Le coup de sang de Baadiko sur l’affaire des 5000 milliards : « C’est un véritable braquage…»

CONAKRY-Alors que le Gouvernement vient de boucler l’opération de mobilisation des 5000 milliards Gnf auprès des banques, le Président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD) vient de jeter un nouveau pavé dans la marre. Dans un entretien accordé à Africaguinee.com, Mamadou Bah Baadiko a donné son analyse sur cette affaire qui continue de défrayer la polémique. Explications.

AFRICAGUINEE.COM : Les autorités de la Transition ont signé un protocole d’accord avec les Banques privées de la place pour une levée financière de 5000 milliards GNF. L’objectif selon l’accord est de financer des projets d’infrastructures prioritaires. Comment analysez-vous ce « montage financier  » ?

MAMADOU BAH BAADIKO : Nous avons suivi cette affaire d’emprunt-jumbo de l’État guinéen aux banques primaires opérant dans le pays. Quelles sont nos remarques sur cette affaire que nous considérons comme extrêmement grave ?

1.L’opération en elle-même : En principe, tous les Etats du monde s’endettent par le biais des « Obligations Assimilables du Trésor (OAT) pour la France ou Bons du Trésor aux USA. Parfois les souscripteurs peuvent même venir de l’extérieur, s’ils y trouvent leur intérêt. Les opérations sont généralement menées dans le cadre du marché monétaire interbancaire, en l’absence d’un marché financier plus vaste. Les banques qui sont les principales intéressées sont absolument libres de participer ou non à ces émissions, en tenant compte de leur propre situation de trésorerie et de leur politique de placement de fonds. L’emprunt dans ces conditions est matérialisé par des titres librement achetés et peuvent être revendus.

Mais ici, nous sommes en présence d’une véritable opération d’emprunt forcé, auprès des banques dont chacune se voit imposé un quota à souscrire, chacune selon la taille de son bilan. Il est donc clair que nous ne sommes plus dans une économie de marché, avec la libre-entreprise, la rencontre libre de l’offre et de la demande ! On entre ainsi dans une économie dirigiste, par décret, sans principes, sur la seule volonté de l’Etat aux mains d’une junte militaire qui n’a de comptes à rendre à personne. Une telle politique qui a échoué partout ailleurs dans le monde, ne peut pas connaître un sort différent ici. Au contraire, plus dure sera la chute.

Comme pour illustrer l’abîme qui sépare les belles paroles de propagande du CNRD de la cruelle réalité, il y a eu cette semaine l’incendie d’un étage du Trésor Public, siège de toutes les opérations financières du pays ! Les ordinateurs sont partis en fumée ! Mais qu’importe, le ministre dit que tout va très bien, c’est sans conséquences ! Tout ceci ne nous sort pas des pratiques bien connues du système mafieux qui gouverne depuis longtemps les finances publiques de notre pays. Souvenons-nous de l’incendie qui avait ravagé il y a quelques années le Ministère du Budget, juste après l’annonce par l’ancien président Alpha Condé, d’un audit ! Tout ceci sans compter le lâche assassinat en 2011 de la pauvre Aissatou Boiro, l’incorruptible directrice du Trésor qui, appliquant à la lettre les instructions fermes reçues du signataire de son décret de nomination, refusait obstinément de payer de fausses factures du temps du CNDD. Les commanditaires de ce crime odieux n’ont jamais été inquiétés. Et pourtant il n’était pas difficile de les retrouver : à qui a profité le crime ? Nous sommes donc en plein « changement dans la continuité ». Le 5 septembre 2021 n’était qu’une simple Révolution de Palais. Le système continue.

2. Deuxième anomalie de l’opération : Le montant a été fixé à la somme astronomique de 5000 milliards de Francs (plus de 530 millions de dollars américains au taux de change actuel) ! Cette somme représente plus de 16% du budget annuel ! Presque le même montant que les revenus miniers, unique source interne régulière de recettes, à 600 millions de dollars. Déjà, nous avons senti que la planche a billets s’est remise en marche, certainement pour faire face à la crise de trésorerie de l’État. Ainsi, depuis juin 2023, la dépréciation du Franc guinéen atteint près de 6%. Les conséquences sur les prix la consommation ne vont pas tarder à se faire sentir, dans ce pays qui importe presque tout ce qu’il consomme.

Le Gouvernement justifie ce prêt financier par la nécessité de combler le déficit budgétaire pour faire face aux projets de développement du pays. Dans un contexte de tarissement des financements extérieurs trouvez-vous cet argument compréhensif ?
On nous dit vaguement que ce sera pour combler le déficit budgétaire. Très grave : on ne dispose d’aucune précision sur l’utilisation des fonds collectés ! Si comme ils le disent, ce sera pour financer des projets prioritaires, ils doivent obligatoirement indiquer à quelles lignes budgétaires correspondent les 5000 milliards de l’emprunt, Franc pour Franc, projet par projet. Mais on l’a bien compris, cet argent sera utilisé à discrétion, pour compenser l’effondrement des recettes du Trésor (dans un contexte dépenses incontrôlées), ou pour quelques actions dérisoires de propagande. Cette décision est la conséquence de la très mauvaise situation conjoncturelle que connaît le pays depuis presque un an et de la mauvaise gestion des finances publiques.

Quels sont les avantages et inconvénients de cet accord pour l’économie Guinéenne dans le futur ?
Cette ponction énorme dans la trésorerie des banques servira donc, non pas à financer des projets économiquement et socialement viables, avec un bon retour sur investissement, indispensable au progrès, mais surtout à boucher les trous de trésorerie sans fin d’un Etat en grande difficulté financière et dans lequel règne, le manque total de transparence et de contrôle, la gabegie, les dépenses somptuaires, les détournements à ciel ouvert, l’enrichissement illicite. Donc plutôt que de s’attaquer à cette énorme machine étatique parasitaire, corrompue, totalement improductive, on passe par des mesures autoritaires d’un autre âge, car ne l’oublions pas, les victimes sont des banques à capitaux privés, régies en principe par des règles du droit OHADA. Plus grave ! Les liquidités que gèrent les banques ne sont pas leur patrimoine mais celui de leurs clients.

Qu’adviendra-t-il si comme il faut le craindre, ces fonds sont perdus dans l’inévitable dépréciation de la monnaie ? A-t-on bien pesé l’impact de cet énorme emprunt sur l’endettement déjà significatif de l’État, sans réalisations palpables pour le bien-être des populations et pour le développement ? Si on n’y prend garde, nous allons retomber dans la spirale infernale de l’endettement et du surendettement, avec un fardeau du service de la dette toujours plus lourd, jusqu’à être insoutenable. Après ce coup de force, nous courons le risque que les banques les plus sérieuses abandonnent le pays, laissant en place seulement celles d’entre elles qui se spécialiseraient dans le crime financier, toujours plus rentable pour elles mais destructeur pour le pays : exportation et blanchiment de capitaux issus du pillage des caisses publiques, du trafic de drogue, du crime organisé, etc.

L’autre risque énorme couru par l’économie avec cette ponction, c’est la crise de liquidité, pouvant entraîner la fuite des clients et l’effondrement de tout le système bancaire pourtant indispensables à l’économie. Nos militaires au pouvoir ne peuvent pas s’exonérer des lois de l’économie. Bref, cet emprunt forcé, c’est la voie de la facilité. Au lieu de faire la chasse résolue à la corruption, aux gaspillages, aux dépenses inutiles, de réduire drastiquement l’énorme fardeau financier de l’État, on se complait dans la facilité avec un simple décret !
Face au tollé suscité par cet accord, l’APB Guinée a précisé que toutes les banques ont souscrit de manière libre et consentante à cette opération qui comporte selon (l’APB) des avantages. Qu’en pensez-vous ?
Il ne s’agit donc nullement d’un choix volontaire des prêteurs, malgré les manœuvres de propagande du porte-parole de l’association professionnelle des banques. Vous avez-vous-même parlé « d’accord aux forceps » ; les banquiers n’avaient pas le choix. C’est un véritable braquage ! Surtout que plane encore sur ces banques la menace incroyable d’une amende de 10 milliards de Fg par mois, pour une sombre histoire de connexion à la Banque Centrale. Et justement n’oublions pas que notre banque centrale ne jouit pas de la plus petite parcelle d’indépendance comme ailleurs et comme il se doit. Ce sont des commis du CNRD.

Selon certains observateurs ce n’est pas une exception Guinéenne. La preuve, des pays membres de l’Uemoa ont levé des dizaines de milliards de FCFA cette année. Qu’en dites-vous ?

On voudrait bien qu’on nous donne l’exemple d’un seul de ces pays où il y a eu comme en Guinée des emprunts forcés auprès des banques, sans la moindre indication de la destination des fonds ainsi collectés. Et surtout pour un montant aussi faramineux, d’une contrevaleur de plus de 330 milliards de Francs CFA !
Votre mot de la fin…

Si toutes les règles d’orthodoxie financière et économique avaient été respectées, nous aurions applaudi sans réserve à une initiative salutaire de mobilisation de l’épargne intérieure, pour le développement. C’est la voie la plus sûre pour échapper aux conditions parfois inacceptables liées aux emprunts à l’extérieur. Mais hélas, tel n’est absolument pas le cas. Bien au contraire, on s’enfonce un peu plus sur le chemin de la ruine. C’est le lieu d’interpeller les dirigeants de l’espace CEDEAO sur l’impérieuse nécessité de mettre rapidement en place la monnaie unique, l’Éco.

Cette institution monétaire régionale gérée dans la rigueur et la transparence pourra animer un vrai marché financier africain, afin de nous sortir de cette dépendance éternelle, source de sous-développement et de misère pour nos populations. Assez de proclamations vides sur le panafricanisme. Les peuples africains en ont assez de la domination étrangère et veulent des actes concrets nous permettant de sortir de la dépendance, de la misère, du sous-développement.

Propos recueillis par Boubacar 1 Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 7 octobre 2023 09:04

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