L’histoire « déchirante » de Aissatou Bodié : ‘’Comment je vis avec le VIH depuis 18 ans…’’

Aissatou Bidjé Baldé

CONAKRY-Mariée à l’âge de 13 ans, veuve 3 années plus tard, Aissatou Bodjé Baldé se bat contre le VIH qui la ronge depuis maintenant 18 ans. Mère de deux enfants, cette séropositive a subi toutes sortes de stigmatisation et de discrimination qu'elle a pu surmonter avec beaucoup de philosophie. Dans cette interview qu’elle a accordée à la rédaction d’Africaguinee.com, dame Aissatou Bodjé Baldé nous raconte, à visage découvert,  son histoire. Déchirante.

En République de Guinée, les derniers chiffres des personnes vivant avec le VIH/SIDA sont alarmants. D’après nos informations, 61 894 personnes vivant avec le VIH ont été recensés ces derniers temps et toutes sont soumises sous traitement  Antirétroviraux (ARV). Parmi ces 61 894 personnes vivant avec le VIH/SIDA, il y a 49 832 adultes, 4 945 enfants, la prévention de la transmission de la mère à l’enfant (PTME) se chiffre à 7 117 personnes. Selon toujours notre source, la charge virale a été réalisée chez 26 213 personnes vivant avec le VIH sous ARV soit 22%.

 

AFRICAGUINEE.COM : Comment êtes-vous tombées malade du Sida ?

AISSATOU BODIE BALDE : J’ai été dépistée le 23 août 2003 suite à un dépistage diagnostic, parce que j’avais développé une maladie. Au fait, j’ai été victime d’un mariage précoce à l’âge de 13 ans. Vous connaissez nos coutumes à l’intérieur, à l’époque on ne parlait pas de dépistage avant le mariage. J’ai vécu avec ce monsieur pendant 3 ans et il est décédé. Je suis restée dans l’abstinence pendant 8 ans et je me suis remariée sans faire aussi le dépistage. C’est là que je suis tombée malade avec ce monsieur et j’ai été dépisté en 2003 lors d’un examen que j’avais fait. C’est là qu’on m’avait informé que j’étais séropositive. Je n’en revenais pas. Je pensais que la vie était terminée pour moi parce que je n’avais même pas d’enfants. Mais Dieu merci, je suis restée dans ça, j’ai suivi des formations sur la vie positive avec des partenaires à l’époque c’était GIZ (la coopération allemande ndlr) et j’ai vu que je pouvais faire quelque chose dans la vie. J’avais su que je pouvais agir dans la lutte et sauver d’autres vies. C’est ainsi que je me suis lancée dans lutte et depuis lors je vis positivement. Je prends correctement mes médicaments et je suis tranquille dans ma santé.

Quelle a été la réaction de votre famille quand elle a appris que vous êtes séropositive ?

Au fait, je suis restée dans l’anonymat pendant 3 ans, personne d’autre ne connaissait mon statut que moi. Je suis restée dans ce stress, j’ai géré ce stress toute seule. Parce que le résultat n’a pas été révélé à moi-même, c’est mon mari d’alors qui avait reçu le résultat, c’est celui qu’on avait informé. Je profite de cette occasion pour remercier ma maman qui m’avait encouragé à faire le traitement parce que moi j’avais dit que je n’allais pas faire le traitement. Ma maman m’avait accompagné chez Pr Cissé de l’hôpital Donka parce qu’à l’époque c’est lui seul qui traitait les PV VIH/SIDA en Guinée, ma maman m’avait dit qu’elle allait m’accompagner jusqu’à ce que je retrouve ma santé ou bien qu’elle me voit décédée. C’est elle qui m’a encouragé à faire le traitement. Ensuite, j’ai continué le traitement avec Pr Cissé et j’ai retrouvé ma santé.

 Depuis lors je me sens libre, depuis que j’ai commencé à suivre les formations j’ai compris que vivre avec le VIH/SIDA, ce n’est pas une fatalité, on peut vivre avec cette maladie aussi longtemps que Dieu le veut mais sous traitement.

Actuellement comment vous vous sentez ?

Actuellement, psychologiquement je suis libre et côté sanitaire Dieu merci. Je suis sous traitement, je suis bien suivie et ne me plaint pas assez. Parce que toute personne peut se plaindre de quelques malaises parfois. Je vis comme les autres. On peut sentir des douleurs même si on n’a pas le VIH/SIDA. Aujourd’hui même, il y a des pathologies qui sont plus graves que le VIH/SIDA. Vous savez, il y a la différence entre le VIH et SIDA. Etre une personne malade du SIDA et être une personne séropositive, ces deux personnes sont différentes. Une personne séropositive est une personne qui porte le virus dans son sang mais qui n’a pas développé la maladie. Mais la personne malade du SIDA est celle-là qui a déjà développé la maladie du Syndrome Immunodéficience Acquise (SIDA). Mais le VIH c’est le Virus Immunodéficience Humaine. Lui, il reste dans le sang, il détruit le système immunitaire le CD4 c’est-à-dire les anticorps qui luttent contre les petites maladies qui entre dans nos corps, le VIH s’attaque à ceux-ci pour les affaiblir. Donc, c’est quand ceux-ci sont affaiblis, quand la personne n’est pas sous traitement que la personne développe la maladie SIDA. Moi je suis une personne vivant avec le VIH et non une malade de SIDA. C’est cela la différence. Donc j’encourage les gens à faire le dépistage très tôt avant de développer la maladie.

Comment vivez-vous en famille ?

Dans la famille, il y a des gens qui soupçonnent mais ils n’osent pas me demander. Il y en a d’autres qui me demandent. Parfois, il y a de ces personnes quand ils me demandent je leur dit oui mais il y a d’autres qui me demandent indirectement, ils me disent ‘’je t’ai vu à la télé’’ et je leur réponds ‘’d’accord, je suis dans la lutte’’. On me voit à la télé mais on s’arrête là parce que je parle du VIH, je parle au nom des PV VIH/SIDA. Je ne parle pas seulement pour divulguer mon statut mais je parle pour aider les autres qui sont dans les coins, qui se cachent, qui ne veulent pas que les gens sachent qu’ils ont le virus, leur montrer que vivre avec ce virus n’est pas une fatalité. On peut vivre avec le VIH et vivre aussi longtemps et faire toutes les activités autant que les autres qui sont en bonne santé, c’est-à-dire qui n’ont pas le VIH si on prend correctement les médicaments, on peut même vivre plus que d’autres.

Parce que si on prend les malades de diabète, leur manger est limité, par contre, une personne vivant avec le VIH, sauf les mangers qui provoquent la diarrhée chez le malade qui sont interdits sinon le malade de VIH peut bouffer tout ce qu’il gagne sur cette terre et il restera en bonne forme.

Quand tu prends correctement les médicaments, ils enferment le virus du coup le virus ne pourra plus se développer dans le corps même s’ils ne peuvent pas le tuer. Personnellement, c’est quand je me retrouve dans la sensibilisation que je me rappelle du virus ou quand je prends mes médicaments. Je sais que chaque personne a une pathologie, il y en qui ont l’hyper-tension, certains le cancer, d’autres c’est le diabète et moi si Dieu m’a donné le VIH, je l’accepte tel qu’il est et je prends mes médicaments correctement, je vis ma vie, et je fais ce que Dieu m’a recommandé de faire, le reste je laisse dans les mains de Dieu.

Menez-vous une vie de couple ?

Actuellement, non. Quand mon mari avec lequel j’ai fait mon dépistage est décédé, j’avais décidé de ne plus me remarier à un monsieur qui n’a pas le même statut que moi. Et donc, je me suis mariée dans la vie associative, lui aussi il était sous traitement, on est resté ensemble pendant des années. Je l’ai amené chez Médecins sans frontières pour une prise en charge et ils ont détecté qu’il était séronégatif. Depuis lors, j’ai subi toutes sortes de stigmatisations et de discriminations venant de lui. On dirait qu'on ne s’était pas rencontré dans la vie associative. Alors qu’il savait que j’étais séropositive avant notre mariage et que lui aussi il était séropositif qui était sous traitement. Mais je ne sais pas si c’est un faux séropositif ou bien si c’est un miracle que Dieu a produit. Parce qu’il peut se produire. C’est l’un des deux.

J’avais fait deux enfants avec lui. Mais en ce moment comme ces deux enfants étaient trop petits et moi je n’avais pas voulu qu’on se sépare en ce temps, parce que ça allait jouer sur la psychologie des enfants, mais finalement j’ai trouvé que ce n’était pas possible. Il s’est remarié avec une autre femme qui est séro-ignorant je peux dire qui ne connait pas son statut. Il a voulu que je sois entre eux là-bas pour encore mettre pression sur moi. Donc j’ai préféré rester seule avec mes enfants que de les suivre avec les discriminations. Parce que j’avais commencé à faire des crises même avec les chocs qu’il me faisait, avec la stigmatisation. Actuellement je vis seule avec mes enfants et je me bats pour préparer leur avenir.

Quel est l’état de santé de vos enfants puisqu’ils sont nés des parents séropositifs ?

Ils sont tous séronégatifs à travers la prévention de la transmission de la mère à l’enfant (PTME). Les femmes font les CPN (la consultation prénatale), leur préoccupation doit être d’abord le test SRV c’est-à-dire la séropositivité du VIH, c’est gratuit et confidentiel. Si tu sais que tu as le virus VIH dans ton sang, protège ton enfant au moins en prenant les antirétroviraux (ARV) tout en suivant les conseils des médecins. Parce qu’on a même les agents psychosocial qui sont là uniquement pour conseiller les gens comment prendre les médicaments correctement, comment se comporter pour ne pas transmettre le virus et quand tu as le virus comment il faut le gérer. Si la femme enceinte qui a le VIH prend correctement les médicaments, ses enfants pourront téter le lait maternel. Moi, mes enfants ont tous tété. Il n’y a certes pas un risque zéro, mais quand la nourrice  prend correctement les médicaments, les enfants ont 99% de chance de ne pas être infecté par le VIH.

Quelles sont les actions que vous menez sur le terrain de la lutte contre le VIH/SIDA en République de Guinée ?

Nos actions sont nombreuses. D’abord, l’objectif de notre association, Fondation Espoir Guinée, c’est la prise en charge psycho-social des personnes vivant avec le VIH. Parce que quand ces personnes-là sont psychologiquement libres, elles n’auront pas l’intention de propager la maladie. Mais si elles sont frustrées, elles auront l’esprit de vengeance et c’est ce qui est très mauvais. Et nous sortons dans la communauté aussi pour des sensibilisations et des dépistages précoces afin de faire des témoignages, montrer aux gens qu’on peut vivre avec le virus sans le savoir. Et quand tu le détectes très tôt, tu peux barrer la route à la maladie et empêcher le SIDA de se développer dans le corps. Quand la personne porteuse du virus se dépiste à temps, suit le traitement, elle ne va pas développer la maladie SIDA mais elle peut-être une séropositive. Il y a tant de personnes, quand tu les vois, même si on te dit de toucher le Coran tu ne vas pas croire qu’ils ont le virus parce qu’il est bien arrêté parce qu’il prend correctement ses médicaments et psychologiquement la personne est libre.

Comme je suis en train de le faire avec mon ONG, on fait des vidéos, sketchs et on fait des sensibilisations. Pendant le mois de décembre, pendant 15 jours, on a été sur le terrain pour sensibiliser et dépister. Toute personne dépistée positive on la met automatiquement sous traitement. Il y a aussi des produits qui sont mis en place en Guinée et en Afrique de l’Ouest. La prise en charge est gratuite avec Médecins sans frontières.

Le gouvernement est en train de faire des efforts, mais il y a toujours des petits soucis au niveau des centres. Les centres où médecins sans frontière évoluent la prise en charge est vraiment de qualité. Et je profite d’ailleurs pour lancer un appel à l’endroit des partenaires qui sont dans la lutte de s’inspirer de MSF parce que c’est une structure de référence. Les actes qu'ils sont en train de mettre en place, si tous les partenaires faisaient comme eux, on serait beaucoup plus loin dans la lutte. Les PODI par exemple. Le programme national de lutte a aussi prévu de construire d’autres PODI à l’intérieur du pays, c’est bien, et c’est salutaire. Mais s’il s’agit de prendre de local, si les partenaires laissent, les associations ne pourront pas prendre en charge le paiement des frais de location.

Votre dernier message ?

Ce que je peux dire aux personnes vivant avec le VIH, c’est de venir à l’hôpital et se faire dépister à temps. Même si on est négatif aujourd’hui, à chaque trois mois, il faut venir se faire dépister comme c’est gratuit et confidentiel pour savoir s’ils n’ont pas le virus pour se prévenir. S’ils ont le virus, ils peuvent être sous traitement et vivre aussi longtemps qu’ils le veulent sans développer la maladie SIDA. Ils peuvent se marier, faire des enfants sans pouvoir les contaminer. Je conseille  tout le monde de partir à l’hôpital sans qu’on ne l’envoie car si c’est la personne qui est partie, elle peut garder le secret à son niveau, prendre son médicament et vivre sa vie.

Et si tu restes jusqu’à ce que tu développes ta maladie et quelqu’un t’envoie, les résultats c’est à ce monsieur qu’ils vont être remis. Et si tu es séropositif et que la personne qui t’a envoyé est indiscrète avant que tu n’arrives dans ton quartier tout le monde sera au courant. J’invite tout le monde à amener la maladie à l’hôpital avant qu’elle ne t’envoie à l’hôpital. Car si c’est toi qui l’envoie à l’hôpital, tu peux la gérer et si c’est le contraire, c’est la maladie qui va te gérer.

 

Interview réalisée par Oumar Bady Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel: (00224) 666 134 023

Créé le 9 juin 2021 16:51

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