Massacre du 28 septembre 2009: Où en est la procédure judiciaire 11 ans après?

Des proches des victimes au lendemain du massacre, crédit photo Human Rigths Watch

CONAKRY-Le lundi 28 septembre 2009, cela fait onze ans, une manifestation des forces vives de la nation composées d’acteurs politiques et de la société civile, a été réprimée dans le sang, par la garde prétorienne, au Stade de Conakry.

La contestation de l’opposition qui visait à s'opposer à une éventuelle candidature à la présidentielle de 2010 du capitaine Dadis Camara, alors chef de la junte a viré au drame. La répression de cette contestation qui se voulait pourtant pacifique, tourne au bain de sang lorsque des membres de l'armée tirent sur la foule, et commettent des viols publics en pleine journée. Le bilan est lourd:  157 morts, 109 femmes violées, 89 portés disparus et 1200 blessés, selon un bilan fourni par des experts des nations-unies.

Onze ans près les faits, des avancées majeures ont certes été enregistrées dans la procédure judiciaire, mais depuis un certain temps, celle-ci semble avoir marqué le pas. L’attente commence a duré mais n’entame en rien l’engagement des victimes d’obtenir justice.  

«Je vis cet événement avec peine parce les victimes n’arrivent pas à obtenir justice jusqu’à présent. Les victimes décédées que leurs âmes reposent en paix, mais il faut que celles qui sont en vie sachent pourquoi ont-elles subi ça. J’ai aussi de la peine quand je vois les femmes qui ont perdu leur honneur au stade ce jour-là. Alors qu’elles étaient juste parties dire non à la candidature des militaires», s’indigne la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA).  

La lenteur de la procédure augmente la peine chez les victimes et proches, mais n'affecte pas leur espoir d'obtenir justice.

«Nous n’allons pas nous décourager par rapport à la lenteur de la justice. On va continuer à réclamer justice tant que nous respirons. De toute façon, on ne va pas tous mourir au même moment, tant qu’une victime du massacre du 28 septembre restera en vie, on va continuer à réclamer justice. Nous souhaitons que cela rentre dans des bonnes oreilles maintenant parce qu’on nous a tellement roulés dans la farine depuis 2009 à nos jours. Le gouvernement avait promis d’ouvrir le procès en juin 2020, cela n’a pas vu jour. Malheureusement, ils n’ont jamais eu le temps de parler de cet événement. On va dire c’est parce qu’il y a le Covid-19, mais il y a des choses qui se passent dans la ville alors pourquoi ne pas penser au procès du 28 septembre. Ce n’est pas seulement pour les victimes, mais c’est pour le peuple de Guinée. On ne sait pas qu’est-ce qui est caché et c’est pourquoi nous réclamons justice. On a tellement eu espoir à ce gouvernement, malheureusement, ils ne nous rendent pas la monnaie. Pour eux, c’est des objets qu’ils ont utilisés et qu’il faut jeter. Si le gouvernement refuse de faire le procès, on n’est obligé de voir ailleurs», prévient la présidente de l’Avipa, Mme Asmaou Diallo.

Evolution de la procédure…

Ouverte 7 ans plus tôt, l’instruction judiciaire sur le massacre est close le 29 décembre 2017La clôture officielle de l’enquête nationale a abouti à l’audition de 450 victimes constituées en parties civiles et à la mise en accusation de 13 personnes renvoyées en procès parmi lesquels l'ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara, les Colonels Moussa Tiégboro Camara, actuel secrétaire d’Etat à la présidence en charge des services spéciaux, de la lutte contre le trafic de drogue et du crime organisé et Claude Pivi, membre de l’équipe chargée de la sécurité du président Alpha Condé. Tandis que 6 des 13 prévenus sont en détention à la Maison d’arrêt de Conakry. Alors que les parties civiles s’étaient pourvues en cassation contre le verdict de la Cour d’appel requalifiant les chefs d’accusation de «crimes contre l’humanité» qui pèsent sur les présumés auteurs, la Cour suprême les a déboutées dans son arrêt rendu en juin 2019 considérant le massacre du 28 septembre 2009 de «crimes ordinaires».

Le souhait de la partie civile

Malgré la lenteur de la procédure judiciaire, Me Hamidou Barry, le coordinateur du collectif des avocats des victimes du massacre garde encore l’espoir de voir s’ouvrir le procès en Guinée.

«Nous avons espoir que ce procès puisse se tenir en Guinée, mais cela ne sera pas facile. Notre position c'est que le procès se tienne ici tant bien que mal. C’est purement pédagogique, les morts sont morts et on ne peut plus réparer. C’est pour ne pas qu’on commette encore les mêmes crimes. Si on demande que l’affaire soit transmise à la Cour pénale internationale, cela peut prendre encore 10 ans. La philosophie de la Cour ce que le pays prenne en charge les crimes qui relèvent de sa compétence. C’est quand l’Etat n’a pas la capacité ou la volonté que la Cour intervienne. Surtout que ces crimes ont été insérés dans le Code pénal de 2016 donc, il faut que nous apprenions à juger ces crimes comme la République démocratique du Congo l’a fait», encourage l’avocat de la partie civile évoquant les pesanteurs politiques et communautaires qui empêchent la tenue du procès.

«Toumba marginalisé»

En cavale depuis le 3 décembre 2009, l’ex-aide de camp de Dadis considéré comme le cerveau dans cette affaire a été arrêté à Dakar et extradé en Guinée en mars 2017. Depuis, il est détenu à la Maison centrale de Coronthie. Son avocat se demande comment se peut-il que son client inculpé au même titre que certains de ses pairs soit le seul en détention à la Maison d’arrêt de Conakry.

«Les autres, aujourd’hui, étant libres de tout mouvement, ils exercent dans les sphères de l’administration publique, assument de hautes fonctions avec tous les privilèges dus à leur rang. (…) Il y a, notamment, le colonel Tiégboro, actuellement secrétaire d’Etat à la présidence, chargé des services spéciaux, de la lutte contre le trafic et les crimes organisés et Claude Pivi de la Garde présidentielle. Ils sont d’ailleurs très nombreux. Toumba est aujourd’hui, prisonnier de ses propres informations. C’est-à-dire de tout ce qu’il sait du système d’alors. Il est le seul à être détenu dans les liens de la présomption. La présomption de l’innocence ne le profite plus.  Il est présumé coupable aux yeux des magistrats en charge du dossier c’est-à-dire le pool des juges d’instruction qui a connu cette affaire en amont et en aval, qui a massacré ce dossier», dénonce l’avocat de Toumba qui accuse la justice de marginaliser son client.

Selon maître Paul Yomba Kourouma, le pool des juges n’a pas interpellé toutes les personnes susceptibles de l’être et a refusé d’écouter les personnes dénoncées par Toumba qui seraient les cerveaux moteurs de cette opération.

"Sans même procéder à des confrontations, à des interpellations, il a rendu une ordonnance de renvoi devant le tribunal criminel de Dixinn. Toumba voit donc actuellement mourir ses témoins à décharge, l’un après l’autre. Toutes ses demandes de mise en liberté provisoire ont été rejetées. Toutes ses demandes tendant à lui permettre d’entreprendre des activités récréatives au sein de la Maison centrale lui ont été refusées. Il s’est donc retrouvé dans un réduit sur un canapé d’une place fait des mains de prisonniers, couvert des puces et des punaises"», déplore Maître Paul Yomba en demandant "l’humanisation" de la détention de (son) client qui, dans ses conditions de détention, a développé une hernie.

«Son mandat de dépôt qui devait être renouvelé chaque 6 mois ne l’a pas été parce que Toumba a été marginalisé et oublié. Et la conséquence du non renouvellement du mandat de dépôt c’est la mise en liberté pure et simple. Si le mandat de dépôt n’a pas été renouvelé à temps, la détention devient arbitraire. Selon la loi, 5 jours avant l’expiration du délai de 6 mois, le juge d’instruction en charge du dossier doit appeler le ministère public, l’inculpé et les différentes parties pour en débattre, savoir si l’inculpé peut voir son mandat est prorogé ou s’il peut bénéficier d’une mise en liberté dans les conditions que le juge peut déterminer. Cela n’ayant été fait, la loi dit qu’il s’agit désormais de la détention arbitraire», estime l’avocat de la défense.

Dadis: «exil forcé»

En «exil forcé» au Burkina Faso depuis 6 ans, Moussa Dadis Camara chef de la Junte d’alors a été inculpé en juillet 2015 par le pool des juges pour son implication présumée dans le massacre. Son avocat, Me Jocamey Haba que nous avons cherché en vain à faire réagir, cette fois-ci, avait, à l’époque, soupçonné que cette inculpation soit pour empêcher son client d'être candidat à l’élection présidentielle du 11 octobre 2015.

A quand le procès ?

Le procureur Sidy Souleymane Ndiaye précise: «Très prochainement, les 13 accusés vont comparaitre devant le Tribunal criminel de Dixinn. Le procureur de la République est en train d’organiser la tenue de ce procès. En ce qui concerne le volet procédural, c’est-à-dire l’accomplissement des formalités préalables telles que prévues par les articles 381 et suivants du Code de procédure pénale. Il s’agit par exemple de la signification de l’ordonnance de renvoi aux accusés et de l’établissement par le président du Tribunal de première instance de Dixinn du Procès-verbal constatant la signification de l’ordonnance qui s’assure de l’identité de chaque accusé, recueille les déclarations spontanées de celui-ci et si l’accusé a un avocat. Le procureur de la République est en train de prendre les dispositions pour faire la copie des dossiers de la procédure à l’intention des parties. Lorsque toutes ces formalités seront réalisées, le dossier de la procédure fera l’objet d’un enrôlement», explique le procureur de Dixinn.

Le magistrat annonce aussi que le procès pourrait, «très bientôt», se tenir au Palais de justice de la Cour d’appel de Conakry où est en cours de construction le futur bâtiment destiné à accueillir le procès dont la pose de la première pierre a eu lieu le 13 janvier 2020. Les travaux devraient durer au moins 10 mois. Le bâtiment devra ensuite être entièrement équipé pour pouvoir abriter les débats.

La loi dispose que tous les accusés comparaissent devant le Tribunal criminel en détention provisoire. Et dans ce cas, le procureur de la République sera amené à exécuter les ordonnances de prise de corps lui permettant de placer en détention provisoire les accusés qui sont en liberté. Contrairement aux récriminations de la défense, le procureur rassure qu’«il n’y a pas deux niveaux d’accusés dans le dossier des infractions commises au Stade du 28 septembre 2009. C’est-à-dire que tous les accusés comparaitront en état de détention provisoire en exécution des ordonnances de prise de corps comme le commande la procédure pénale en matière criminelle».

L’Assemblée nationale a adopté un budget de 78 milliards de francs guinéens (7,8 millions d’euros) pour le financement du procès dont 77% à la charge du gouvernement guinéen, les Etats 17% et l’Union européenne 5,8%.

Nous y reviendrons !

Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 669 91 93 06 

 

 

 

Créé le 28 septembre 2020 11:15

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