Guinée: Enquête sur la prolifération des cliniques clandestines à Conakry

Image d'illustration

CONAKRY-Le constat est saisissant ! Les cliniques et autres centres de soins « clandestins » prolifèrent de manière anarchique en Guinée, notamment à Conakry, la capitale. Le déficit infrastructurel sanitaire favorise cette prolifération. Pour une population estimée à 12 millions d’habitants, la Guinée, après plus de 60 ans d’indépendance, ne dispose que de deux CHU, en état de vétusté, sept hôpitaux régionaux.

En l’absence d’infrastructures sanitaires publiques de qualité, répondant aux normes requises, et la faiblesse de l’offre de soins global, les cliniques et autres cabinets de soins « clandestins » poussent comme des champignons en Guinée. Ce qui n’est pas sans conséquences pour la santé des populations. Enquête.   

Selon le Plan national de développement sanitaire 2015-2024, il existe 1. 383 structures sanitaires publiques, toutes catégories confondues, réparties comme suit : 925 postes de santé, 410 centres de santé, 5 centres de santé améliorés, 33 centres médicaux communaux et hôpitaux préfectoraux, 7 hôpitaux régionaux et 3 hôpitaux nationaux. 

Sur le nombre total d’infrastructures publiques, (soit 258 postes de santé, 201 centres de santé et 12 hôpitaux préfectoraux, 5 centres de santé communaux, 4 hôpitaux régionaux et 2 hôpitaux nationaux), 51% se trouvent dans un état physique et de fonctionnalité non appropriés par rapport aux standards définis. 

La plupart des infrastructures sanitaires du pays ne répondent plus aux normes requises en la matière. Avec la survenue de la Maladie à virus Ebola (MVE) en 2014, 94 formations sanitaires, soit 6%, des infrastructures sanitaires du pays ont été fermées en novembre 2014 à cause de la désertion et au décès du personnel de santé.

Les chiffres de la direction nationale des établissements hospitaliers de soins et de l’hygiène sanitaire, sur les structures sanitaires sont illustratifs. Selon son dernier rapport, en 2019, la Guinée totalisait 532 cliniques et cabinets de soins agréés dont 303 à Conakry avec seulement 63 disposant le droit d’exploiter leur service. 469 ne sont pas en règle. 

Selon le directeur national des établissements hospitaliers de soins et de l’hygiène sanitaire, la Guinée totalisait 532 cliniques et cabinets de soins agréés en 2019. La capitale guinéenne compte en tout 303, mais seulement 63 disposent le droit d’exploiter leur service.

«A la Direction nationale des établissements hospitaliers de soins et de l’hygiène sanitaire, nous nous occupons aussi bien des structures sanitaires publiques que des structures sanitaires privées agréées. Il se trouve qu’aujourd’hui, sur l’échiquier national, il y a beaucoup de structures qui sont implantées de façon clandestine, et ça ne relève pas du tout de notre ressort. Nous, nous donnons l’offre des soins et nous supervisons les choses qui sont agréées. Il revient maintenant à l’Inspection générale de la santé de faire un peu le balayage de ces différentes structures pour voir qui est en règle et qui ne l’est pas. Celui qui n’est pas en règle, non seulement, on le ferme ou si c’est une infrastructure digne de foi, ils demandent à ces gens de se mettre en règle dans un bref délai » explique Dr Aboubacar Conté.

Raisons de l’arrêt des inspections

D’après l’inspecteur général de la santé, la lutte contre les cliniques clandestines s’est momentanément arrêtée à cause de l’apparition de la pandémie du coronavirus. « Beaucoup de démarches ont été menées auparavant, mais cette année, à cause de la Covid-19, beaucoup d’activités ont été temporisées compte tenu des affectations et même des risques. Mais, je voudrais vous rassurer que toutes les stratégies sont en train d’être mises en place afin de pouvoir contrecarrer la prolifération des cliniques et cabinets de soins qui ne répondent pas aux aspirations du système de santé des Guinéens. Aujourd’hui, nous sommes en train de tourner une phase et nous souhaitons que 2021 soit une année de bonheur pour tous afin que nous puissions reprendre ce combat », a déclaré Dr Damani Keita.

Médecins malhonnêtes

L’inspecteur fustige  le comportement de certains médecins de la santé qui, malgré leur statut de fonctionnaire, se permettent de créer en parallèle des cliniques privées clandestines. « Il y a des fonctionnaires dans ce pays qui sont malhonnêtes. Il y a des médecins qui travaillent dans des hôpitaux publics et qui prennent de salaires mensuels réguliers, mais parallèlement, ils ont leur propre clinique. Parfois, il y en a qui viennent s’installer alors qu’ils n’ont aucun document. Certains disent qu’ils sont hospitalo-universitaires. Vous allez trouver des jeunes sortants d’université qui ont fait des stages et qui sont installés sans aucun document. Ils sont connus de tous. Il est arrivé des moments où on a fermé des cliniques et 6 mois après, elles ont rouvert sous d’autres appellations pour échapper au contrôle. Mais, à l’entame de 2021, nous allons procéder à des opérations sur le terrain. Tous ceux qui n’ont pas de documents, on les obligera à fermer. On l’a fait avec les équipes de Thiégboro (directeur de l’Agence nationale chargée de la lutte contre le trafic de drogue, le crime organisé et le terrorisme, Ndlr). On le fera, cette fois-ci, encore parce qu’il s’agit de pérenniser le système », a prévenu l’inspecteur général des services de santé.   

Manigance dans la délivrance des agréments

L’anarchie qui règne dans le secteur privé de la santé en Guinée est connu de tous. Des professionnels de la santé reconnaissent cet état de fait. Mais il y a des raisons qui peuvent justifier cela, d’après Dr Benjamin Leno.

Médecin chef au centre médical associatif « Le bon berger de Guinée » et en même président d’une Ong éponyme, Dr Léno dénonce «la manigance » qui entoure la délivrance des agréments. 

« Nous professionnels de santé, nous rencontrons assez de difficultés dans le cadre de l’obtention des documents légaux en l’occurrence l’agrément. Très honnêtement, je peux vous dire qu’on a des difficultés. Parce que je ne sais pas, si c’est une décision de la haute hiérarchie du ministère tutelle à ne pas octroyer les agréments à tout le monde. Sinon, nous sommes dans un métier noble, moi-même, étant médecin, pour que j’obtienne un agrément, il y a eu un certain nombre de critères que je dois remplir. Le ministère devrait exiger que tout médecin assermenté qui n’est pas engagé au compte de l’Etat et qui est encore dans le marché parce qu’il faut savoir que le métier de médecin est libéral, si quelqu’un a la vocation d’exercer le métier, que l’on sache qu’il est médecin et qu’il est inscrit à l’Ordre national des médecins pour pouvoir exercer. Même s’il y a une poussée anarchique des cliniques, mais pour ceux-là qui ont envie d’exercer légalement le métier qu’on leur facilite la tâche afin qu’ils puissent servir la nation », a exhorté Dr Benjamin Leno.

Conséquences sur la santé des citoyens

Même si des statistiques du nombre des victimes de ces « cliniques et cabinets de soins clandestins » ainsi que de l’usage des « faux médicaments » n’existent pas, toutefois, le secrétaire général du syndicat des pharmaciens privés de Guinée déduit que beaucoup de guinéens ont perdu la vie à cause de cette « triste réalité ». Il révèle d’ailleurs que son papa est décédé à cause de l’amateurisme d’un FAUX infirmier vendeur de médicaments. 

« C’est, au moins, 10 millions des guinéens qui se retrouvent dans les cimetières depuis 35 ans. Je suis parti d’un fait banal puisqu’il y a 35 ans, c’est-à-dire en 1984, la Guinée avait à peu près la même population que la Côte d’Ivoire. Nous sommes, aujourd’hui, la moitié de la population de ce pays alors que nous avons les mêmes aptitudes et habitudes. Ce qui fait que la différence de 10 millions d’habitants, je ne peux l’interpréter que par ceux qui ont passé par les faux médicaments puisque tout le monde s’en plaigne sinon, on serait aujourd’hui 24 millions d’habitants. (…) Par exemple, mon papa est décédé des suites d’un mauvais traitement d’un infirmier vendeur de faux médicaments. Il lui a administré un produit en forme d’ampoules via une seringue alors que ça devait être par voie buccale. Mon papa, étant diabétique, avant qu’il ne retire la seringue, il est tombé et en est mort. Comme lui, il y en a des milliers des Guinéens qui meurent comme ça tous les jours », a déploré Dr Manizé Kolié. 

Agronome devenu ophtalmologue

« Pendant notre sortie avec Thiégboro, on a rencontré un agronome Sierra Léonais qui est devenu ophtalmologue en Guinée. Seul Dieu qui peut te sauver dans pareilles conditions, j’ai de la peine à parler du secteur de la santé, tellement miné par la corruption », a fustigé le pharmacien.

Dans le Plan national de développement économique et social ( Pndes 2016-2020), il était prévu la construction, l’extension et l’équipement des plusieurs infrastructures sanitaires, notamment l’institut de perfectionnement de personnels de la santé à Donka, la construction des sièges des programmes nationaux de santé (VIH/SIDA, PALUDISME, TB, THA, PNSMR), la construction du Siège de l’INSP, la construction du siège Oncho-Cécité/MTN à Conakry, la construction d’un dépôt pharmaceutique moderne de la PCG, la construction et l’équipement des hôpitaux régionaux à vocation universitaire de type modulaire à Labé et à Kindia, la construction et l’équipement d’un CHU de 500 lits à Sonfonia, le Projet de renforcement de la nutrition en Guinée, le Projet médicaments pour tous, la rénovation et l’équipement du Laboratoire national contrôle de qualité, la rénovation et extension du Centre national de transfusion sanguine (CNTS).

Infrastructures largement en dessous 

De 2010 à nos jours, selon la direction nationale des établissements hospitaliers de soins et de l’hygiène sanitaire, en matière de réalisation d’infrastructures et d’équipements, il a été construit ou rénové et équipé : 223 centres de santé rénovés, 12 centres santé améliorés, 10 hôpitaux préfectoraux, 38 centres de traitement épidémiologiques et deux centres médicaux communaux de santé. 

«Lors de notre tournée, à l’intérieur du pays, nous avons trouvé dans certaines localités, la construction des infrastructures sanitaires telles que : Dabola, Guékédou et à Kankan où nous avons trouvé des chantiers, mais largement en dessous des attentes des populations. Ceci étant, il fallait que le gouvernement se rende compte que la santé doit être sa priorité. Nous n’avons que deux centres hospitalo-universitaire, Donka et Ignace Deen qui sont aussi vétustes. Donka est en rénovation qui n’est toujours pas encore terminé. Il faut des hôpitaux dignes c’est à dire des centres hospitalo-universitaires dans les 8 régions administratives. Et les hôpitaux qui se trouvent dans nos préfectures et sous-préfectures sont des anciens modèles. Tous ont besoin de retouche sur la plan infrastructure, technique avec la requalification du personnel parce qu’il y a très peu de spécialistes dans les préfectures. Tous les spécialistes sont concentrés à Conakry alors qu’il y a des services qui n’existent pas à l’intérieur notamment la morphologie, la cardiologie, l’ophtalmologie, la diabétologie qu’on en trouve pas à l’intérieur », a regretté Ben Youssouf Kéita, ex président de la commission santé de la 8e législature.

En dépit de l’augmentation de 4 à 8% du budget alloué à la santé, le médecin exhorte le gouvernement à construire des infrastructures sanitaires adéquates. Il a surtout invité au nouveau parlement à veiller à ce que le montant voté soit exécuté convenablement sur le terrain. 

Enquête réalisée par Aboubacar Siddy Diallo

Pour Africaguineee.com

Tel: (00224) 664-72-76-28

Créé le 3 février 2021 15:08

Nous vous proposons aussi

TAGS

étiquettes: , ,

SONOCO

TOTALENERGIES

UNICEF

LONAGUI

cbg_gif_300x300

CBG

UBA

smb-2

Consortium SMB-Winning

Annonces

Recommandé pour vous

Annonces

logo-fondation-orange_3

Avis d’appel d’offre ouvert…

mercredi, 15 mai 24 - 11:36 am