Diego Aponte : « Nous nous inscrirons dans la continuité de ce que Bolloré a bâti en Afrique »

Diego Aponte

Premier armateur mondial depuis cette année, Mediterranean Shipping Company a également annoncé, à la fin de mars, avoir acquis les actifs de Bolloré Africa Logistics. En exclusivité pour Jeune Afrique, Diego Aponte, son PDG,  revient sur l’actualité très chargée de l’opérateur italo-suisse.

Depuis qu’il a pris la succession de son père, Gianluigi, en 2014, à la tête de la compagnie maritime Mediterranean Shipping Company (MSC), Diego Aponte se montre économe dans ses prises de parole. L’opportunité de se rendre à Genève, pour s’entretenir une heure durant avec le patron du leader mondial du transport maritime, est donc de celles qui ne se refusent pas. D’autant que, depuis le début de l’année, l’actualité de la compagnie italo-suisse est on ne peut plus fournie. MSC, en effet, non content d’avoir dépassé le danois Maersk pour devenir officiellement en janvier 2022 le premier armateur mondial, a également confirmé le 31 mars qu’il reprenait (sous réserve des validations des autorités de régulation) l’ensemble des activités portuaires et logistiques de Bolloré Africa Logistics (BAL), pour un montant de 5,7 milliards d’euros. Son histoire avec l’Afrique est des plus riches, puisque la première ligne ouverte par MSC, à la fin des années 1970, ralliait Anvers à Mogadiscio et que l’opérateur, en 2016, doublait la concurrence sur le continent en étant le premier à oser mettre des navires de 14 000 équivalents vingt pieds (EVP) pour desservir la côte ouest-africaine. En mettant la main sur le premier réseau portuaire du continent, MSC franchit une nouvelle étape dans son développement tout en restant fidèle à une stratégie de hub portuaire qui a fait ses preuves à Lomé, et en conservant une certaine culture du secret qui n’a pas empêché la compagnie de s’installer en un peu plus de cinquante ans au sommet de l’industrie maritime.

Jeune Afrique : Le groupe Bolloré a surpris l’ensemble du secteur en confirmant, en octobre 2021, sa volonté de vendre ses activités africaines regroupées sous la marque BAL. Depuis combien de temps suiviez-vous ce dossier chez MSC?

Diego Aponte : Il existe une relation de longue date entre les familles Bolloré et Aponte, hier entre mon père et Vincent, par la suite entre Cyrille et moi-même. Nous avions plusieurs fois affirmé que, si un jour les installations de BAL étaient mises sur le marché, nous serions intéressés pour les reprendre, et ils le savaient.

Ce sont eux qui vous ont approché à la fin de 2021?

C’est en effet plus ou moins ce qu’il s’est passé, grâce à cette relation de longue date.

Et vous avez donc saisi l’opportunité qui se présentait à vous?

Tout à fait. Notre secteur se porte actuellement très bien, et grâce à la croissance continue qui a été la nôtre ces dernières décennies, nous disposions des finances nécessaires à la réalisation d’une telle opération. Dans un contexte d’appel d’offres international, les installations de BAL auraient pu échouer dans le portefeuille d’un capital-investisseur ou d’un fonds souverain, et je ne pense pas que cela aurait été une bonne option, ni pour la continuité des activités de BAL ni pour l’Afrique.

Pour 5,7milliards d’euros, beaucoup estiment que MSC a fait une bonne opération. 

J’entends dire que nous avons trop payé ! Je crois de mon côté que les deux parties sont in fine gagnantes, autour d’un prix que j’estime très correct pour la famille Bolloré et acceptable pour nous. L’Élysée aurait poussé pour que CMA-CGM remporte la mise, tout en voulant absolument éviter le chinois Cosco.

MSC semble donc être la solution de compromis la plus satisfaisante pour tout le monde…

Nous sommes incontestablement une très bonne solution pour la France, puisque le siège de BAL ainsi que l’ensemble de son personnel restent à Puteaux, en banlieue parisienne. À nous de montrer que nous sommes la meilleure solution, surtout pour l’Afrique.

Qu’est-ce qui a motivé MSC à réaliser cette opération?

L’Afrique occupe une place importante dans l’histoire de MSC. Nous sommes aujourd’hui numéro un sur le marché conteneurisé mondial et nous sommes en passe de devenir leader sur le continent avec le rachat de BAL. Cet investissement doit assurer notre croissance à travers le continent en nous permettant de nous appuyer sur des infrastructures de qualité, capables de soutenir l’efficacité de nos activités maritimes. La productivité des terminaux portuaires africains est fondamentale pour un armateur comme MSC. Notre crainte était d’ailleurs de voir partir ces installations entre les mains de quelqu’un qui aurait eu une vision différente, autour d’une stratégie davantage axée sur la profitabilité que sur la productivité. Avec cette opération, MSC confirme son intérêt pour l’Afrique, continent du futur, dont le potentiel est immense et dont nous voulons accompagner le développement économique, démographique et social attendu ces prochaines décennies.

L’accord conclu le 31mars reste encore soumis à l’approbation d’un certain nombre d’autorités de régulation.

Plusieurs juridictions sont en effet concernées, essentiellement en Afrique. Le contrat de rachat d’actions que nous avons signé doit encore être validé par certaines autorités de la concurrence en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est, ainsi qu’en Afrique du Sud.

Et avez-vous besoin de rassurer les pouvoirs publics des pays concessionnaires quant à vos intentions?

Dans certains cas de figure, nous avons besoin du consentement des autorités locales. Nous avons donc prévu, chez BAL comme chez MSC, d’aller rendre visite ces prochains mois à ces différentes autorités, dans le but d’obtenir leur aval, mais également pour nous présenter et leur expliquer notre vision. Les concessions portuaires restent stratégiques pour ces pays qui voient leur PNB et leur croissance économique passer par leurs terminaux. Il est donc impératif que tout le monde soit à l’aise avec notre arrivée et convaincu que nous venons pour les bonnes raisons.

Que comptez-vous leur dire?

Que nous entendons nous inscrire dans la droite ligne de ce que la famille Bolloré a bâti en Afrique, tout en expliquant que nous ne venons pas pour exercer un monopole sur le continent. Notre groupe jouit d’une bonne réputation, et nous sommes en passe de reprendre un portefeuille déjà très bien géré que nous comptons seulement améliorer là où cela sera possible. L’habitude de MSC est de développer ses activités, pas de les voir stagner.

Ce rachat s’inscrit-il dans la logique d’intégration verticale chère, ces derniers temps, aux armateurs qui investissent dans l’aérien ou la logistique terrestre?

Chacun a sa propre stratégie. La nôtre s’appuie sur des investissements lourds pour améliorer la productivité des terminaux et donc de nos lignes maritimes et non pas uniquement pour engranger des bénéfices. Notre activité principale reste en effet maritime, et c’est à bord de nos navires que nous devons réaliser nos résultats financiers. Dans le contexte actuel de hausse du prix du baril, la productivité des ports est encore plus importante. Notre ambition est donc d’optimiser la productivité de ces terminaux pour que nos navires restent à quai le moins longtemps possible. C’est la logique industrielle d’un armateur, pas toujours celle d’un opérateur portuaire.

Comment l’intégration de BAL dans le groupe MSC va-t-elle se dérouler?

Nous allons continuer de gérer ces installations avec la volonté de servir au mieux nos clients dans toute leur diversité, en gardant BAL comme une société indépendante du groupe. Nous allons conserver les effectifs ainsi que le management tel qu’il existe aujourd’hui, ce dernier devant juste rendre des comptes à un nouvel actionnaire qui s’appellera dorénavant Aponte et non plus Bolloré. Une nouvelle marque va voir le jour à court terme, avec un nouveau logo qu’il est encore trop tôt de divulguer. Mais nous n’avons pas l’intention d’intégrer BAL dans MSC, nous comptons plutôt trouver les synergies à mettre en place avec nos filiales pour éviter les doublons et les surinvestissements sur certaines installations.

Pensez-vous déjà à vous séparer de certains actifs du portefeuille de BAL?

Non, tout nous intéresse, même les concessions dont le potentiel peut sembler limité. Nous essaierons de relancer les terminaux qui fonctionnent moins bien en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour leur apporter davantage de volumes grâce à nos lignes maritimes. En disposant d’un réseau portuaire et terrestre de premier plan à travers le continent, nous pourrons intensifier notre présence maritime et donc renforcer la connectivité de l’Afrique avec le reste du monde.

Êtes-vous vraiment intéressés par les concessions ferroviaires?

Nous avons en Europe une vraie expertise ferroviaire des marchandises, mais pas des passagers, nous allons donc devoir très rapidement entrer dans le vif du sujet sur la façon d’améliorer les services. Mais nous entendons les conserver, les développer par l’investissement, pour ainsi disposer d’un outil efficace, susceptible d’accompagner le développement de nos activités. C’est un secteur très compliqué, notamment quand il n’est pas adossé à une ligne maritime régulière. Je suis persuadé que nous pouvons rapidement apporter de la valeur ajoutée aux réseaux existants. À nous de nous appliquer à trouver les meilleures synergies pour que 1 + 1 puissent faire 3 quand cela est possible.

Comment comptez-vous vous organiser à Lomé, où les deux opérateurs appartiendront à MSC?

Notre but n’est pas d’avoir une position dominante qui pourrait pénaliser tel ou tel acteur. Il existe une autorité portuaire dont le rôle est justement de réguler et de s’assurer que tout le monde puisse opérer normalement dans ses bassins. Le terminal géré par BAL conservera son indépendance opérationnelle, avec un DG à Lomé placé sous la responsabilité de son PDG à Puteaux, comme c’est actuellement le cas. Les deux entités n’auront pas vocation à se faire face mais à se compléter. Avec le transbordement, l’ampleur des volumes manutentionnés sur le Lomé Container Terminal [LCT] nous empêche de servir d’autres armateurs que MSC. Ces derniers vont donc sur les installations de BAL, et il n’y a aucune raison que cela change. Nous n’exercerons aucune influence en matière de politique commerciale et de tarifs ni sur la gestion du terminal pour faire en sorte qu’il subsiste une réelle différenciation entre les deux opérateurs portuaires.

La vente effective est annoncée pour la fin du 1er trimestre de 2023. Est-ce le temps nécessaire pour boucler l’ensemble du dossier?

Nous avons décidé d’accorder le temps dont les autorités auront besoin. Pas question de brusquer les choses, mais bien de prendre tout le temps nécessaire pour conclure au mieux cette transaction. J’ai bon espoir que tout soit terminé avant la fin de cette année, en fonction des décisions prises par les autorités de régulation.

Le développement du groupe Bolloré a toujours pu s’appuyer sur un réseau d’influence unique à travers le continent. Pensez-vous aujourd’hui disposer de tels relais en Afrique?

La famille Aponte n’est certes pas aussi connue que la famille Bolloré en Afrique, mais MSC est reconnu dans le monde entier, et donc sur le continent, comme l’un des principaux opérateurs de réseaux intégrés de transports. Notre stratégie industrielle doit résonner avec les attentes des pouvoirs publics africains puisqu’elle consiste à améliorer les infrastructures terrestres, portuaires et ferroviaires. L’influence se bâtit sur la confiance et le professionnalisme dont un opérateur fait preuve dans la gestion d’infrastructures fondamentales dans le développement économique des pays, et donc du continent. Et, dans ce sens, notre vision devrait concorder avec celle des autorités africaines.

Cette opération de rachat est intervenue à un moment où BAL connaissait quelques difficultés judiciaires à Lomé et à Conakry, ou contractuelles à Douala. Quelle était l’approche de MSC sur ces dossiers durant les négociations?

Ce sont des problèmes hérités d’une autre époque et qui ont été gérés par le groupe Bolloré. MSC reprend un groupe très bien organisé, selon des standards élevés qui seront encore renforcés par notre arrivée. Quant au dossier de Douala, il y a une réalité qui s’impose : celle d’avoir gagné l’appel d’offres en 2020, alors qu’aujourd’hui nous ne disposons toujours pas des clés du terminal. J’espère que la reprise de BAL va nous donner l’occasion de discuter avec les autorités portuaires de Douala pour qu’elles honorent leur partie du contrat et que notre filiale Terminal Investment Limited (TIL) puisse rapidement reprendre la gestion des quais qui lui revient.

Vous parliez plus tôt des relations existant entre les familles Bolloré et Aponte. Est-ce que cela a joué durant les négociations?

Il existe entre nos deux familles une vraie relation d’amitié et de respect qui explique que les discussions se soient passées de manière aussi élégante. Nous avons réalisé en trois mois un travail d’audit, que seule la confiance réciproque a rendu possible. Le travail a ainsi été grandement facilité, je pense pouvoir l’affirmer, du fait que la famille Bolloré n’était pas prête à vendre à n’importe qui, mais bien à celui qui garantissait une continuité dans les activités du groupe.

De quand date cette relation?

Nos deux pères se connaissent depuis plus de trente ans et ont conservé, durant cette période, des contacts plus ou moins réguliers, mais toujours constants, notamment lorsque Bolloré possédait également la compagnie maritime Delmas. MSC est depuis très longtemps un client significatif de Bolloré, sur les terminaux, dans le transit. Je connais d’ailleurs personnellement Cyrille depuis de nombreuses années, ce qui nous a permis de mener les négociations en toute confiance, sous l’œil tout aussi confiant de nos pères respectifs. Il a suffi que nous nous serrions la main lors d’un déjeuner pour entériner l’accord que nous venions de négocier.

L’année 2022 a démarré en fanfare pour MSC puisque, en plus de mettre la main sur le premier réseau portuaire d’Afrique, la compagnie devenait en janvier le premier transporteur de conteneurs du monde, en à peine un peu plus de cinquante ans d’existence. Qu’est-ce que cela signifie pour MSC et son fondateur, Il Capitano?

Cela lui a fait évidemment extrêmement plaisir en même temps que cela nous remplissait d’une fierté bien légitime. Nous avons en effet grandi d’une manière fulgurante, grâce à notre vision et au travail réalisé par nos 110 000 collaborateurs à travers le monde, auxquels je dédie cette réussite.

Votre croissance a été jusqu’à présent essentiellement organique. Avec cette première opération de rachat externe, inaugurez-vous une nouvelle stratégie?

Absolument pas. Notre force a justement été de croître en interne. C’est notre ADN, et nous devons le respecter. Maintenant, le fait de disposer de liquidités nous permet de réaliser certains investissements, mais toujours corrélés à notre industrie et avec l’objectif de renforcer le groupe, pas de le diluer. D’où notre intérêt devant la privatisation en Italie de la compagnie ITA Airways.

Cette position de leader va-t-elle vous pousser à ouvrir un peu plus les livres de comptes en même temps que le capital du groupe?

Il n’y a pas de changement à attendre de ce côté-là. Nous avons la chance et le luxe d’être une compagnie privée, et ce n’est pas parce que nous sommes devenus numéro un que nous allons communiquer nos chiffres et dévoiler notre stratégie. Nous avons traversé des moments difficiles, mais nous nous en sommes toujours sortis sans avoir à faire appel aux marchés. C’est un avantage que nous entendons conserver.

Justement, comment avez-vous traversé la période du Covid-19?

Nous avons veillé à toujours assurer la continuité des opérations. La situation était pourtant très préoccupante lors de la première vague, en Asie, puisque, du jour au lendemain, nous enregistrions une baisse de 17 % de nos activités cargo pendant que la partie croisière s’effondrait. Ce qui nous a permis de nous rendre compte que quand la Chine ferme ses usines il n’y a plus rien à transporter. Une fois qu’elles ont été rouvertes, l’effet a été immédiat et multiplicateur. Nous avons dû faire face à une explosion de la demande mondiale de transports de biens de consommation. L’ensemble des armateurs a donc dû se montrer très agile et mettre tout ce qui flottait à disposition. Le monde entier a alors réalisé l’importance du secteur maritime dans l’économie mondiale. Personne ne nous connaissait vraiment, alors que plus de 90 % du commerce international se fait par voie maritime.

Cette explosion de la demande a provoqué une hausse très élevée des taux de fret. Est-ce selon vous la fin de la « globalisation heureuse » qui, pendant trente ans, s’est justement appuyée sur des coûts de transport très bas?

Nous ne retrouverons certainement pas les tarifs d’avant-pandémie, trop bas de toute façon et en dehors de toute logique, notamment au regard des besoins en investissements des armateurs. Les flux évolueront un peu, mais l’Occident ne va pas se réindustrialiser. L’Europe et les États-Unis ne peuvent pas être compétitifs face aux produits fabriqués en Asie. L’Afrique a certainement un rôle à jouer en la matière si elle réussit son industrialisation, comme je veux le croire. Aujourd’hui, nous faisons face à un engorgement des terminaux, notamment aux États-Unis, amplifié dans certains cas par le manque de main-d’œuvre portuaire. Nos services sont ralentis, les navires comme les conteneurs bougent moins vite, il en faut donc plus, mais il n’y en a pas. Les taux sont toujours élevés mais, à partir de 2023, beaucoup de nouvelles capacités vont entrer sur le marché.

MSC doit réceptionner à lui seul plus de 800 000 EVP de capacités supplémentaires ces prochaines années. En prévision de quoi?

De l’amélioration de certains de nos services existants et du développement de nouvelles lignes maritimes. Nous allons également en profiter pour retirer nos navires les plus âgés. L’idée est de disposer de davantage de capacités sur une flotte modernisée, notamment dans l’optique de la décarbonation des navires. La quasi-totalité des navires que nous allons prochainement réceptionner devraient marcher au GNL [gaz naturel liquéfié]. Notre objectif, c’est zéro émission nette d’ici à 2050. Pour y arriver, nous continuons d’étudier d’autres carburants alternatifs, en collaboration avec le secteur énergétique et les autres industries.

Qui va payer les dizaines de milliards nécessaires pour décarboner la flotte mondiale ?

Les armateurs feront techniquement tout le nécessaire puisque nous n’avons pas d’autre choix, mais le coût de ces investissements sera supporté par nos clients, qui, in fine, les répercuteront sur les consommateurs.

In Jeune Afrique

Créé le 2 juin 2022 12:46

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