Guinée : Qui est Aly Touré, procureur qui rêvait d’être footballeur?

CONAKRY-Il rêvait devenir footballeur, mais le destin l’a amené loin des stades de foot. Aly Touré, procureur spécial près la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) a un parcours atypique. Portrait d’un jeune magistrat qui a eu une ascension fulgurante dans les girons de l’appareil judiciaire.

Éloigné des pelouses, Aly Touré est désormais plus proche des prétoires des tribunaux guinéens. Ce jeune magistrat est un pur produit de l’école guinéenne. Jusqu’au 05 septembre 2021, il n’était pas connu du grand public, bien que par ailleurs, ayant fait le tour de plusieurs parquets du pays. La junte qui a renversé Alpha Condé a placé la justice au centre de ses actions. Avec à la clef la lutte contre les crimes économiques et de sang. Aux premières heures de leur arrivée, les autorités de la Transition ont créé la Cour de Répression des Infractions et Economiques (CRIEF). Une juridiction spéciale qui polarise les débats depuis sa mise en place dans un pays gangrené par l’impunité des crimes de tout genre.

La tâche est immense. Pour traquer les délinquants financiers, Mamadi Doumbouya a misé sur la nouvelle génération de magistrats. Parmi eux, Aly Touré, 43 ans. Il dirige le parquet spécial de la CRIEF. Sa mission ? Poursuivre les présumés grilleurs d’arachides de l’économie guinéenne. M. Touré n’a tergiversé pas dans cette mission. Il cible des personnalités du régime déchu, s’en prend à l’élite politique souvent considérée comme intouchable. Aly Touré ne s’est pas donné de limite. Qui est ce téméraire procureur ?  Africaguinee.com dresse son portait.

Né à Conakry le 23 septembre 1980 de parents guinéens, Aly Touré tient sa profession de son père qui était « magistrat populaire », autre appellation à l’époque des magistrats de l’actuelle Cour Suprême. Il est marié et père de famille.

C’est dans une école privée de Dixinn qu’il fait ses premiers pas à l’école française. Après le primaire, il fréquente successivement le collège de Ratoma, puis le Lycée Kipé où il décroche le Baccalauréat 1 et 2 avant de rejoindre l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry. Il sort avec une maitrise en droit privé. C’était en 2000.

A la suite, il part au Maroc au compte de la Francophonie pour une formation de 18 mois avant de revenir en Guinée. A son retour, il fait un stage informel au Tribunal de Dixinn de 2003 à 2007 auprès d’un certain Moundjour Chérif, magistrat de renom, aujourd’hui en service à la Cour Suprême.

Les choses s’accélèrent vite, son ascension aussi. L’Etat Guinéen décide d’organiser un concours de recrutement des auditeurs de justice des futurs magistrats. Sur plus de 500 candidats il n’y avait que 30 places à pourvoir. Encouragé par son maitre de stage, M. Moundjour Chérif, il se lance dans la bataille. Il y avait pour un premier temps un concours d’admissibilité et enfin celui d’admission. Il est parmi les 30 admis pour la formation de deux ans pour devenir futur magistrat.

De 2007 à 2009, il fait sa formation au centre de formation judiciaire du ministère de la justice où il sort majeur de sa promotion. « C’était un brillant étudiant », confirme un de ses anciens amis, aujourd’hui à la tête d’une grande juridiction du pays.

Début de carrière professionnelle

Dès après sa formation de magistrat en 2009, il est nommé substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Mafanco où il évolue jusqu’en 2015. A la même année, il monte en grade et se voit nommer procureur de la République par intérim près du même Tribunal. Il y restera jusqu’en 2018, puis un Décret le nomme procureur de la République près le Tribunal de première instance de Kankan, c’est en Haute Guinée.

Le jeune magistrat aux allures d’athlète va connaitre une nouvelle mutation. Le changement intervenu à la tête de l’Etat le 05 septembre 2021 a fait naitre une nouvelle institution judiciaire. La Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF), créée en décembre de la même année, par Mamadi Doumbouya.

Le 29 décembre 2021, Aly Touré est nommé Procureur Spécial près la CRIEF. Le défi est immense. Bien que satisfait de cette nomination, le magistrat mesure l’ampleur de la tâche qui l’attend.  Car la CRIEF est une Cour nouvellement créée dans un contexte exceptionnel.

« Notre pays a longtemps pataugé dans les détournements, la gabegie, la corruption… quand on pense que c’est cette Cour qui va lutter contre ces fléaux, et que vous êtes choisis pour animer pour la première fois le parquet de cette juridiction dans notre pays, c’est d’abord de la satisfaction, de la fierté et une énorme responsabilité qui vous animent. Parce qu’il y a l’envie de bien faire et la peur d’échouer », explique le magistrat.

Depuis son installation en janvier 2022, le parquet spécial de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières dont il dirige a ouvert 143 dossiers liés à des détournements présumés de derniers publics, enrichissement illicite, blanchiment de capitaux et d’autres infractions similaires.

Malgré son jeune âge, Aly Touré n’hésite pas à s’attaquer à des puissants et à des intérêts. Il ouvre, non sans risque, des enquêtes contre des anciens dirigeants du régime déchu de Alpha Condé ainsi que ceux de Lansana Conté, autrefois hommes ‘’ puissants ’’ de la République. Dès avril 2022, il met en prison Ibrahima Kassory Fofana, ancien premier ministre, Mohamed Diané, puissant ministre de la défense sous Alpha Condé, Amadou Damaro Camara, ex président de l’Assemblée nationale, Oyé Guilavogui, Lounseny Nabé, ex Gouverneur de la Banque Centrale ainsi que plusieurs autres. Il poursuit Cellou Dalein Diallo, Mamadou Sylla…La détermination du jeune procureur est sans limite.

Chez les avocats des accusés, le ton monte. La défense multiplie les conférences de presse pour tenter de discréditer la procédure du procureur spécial ayant conduit leurs clients en prison. Certains comme maitre Sidiki Bérété n’hésitant d’ailleurs pas à le qualifier de ‘’procureur roi’’.

Des agissements qui amènent le magistrat à sortir de sa réserve avec des révélations qui dépassent l’entendement, des sommes colossales trouvées dans le compte bancaire d’un ministre X, ou d’un directeur général. De ce fait, Aly Touré, se montre imperturbable et intraitable. Cette fermeté, bien que fils d’un magistrat, Aly Touré doit ce caractère à sa formation d’abord mais aussi et surtout à des éminents magistrats qu’il a côtoyé dont le respecté Moundjour Chérif, en service actuellement à la Cour Suprême.

Moundjour Chérif  a été procureur de la République près le tribunal de première instance de Kaloum, puis au TPI de Dixinn, Mafanco, procureur général près la Cour d’Appel de Conakry avant de devenir avocat général à la Cour Suprême. C’est auprès de ce magistrat qu’Aly Touré a fait son stage informel. C’est à lui qu’il doit en garde partie sa profession de magistrat. Il l’a forgé dans le vrai sens du terme. A celui-ci s’ajoutent d’autres comme William Fernandes, Hassane Bah ainsi que d’autres.

Début mars 2023, alors que les avocats de Kassory et Compagnie attendent la décision de la Cour Suprême sur un pourvoi en cassation pour une éventuelle libération de leur client, Aly Touré les surprend pour annoncer que la chambre de l’instruction a procédé aux investigations nécessaires dans les procédures les  concernant. Il programme l’ouverture du procès pour le 15 du mois, les avocats fulminent et annoncent que personne ne répondra devant la chambre de jugement le jour j.

« C’est leur droit » répond le procureur spécial, imperturbable.  Mais prévient-t-il, « la loi autorise à ce que les prévenus soient extraits de force de leur lieu de mise en détention », car c’est un mandat de dépôt qui les y a envoyés. Le jour du 15 mars, devant le président de la chambre de jugement, il décrit techniquement les démarches qu’il a effectuées pour amener les prévenus à la barre mais ceux-ci ont refusé. Dans sa robe de représentant de la société, il joue à l’avertissement, ‘’ monsieur le président, c’est notre constation, je vous prie d’en tirer toutes les conséquences’’.

Devant des avocats expérimentés de la trempe de maitre Dinah Sampil, il préfère éviter des « tiraillements inutiles » dans les médias. Sa prise de parole est cadrée et ne souffre peu d’ambigüités. Pendant que la défense des prévenus tente de soulever des exceptions, il reçoit l’appui de la partie civile, et sur ce il demande à la Cour de rejoindre sa cause.

La suite du procès,  deux des prévenus se présentent à la barre mais, leurs avocats soulèvent des exceptions. Aly Touré, lui, pense qu’ils n’en ont pas le droit mais, pour l’heure, il s’en remet à la décision finale que rendra le président du tribunal, Francis Kova Zoumanigui.

En attendant la suite que donnera cette bataille judiciaire, l’actuel procureur spécial sait que quoi qu’il en soit, « l’homme est artisan de son destin ». Cette citation qu’il tient de son père lui permet d’être focus sur son objectif.

Un amoureux du football

Aly Touré est un amoureux du cuire rond. Il a joué dans des clubs informel en Guinée. Pendant qu’il faisait sa formation au Maroc, il a signé une licence professionnelle à Hafez, un club de première division. Mais son papa a tenu à ce qu’il revienne au pays après sa formation. Ce dernier rendit l’âme quelques mois après son retour au pays. Grand supporter du Horoya Atlétic Club de Conakry et du Paris Saint Germain, Aly Touré est un grand fan de l’international camerounais Samuel Eto’o, son footballeur préféré.

N’eût été l’insistance de sa maman, il se serait retourné au Maroc pour jouer au football. C’est pourquoi pendant son temps libre, il pratique le football en bon sportif, une façon pour lui de se refaire une nouvelle énergie et faire face aux « délinquants financiers » de la Guinée en cette période dite Refondation.

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

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Créé le 3 avril 2023 09:40