Mohamed Saliou Sow, consultant en immigration à New-York: « Nos jeunes compatriotes nouvellement arrivés aux USA souffrent…»

NEW YORK- Mohamed Saliou Sow est un guinéen de la diaspora installé aux Etats-Unis d’Amérique. Il travaille avec les systèmes de l’immigration dans le pays de l’Oncle Sam depuis 23 ans. Ce consultant dispose d’un bureau à New York City pour aider les guinéens dans le processus de l’intégration. Alors que les USA font face à une entrée sans précédent de migrants illégaux, il a arrêté tout travail pour consacrer son temps à l’aide des nouveaux arrivants. M. Mohamed Saliou Sow a répondu aux questions d’un journaliste d’Africaguinee.com. Entretien.

AFRICAGUINEE.COM : Vous êtes consultant en immigration aux Etats-Unis depuis plus de deux décennies maintenant. Depuis quelques mois, le pays connait une ruée massive de migrants qui passent par le Nicaragua. Comment se passe le processus d’intégration ?

MOHAMED SALIOU SOW :  Merci Monsieur Bah et merci à Africaguinee.com ! Je me consacre à aider les migrants depuis des années. A chaque fois qu’il y a une forte présence des migrants, j’abandonne tout boulot pour travailler pour me consacrer à eux. C’est au moment où il n’y a pas suffisamment de migrants que je me tourne vers autre chose. Vous devez comprendre que l’intégration est très difficile ici. La première des choses, c’est l’hébergement. C’est une phase très difficile, il y a les foyers pour les arrivants c’est vrai, si vous êtes un homme célibataire, votre droit dans le foyer c’est 30 jours. Si c’est une famille c’est 60 jours. Si vous rentrez aujourd’hui à 1h du matin, 30 jours après c’est à 1 h du matin qu’ils viendront vous faire partir. Ça c’est à New York City. L’autre problème c’est la période de froid que nous vivons présentement, parfois il fait moins de 8 degrés. Nos jeunes compatriotes nouvellement arrivés souffrent vraiment. Certains passent la nuit dans les trains, ils restent d’ailleurs dans les trains parce que les trains tournent 24h/24 sans arrêt. Ils sont obligés de rester dedans parce qu’il fait chaud dedans. Ils ne sortent que pour manger et remonter encore. Il n’y a pas de places ailleurs, les mosquées sont remplies de monde, les foyers sont remplis aussi. Et nos parents légalement installés et qui vivent là depuis des années ne peuvent plus héberger. Parce que les gens vivent dans des appartements très réduits.

Au début on le faisait mais maintenant c’est compliqué. Vous verrez de petits logements où un père est serré avec sa famille. Il vit avec des grands enfants ; l’intimité n’y est presque pas. Donc inutile de vous dire il n’y a pas de place pour d’autres. A l’heure où je vous parle, un neveu est là, fils d’un frère direct, mais je ne suis pas en mesure de l’accueillir. Il est dans le foyer pour le moment. La communauté guinéenne très soudée fait des cotisations pour louer des chambres au profit de nos frères et sœurs nouvellement arrivées mais ce n’est pas facile du tout. Par exemple, quelqu’un qui a une chambre vide dans son appartement il fait louer la pièce jusqu’à 1000 dollars et plus. Un appartement d’une chambre c’est entre 1500 à 1800. Un grand appartement à 3000 dollars c’est la chance sinon c’est 3500 à 4000 dollars.

Comment les nouveaux arrivent à obtenir de petits boulots ?

Pour le travail, si vous êtes là sans permis de travail, vous ne pouvez pas avoir un travail garanti. Pour la survie, ils vivent de la livraison. Ça aussi il faut être initié parce qu’il faut des applications mobiles pour livrer. Là aussi faute de papiers, il faut contourner le système. Il y a des gens qui peuvent t’aider à contourner le système pour te mettre l’application, tu les payes 500 dollars mais il n’y a aucune garantie. L’application peut être coupée à tout moment, parfois vous ne l’utilisez pas plus d’un mois ils peuvent couper l’application. Parfois même en 2 semaines on peut la couper. Il y a une possibilité d’utiliser les papiers d’un autre citoyen pour travailler en guise de garantie. On ne livre pas à pied mais à vélo. Il faut quelqu’un aussi pour t’acheter un vélo électrique, il te faut environs 1500 ou plus dollars pour acheter un vélo. Si tu n’as pas les moyens pour le vélo, tu loues un vélo à 150 dollars par semaine afin de faire la livraison. Aujourd’hui ceux qui ne travaillent pas sont plus nombreux que ceux qui se débrouillent.

L’intégration est conditionnée par une longue procédure avec des coûts élevés comme les honoraires des avocats. Parlez-nous-en ?

Actuellement, les cabinets d’avocats sont débordés et sont très exigeants. Je collabore avec certains, le migrant doit se présenter et justifier les raisons de son départ du pays d’origine et les preuves qu’il lui est impossible de vivre dans son pays en toute liberté. En tout cas, il faut présenter une preuve solide d’être victimes de persécutions selon les conventions de Genève. C’est avec un dossier écrit qu’on se présente devant un avocat. La prestation d’avocat est très couteuse ici, ça varie ; il y a une catégorie pour défendre ton dossier, ils te réclament jusqu’à 10 000 dollars. D’autres mêmes, le fait de te recevoir dans leur bureau de consultation, ils exigent 250 dollars.

Dans notre assistance nous avons pu expliquer à des avocats l’état de pauvreté des migrants guinéens. Certains acceptent de baisser jusqu’à 6000 dollars. Ils prennent 1500 dollars comme avance, le migrant verse chaque fin de mois 300 dollars jusqu’à la fin.  C’est à l’avocat de déposer les dossiers à la justice pour la demande d’asile. Un autre cabinet fait payer 5500, 1500 comme avance, lui son cas après l’avance, tu ne pays rien jusqu’à ce que tu obtiennes le permis de travail, le reste tu payes 500 par mois. Un troisième cabinet est là à 4000 dollars mais très loin de New-York.

Est qu’on donne des documents distinctifs qui prouvent que ces migrants sont illégaux ?

Il y a assez de détails liés à cette entrée illégale. Tous ceux qui sont entrés par la voie terrestre c’est-à-dire par les frontières, une entrée sans visa ; on marque sur vos documents : ‘’vous êtes à rapatrier’’. On fait signer au migrant qu’il a foulé illégalement le sol américain, il reconnait sur papier. On le notifie officiellement le jour où les conditions de rapatriement seront réunies, il sera reconduit à la frontière. Dès son arrivée d’ailleurs il se présente à la police de l’immigration. Donc, tu restes dans cet état.

Dans quel cas de figure les expulsions sont-elles obligatoires ?

C’est là que l’avocat jouera un rôle important pour votre maintien au pays ici. L’avocat fera signer aux migrants désormais que c’est lui son représentant ici, c’est lui la garantie du migrant. Devant la justice, l’avocat va faire les plaidoiries pour reconnaitre que son client a violé les lois du pays pour entrer illégalement. A côté l’avocat précise à la justice que son client n’est pas venu de son propre gré, mais il est en fuite à cause de la situation de son pays. Il peut invoquer des raisons politiques tendues ou une situation économique difficile. L’état de chaque pays est connu. L’avocat se base même sur les rapports de l’Etat américain sur l’état des droits humains dans le pays d’origine du migrant, les rapports d’Amnesty international. C’est dans ces circonstances que l’avocat indiquera à la justice, nous comptons vous déposer une demande d’asile concernant son client.

La justice accordera entre 30 et 45 jours pour vous permettre de déposer la demande d’asile. C’est là que le migrant joindra les raisons de son départ du pays déjà écrit à la demande de l’asile. Des réceptions de ton dossier, on compte à partir de là 150 à 180 jours avant de te donner le permis de travail. Là aussi il faut une demande. Une fois que tu as le permis de travail, tu es introduit dans le système du pays, tu peux travailler en attendant. Avant le permis c’était pour une validité d’une année, mais c’est 5 ans maintenant. À partir de là tu as accès à tout dans le pays. Ensuite tu auras la carte de sécurité sociale, une carte de 9 chiffres, tout citoyen américain et tout résident a cette carte.

Généralement quelle est la suite pour les demandes d’asile ?

La procédure d’asile va continuer pour toi. Tu auras un premier rendez-vous avec le juge, c’est la prise de contact. A ce premier rendez-vous, c’est l’identification au complet avec toutes les adresses et le pays d’origine. Ensuite, vous aurez le jour du jugement. L’avocat viendra avec toi pour les plaidoiries, le ministère public fera à son tour aussi. Le juge va écouter toutes les parties. Le juge demandera des documents et des preuves qui prouvent que tu as droit à l’asile, des documents qui viennent du pays qui justifient votre raison de fuite, qu’elle soit politique, sociale, économique ou autres. Après, le juge va renvoyer le procès à un autre jour pour le verdict. Le juge a le pouvoir de valider votre asile et vous donner sur place votre papier tout comme il peut rejeter la demande. Il peut dire aussi que la demande d’asile est rejetée mais il s’oppose au rapatriement du migrant. Le juge peut dire que ton argument n’est pas solide mais avec la situation de ton pays on te laisse ici. Tu peux bénéficier d’un permis de travail mais dès que tu sors des USA, c’est fini pour toi tu ne peux plus revenir.  Il peut aussi dire, non seulement c’est rejeté, mais il faut rentrer aussi.

Une remarque, tout migrant qui arrive se dirige vers New York. Qu’est-ce qui explique cette forte concentration dans cet Etat ?

Oui c’est vrai les migrants viennent souvent à New-York. Alors pourquoi les gens préfèrent New York alors que les USA sont très vastes. La ville de New York est la plus accueillante pour les nouveaux migrants. La ville donne l’assurance maladie à tous ses résidents sans distinction. Les statistiques ont aussi montré que les juges de New York accordent plus de documents d’asile que les 49 autres Etats. Ce qui fait que beaucoup préfèrent New York. Mais dès qu’ils obtiennent le permis de travail ils iront vers d’autres Etats pour chercher du travail toutefois ils maintiennent leur adresse à New York. Ils reviennent à tout moment à New York pour le jugement, mais légalement ils doivent y rester jusqu’à la fin de la procédure mais on ferme les yeux sur cette étape au nom de la liberté de mouvement. Mais après avoir obtenu l’asile, ils sont libres de s’installer partout aux USA sans problème. En tout cas les gens découvrent les autres Etats où c’est plus facile la vie par rapport à New York.

Beaucoup de nos compatriotes ont déménagé, ce qui retient les nouveaux arrivants à New York c’est pour la facilité des papiers comme je vous dis. Une fois que les lignes bougent, ils vont se disperser aussi vers les autres villes et Etats. New York garantit l’assurance maladie et d’autres aides sociales à tous plus que les autres. L’intégration est conditionnée par le permis de travail et la carte de sécurité sociale, à partir de là, le pays est ouvert à vous, l’intégration devient plus facile. Beaucoup de nos de compatriotes ont vécu aux USA plusieurs décennies sans papiers mais avec le permis de travail et la sécurité sociale vous pouvez travailler mais sans sortir du pays.

Quel est le statut des enfants qui naissent d’un couple sans-papiers aux USA ?

Aux USA, c’est le droit de sol et droit de sang. Ça veut dire si vous êtes citoyen américain, partout dans le Monde où vous faites un enfant, cet enfant est automatiquement citoyen américain. Si vous entrez également aux USA quel que soit votre situation, que vous soyez légaux ou sans-papiers, l’enfant né de vous est américain. C’est une résolution de 1864, c’est le 14eme amendement. Après la Guerre civile américaine, Abraham Lincoln a proclamé l’émancipation des Noirs et la fin de la traite. Ils ont mis dans la constitution toute personne née aux USA est un citoyen américain. A l’accession de l’indépendance des USA le 4 juillet 1776, il y avait 3 types de citoyens. Un blanc propriétaire des terres et des esclaves était un citoyen plein, un blanc sans propriété était demi citoyen, un noir était un tiers de citoyen, ça veut dire il fallait 3 noirs pour avoir le statut d’un blanc, 3 noirs pour avoir l’équivalence d’un citoyen blanc, 3 âmes noires contre un blanc.

Au 14eme amendement, tout a changé pour dire que tout citoyen né d’un père ou d’une mère américaine est directement américain aussi. Maintenant pour quelqu’un qui est naturalisé américain comme nous autres qui avons migré et avons pris la nationalité américaine, nous avons tous les droits civiques excepté être président des États-Unis. Nous pouvons être sénateur, membre de chambre des représentants, c’est-à-dire parlementaire mais pour être président des USA il faut qu’on soit né sur le Sol américain. C’est à travers cette situation que Donald Trump a lancé sa carrière politique avec l’argument que Barack Obama n’est pas américain, il le qualifie même d’imposteur, les blancs racistes l’ont suivi, c’est comme ça qu’il s’est fait une popularité jusqu’à devenir président. Il disait que Barack est né en dehors des États-Unis donc ce n’est pas un vrai américain. La pression était si forte qu’Obama était obligé de produire son certificat de Naissance qui précise qu’il est né à Hawaï.

Cette vieille loi est toujours en vigueur aux USA. Tout enfant qui naîtra sur le sol américain est citoyen du pays et tout enfant qui naitra d’un père ou mère américain même en dehors des USA est citoyen américain. C’est le 14eme amendement sur les 27. Le tout premier amendement c’est le droit d’expression ou la liberté d’expression, le 27eme amendement le tout dernier c’est la suppression du ministère des postes et télécommunications au profit d’une simple direction. Donc pour faire passer un amendement dans la constitution américaine il faut l’approbation d’au moins 33 États qui rectifient l’amendement fait, il faut également 3 tiers des chambres des représentants et 3 tiers du Sénat estimés à 75 sénateurs et 300 représentants. Donc c’est quasiment impossible de faire un amendement.  Trump avait menacé de faire sauter le 14eme amendement, c’était une façon de faire peur il ne pouvait pas, il n’avait pas ce pouvoir.

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

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Créé le 29 janvier 2024 12:19