 (3 115). Dans la même période considérée, on observe aussi un accroissement sensible des Guinéens dont l’entrée a été refusée aux frontières externes de l’Union européenne, à partir de 2015", selon un rapport de l'OIM Guinée qui date de 2020.

La migration irrégulière, entreprise surtout par les hommes (85 %) et par les jeunes (15-24 ans) en prévalence issus des ménages urbains (86 %), est un phénomène social complexe et revêt des aspects multidimensionnels, englobant à la fois des motifs personnels, mais aussi familiaux et communautaires, précise la même source.

OIM Guinée explique dans un récent rapport que le voyage transsaharien des guinéens est généralement fait en plusieurs étapes avant de se rapprocher de la traversée de la Méditerranée. Facilité par les réseaux de passeurs et le support de proches installés le long de la traversée saharienne, le voyage peut prendre entre quelques semaines et plusieurs années. La plupart des migrants subissent des abus tout au long de la route, tels que l'exploitation, le travail forcé, l’emprisonnement arbitraire, la violence armée, le racisme et la discrimination associés au voyage et au séjour dans les pays intermédiaires, explique la note de l'OIM.

 

Selon le HCR (Haut commissariat des Nations-unies pour les réfugiés), le trafic de migrants, tel que défini dans l’article 3(a) du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, désigne le fait d’assurer l’entrée illégale d’une personne dans un État, afin d’en tirer un avantage financier ou matériel. Même s’il s’agit d’un crime commis contre un État, les passeurs peuvent aussi commettre des violations des droits humains des personnes qu’ils transportent, en leur faisant subir de la maltraitance physique ou en les privant d’eau et de nourriture.

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime qu’en 2016, au moins 2,5 millions de migrants ont été introduits clandestinement, soit des bénéfices de près de 7 milliards USD pour les passeurs.

Le trafic de migrants est étroitement lié à l’utilisation de documents de voyage frauduleux et à d’autres crimes tels que les mouvements illicites d’argent, la corruption, le terrorisme, le trafic de marchandises illicites et la traite d’êtres humains, selon Interpol.

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 11 août 2021 14:53

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