Son passage à Dubreka, Lansana Conté, Kiridi, Dalein, Kouyaté et cie : Mouctar Brada Dramé parle… « interview »

CONAKRY- On le surnomme le B-52 ou encore Monsieur 3 points, Mouctar Brada Dramé a été un pilier important du régime de feu Général Lansana Conté. Il avait même refusé de quitter son poste de préfet de Dubreka lorsque Kouyaté a été nommé Premier ministre. Ce qui avait provoqué des altercations entre agents de la CMIS et des bérets rouges. Après près de 20 ans de silence, cet ancien homme de confiance du 2ème président de la Guinée indépendante (1984-2008) sort de sa réserve pour dire ce qui s’était passé. Du haut de ses 70 ans, il passe sa retraite à Labé, sa ville d’origine. Dans cette interview exclusive accordée à Africaguinee.com, l’ancien « tout-puissant » préfet de Dubreka revient sur son parcours et ses rapports avec le défunt président. Il évoque aussi certains noms tels que Zainoul Abidine Sanoussy, Kiridi Bangoura, Cellou Dalein Diallo, Lansana Kouyaté. Entretien avec l’un des hommes de main de Lansana Conté.

AFRICAGUINEE.COM : Elhadj Mouctar Brada Dramé bonjour ! heureux de vous retrouver après tant d’années d’absence. Au temps du régime de Lansana Conté, on a beaucoup parlé de vous : Brada sportif, Brada politicien et administrateur territorial. Aujourd’hui silencieux. Pourquoi ?

C’est un silence normal après des services rendus à la nation. J’ai fait mon temps, c’est un autre temps qui vient maintenant que je respecte. Je suis déjà à la retraite avec mes 70 ans. Je m’occupe de ma vie, de ma santé, j’ai marqué un arrêt à toute activité politique. Je me consacre aux affaires sociales maintenant. Je passe du temps avec la famille, je vais à Labé de temps en temps pour retrouver les proches, les sages de Labé pour les bénédictions habituelles.

J’ai entendu des gens appeler Brada Monsieur 3 points. Pourquoi cette appellation ?

Dans le monde du Basket, il y a les Sheets à 2 points, les Sheets à 3 points. Hors de la ligne, c’est 3 points, dans l’intérieur de la bouteille c’est 2 points. Donc j’étais très adroit, j’arrivais toujours à concrétiser mes tirs, mes Sheets. Dès que je me lève on dit 3 points. C’est de là que c’est parti Monsieur 3 points.

Brada à Labé, en politique c’est le fervent défenseur du PUP (parti de l’unité et du progrès) et du général Conté dans le fief de Siradiou Diallo. Comment cet amour est-il parti entre vous et le général ?

Beaucoup se posaient la question comment j’ai d’abord eu la tranquillité à Labé avec le parti au pouvoir et l’amour de la population. Moi-même je ne peux pas l’expliquer. C’est toute une histoire. J’étais maire adjoint à Labé. Le président Conté m’a pris ici pour m’envoyer à Conakry. Il m’a confié le PUP à Labé. À partir de cette marque de confiance, je me suis juré de respecter mon engagement. Ceux qui sont venus avec moi, j’ai avancé avec eux, personne n’a été obligé de nous rejoindre. C’était le début du multipartisme en Guinée, donc l’ouverture de la démocratie, l’heure du libre choix. Moi j’avais choisi Lansana Conté. Je pense qu’il a compris ma fidélité loin de tout bruit. J’ai bénéficié de plusieurs décrets par après, directeur préfectoral de la jeunesse de Labé, chef de cabinet au gouvernorat de Boké, préfet de Boffa, préfet de Dubreka, en fin je suis retourné au ministère de l’administration du territoire où j’ai terminé ma carrière. C’est la confiance, beaucoup de confidences passaient entre nous plus qu’entre lui et certains ministres même. Il m’a respecté et aimé, je n’oublie jamais.

lansana-conte

La confiance était tellement allée loin que finalement pour partir chez lui, il s’arrêtait à la résidence à Dubreka. Il demande à Mme (sa femme) de donner le repas il mange alors que je suis au bureau, il continue son chemin. Un jour même, il vient manger le temps pour lui de se retirer avec son cortège ça coïncide à mon arrivée, il avait déjà bougé. Lorsque je l’ai appelé en disant « Président ». Il arrête le cortège, il dit tu étais où Ma Manguè, je dis au bureau. Alors, je me suis mis dans le cortège, nous sommes partis à un endroit sûr pour échanger. Imaginez un président qui prend le risque de manger ailleurs, c’est une preuve d’une grande confiance.

Un préfet pour urbaniser Dubreka tenait à cœur semble-t-il au général mais le choix de la personne posait problème. Finalement le choix est tombé sur vous comment les choses sont arrivées réellement ?

D’abord, au temps de Zainoul Abidine Sanoussy, j’étais au gouvernorat de Boké en tant que chef de cabinet, Kiridi était le secrétaire général du ministère. Zainoul venait souvent, il a demandé à son adjoint Kiridi de m’envoyer à Boffa comme préfet. Le décret est passé. Alors, à Boffa j’ai engagé des travaux pour viabiliser la ville. A chaque fois que le président Conté passait, il était très content. Effectivement, il voulait quelqu’un sur qui compter pour donner aussi une image de ville à Dubreka, faire des investissements et travailler en son nom. J’avoue que c’était la brousse presque, les singes apparaissent partout. Beaucoup lui ont rapporté que si c’est moi, ils ont espoir que les lignes vont bouger. Alors il m’a choisi, j’ai fait ce que je peux, comme ouvrir les routes. Il n’y avait pas de résidence, nous avons réalisé une, les services déconcentrés de la préfecture, des bureaux ; le gouvernement a aidé pour faire bitumer les routes. A des endroits, nous avions besoin des toilettes publiques tout était prioritaire. Nous avons fait ce que nous avons pu.

Centre de Dubreka
Dubreka

Dubreka a attiré du monde pour les habitations alors que peu avant, même si tu offrais aux gens des terres à Dubreka, ils ne prenaient pas tellement c’était enclavé. Je pense que j’ai quitté mes fonctions avec tout le respect avec les populations de Dubreka. Chacun était content de l’autre. Mais toute œuvre humaine n’est pas parfaite, parfois en tant qu’autorité tu peux envoyer des agents faire des travaux ils font plus ce que tu leur a dit de faire. Après, c’est toi qui es engagé. J’avoue qu’avant moi, le Général a voulu investir à Dubreka. Mon arrivée a fait la ruée vers Dubreka, les gens ont construit. Les coutumiers ont accepté la cohabitation, aujourd’hui c’est plein.

Des indiscrétions font état de jalousie entre vous et certains proches du président résident à Dubreka pour la gestion de cette préfecture. Qu’en est-il ?

En effet, tellement que le général m’aimait, certains de ses proches parents sont devenus jaloux. Notamment des personnes auxquelles il a donné les moyens de travailler Dubreka ils ont mangé l’argent. Des personnes qu’il avait mises devant ont pensé qu’il fallait partager pour les familles, pour eux c’était ça la mission, finalement rien n’a changé. Quand il m’a envoyé, les sages m’ont conseillé de travailler. Ces sages m’ont aidé à travailler et à investir selon la priorité des besoins. Beaucoup étaient contents de mon travail, mais des proches parents du président lui ont dit de choisir entre le préfet Brada et eux la famille. Alors, il dit comme vous faites de l’ethnocentrisme, j’ai choisi le préfet, vous quittez chez moi. Il m’a maintenu. Ce jour, si Conté utilisait l’ethnie, on m’aurait enlevé de mon poste de préfet. Conté n’était pas raciste, ni ethnocentriste. A chaque fois, s’il voulait nommer un cadre, quand la proposition est faite, il ne regardait pas son nom ou sa région. Je ne pense pas s’il y a une région, une ethnie qui n’a pas eu de promotion à chance égale en Guinée. Il n’y avait pas de postes stratégiques pour son ethnie. Le peu d’acquis en termes de liberté de démocratie c’est avec lui.

Cette proximité avec le Président vous ont coûté cher lors des évènements de janvier-février 2007. Votre résidence de Labé a été complètement détruite par une foule en colère. Comment vous avez vécu ces moments ?

Quand j’ai appris que la maison est vandalisée, je n’ai pas pleuré, je n’ai pas accusé quelqu’un. Mon inquiétude c’était de savoir si les ouvriers n’ont pas été touchés par les manifestants, parce que la maison était en rénovation. Heureusement, il n’y avait rien de tout ça. J’ai gardé mon sang-froid, je suis resté moi-même. Ma mère qui vit encore m’avait dit : Mouctar, gagner et perdre sont constitutifs de la vie. Elle me dit prends ton ablution et fais 2 Rakats et rends grâce au bon Dieu, c’est lui qui t’a donné et c’est lui qui retire également. Je suis resté au-dessus de ça. Je ne sais comment l’expliquer, mais seulement ceux qui ont touché ma résidence, ce n’était pas la meilleure approche. Chacun de nous est libre de soutenir qui il veut. J’étais libre de choisir mon camp tout comme eux.

« Une résidence où président dort reste un patrimoine, ce n’est pas à casser »

Cette résidence a été un patrimoine pour moi. Parce que le président Conté est venu y passer la nuit lors de courts séjours ou lors de visites privées et autres. Tout ça dénote de la confiance. Une résidence de ce genre n’est pas à casser mais à conserver. Le président venait là passer du temps sans les grands cortèges et sirènes.

Avez-vous eu l’occasion d’en parler avec le Président pour tirer les leçons ?

Nous en avions parlé quand il a eu les informations de ce que j’ai vécu. Nous avons longuement échangé autour. Il avait même ordonné à Fodé Bangoura de venir rétablir la résidence, chose qui n’a jamais été faite. Elhadj Sekhouna Soumah, le Kountigui de la Basse-Guinée qui vit encore m’est témoin, lui aussi lui avait dit de réparer la maison du préfet Brada, ce qui n’a pas eu lieu, ils ont fait autre chose. Ils n’ont pas respecté la parole du président mais je m’en tiens à Dieu. C’est pourquoi la résidence est encore là dans cet état. Heureusement dans la vie, tout passe. Par la bénédiction, je suis de Labé mon père est de Dow Saaré ma mère de Ley Saare. Dieu aidant j’avais une autre résidence, c’est là où vous m’avez trouvé, j’ai fait des investissements ici.

Après les événements de 2007, le Général avait nommé Lansana Kouyaté premier ministre qui a son tour avait remplacé tous les préfets et gouverneurs. Mais à Dubreka vous Mouctar Brada, vous avez refusé de céder le poste à un autre préfet. Pourquoi cette attitude alors que c’est un décret présidentiel qui touchait tout le monde ?

Le président Lansana était malade, le premier ministre d’alors faisait signer des décrets non valables qui étaient combinés à la présidence. Quand le président n’est pas bien portant, ils font des listes on envoie on le fait signer. Dans ça, ils ont introduit mon nom. Ils ont dit que c’est le général Lansana Conté qui a signé, mais quand le général est venu à Dubreka, je suis allé lui montrer le décret, il me dit : Non ce n’est pas moi, je n’ai jamais ordonné à ce qu’on t’enlève de Dubreka. Il venaitt de se rendre compte. Donc, je lui dis : Monsieur le président je vous demande la route. Il dit non, tu restes ici. Le premier ministre Lansana Kouyaté s’est permis de m’envoyer un peloton de CMIS (compagnie mobile d’intervention et de sécurité) pour me sortir de force à la résidence.

Lansana Kouyaté

Je me suis préparé conséquemment, entre temps le Général Lansana Conté envoie des bérets rouges chinois qui ont chassé la CMIS. Je suis resté et les populations sont sorties massivement pour me soutenir. Ce qui m’a marqué de plus dans cette affaire, ma mère a quitté Conakry elle-même au volant de sa voiture pour venir me dire : Mouctar sors de ces problèmes, quittes ici. Elle m’a pris pour partir. Je n’avais plus de mots, je l’ai suivi jusqu’à mon domicile de Conakry. C’est comme que ça je suis parti. Les gens ont tout fait afin que je revienne, je dis c’est bon. Je remercie les populations de Dubreka et je leur reste reconnaissant pour tout.

A Dubreka, le citoyen lambda vous apprécie, mais de l’autre coté on vous accuse d’avoir brader des terres. Même vers la fin c’est Alpha Condé lui-même qui vous a tancé publiquement. Est-ce que vos responsabilités ne sont pas engagées dans le foncier à Dubreka ?

Ça me fait rire même parfois quand j’entends des gens dire que j’ai fait du mal à Dubreka. Il ne faut pas confondre amour et tambour. Le travail et le bruit ne sont pas la même chose. J’avais fait ce que j’estimais être bon et recevais les ordres. Il ne faut pas oublier que quand même c’est chez Lansana Conté. Tous les jours, il était là-bas, je ne faisais rien sans le consulter. Il était d’accord des fois, mais de nombreuses fois aussi il était contre et il me le disait. J’ai agi sur la base des instructions, si quelqu’un n’est pas content qu’il se plaint ailleurs.

Revenons sur le pont de Fatala à Boffa, des résistances ont été longtemps enregistrées pour sa construction. Des populations qui vivaient de la traversée au Bac ne tenaient pas à sa réalisation. A l’époque, Cellou Dalein Diallo était ministre des travaux publics vous préfet de Boffa. Des confidences ?

Oui il y a eu de fortes résistances au début, mais c’est par manque de connaissance sinon on ne peut comparer l’avantage d’un pont à un Bac. C’était l’enfer pour la traversée au Bac. Les populations souffraient là. Des passagers perdaient assez de temps sur place sans traverser. Les populations qui y habitaient ne vendaient pas leurs poissons, leurs sels après le passage du Bac. Elles perdaient leur production agricole faute de pont pour les acheminer vers les marchés. On attendait que la traversée pour vendre un peu, donc elles en souffraient, c’est le pont qui pouvait soulager chacun. Certains ont estimé qu’ils vivent des frais de traversée du Bac.

Mais à un moment donné, le président de la République a dit : c’est le pont ou rien. C’est vrai Cellou Dalein était ministre des travaux publics, j’avais parlé avec lui, on n’avait pas le choix que d’aller. Je lui ai monsieur le ministre vous pouvez lancer les travaux, je vais sensibiliser les populations. Finalement, le pont est tracé, tout s’est bien passé. C’est après que les populations ont compris que c’était pour leur bien. Conté a refusé d’être pris en otage par ses proches face à beaucoup de situations. Il a exigé le pont et puis le rêve s’est réalisé.

A suivre…

Entretien réalisé par Alpha Ousmne Bah

Pour Africaguinee.com

Tel : (002224) 620 93 45 45

Créé le 1 avril 2024 11:57

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