Baadiko assène ses « vérités » : « Si les militaires veulent s’amuser… »

Mamadou Bah Badiko leader de l'UFD

CONAKRY-Au lendemain de la mise de la mise en place du Conseil National de transition (CNT), les critiques continuent de fuser. Cet organe est perçu par de nombreux acteurs comme un « appendice » du CNRD, la junte au pouvoir. C’est le cas de Mamadou Bah Baadiko qui soutient que le CNT n’a aucune indépendance. Dans cet entretien accordé à votre quotidien en ligne le leader du parti Union des forces démocratiques (UFD) prévient la junte militaire sur les risques que peuvent engendrer l’absence de dialogue avec la classe politique.

 

AFRICAGUINEE.COM : Cinq mois après le coup d’État du 5 septembre, le CNT a été finalement installé. Quelle est votre lecture ?

MAMADOU BAH BAADIKO : On a dit que le CNT, c’est pour se pencher sur les problèmes institutionnels du pays et également de contrôler la transition. Je rappelle que le budget de 2022 – qui est un copier-coller des budgets précédents que nous avions dénoncé comme étant de la dilapidation de la fortune publique au profit de l’appareil d’Etat- a été signé par ordonnance du chef de la transition. On n’a même pas attendu que le fameux CNT soit là, ne serait-ce que par la forme pour qu’il soit soumis à son examen. Je rappelle que dans la transition de 2010, le CNT avait eu à se prononcer sur les budgets après l’installation du pouvoir civil. Nous n’avons pas arrêté d’insister sur le fait que le CNT actuel est l’émanation à cent pour cent du Cnrd. Il n’a aucune indépendance par rapport à ceux qui l’ont nommé, contrairement à 2010 où c’était les Forces vives qui avaient désigné, en accord avec le Cndd, les 161 membres du CNT.

Le CNT de l’époque avait l’initiative des textes, ce n’est pas le Cndd qui lui transmettait de projets des lois. Cette assemblée transitoire soutenue par les organismes internationaux était composée d’experts Guinéens reconnus à l’international, comme étant des spécialistes de droit constitutionnel. Et il y avait de gens comme le Pr Salifou Sylla qui avaient travaillé sur la Loi fondamentale de 1990 et des magistrats célèbres. Ce n’est pas par hasard que personne en 2010 ne s’est accroché à cette histoire de référendum, car les textes avaient l’air tellement bien faits et correspondaient aux impératifs de la situation, qu’il n'y avait pratiquement pas besoin de référendum, tant le consensus était pratiquement général. Est-ce qu’on peut comparer notre CNT d’aujourd’hui à celui de l’époque ? Je dirais Non ! Ce n’est pas une envie d’accuser gratuitement, mais la réalité est là.

Le CNT actuel symbolise complètement le fait que le pouvoir du Cnrd est omniscient et omnipotent. Il décide absolument de tout ce qu’il veut et il estime qu’il n’y a aucune urgence à ce que la transition se fasse dans le délai raisonnable nous permettant de remettre le pays sur les rails d’une vie constitutionnelle régulière. La meilleure preuve : on vient d’avoir une gifle mémorable assénée par les militaires du Burkina Faso qui ont nommé presque le même jour, 15 membres d’un comité technique composé d’éminentes personnalités incontestées dans le pays pour élaborer des textes institutionnels, en deux semaines ! Mieux, les membres doivent travailler bénévolement ! Les militaires du pays des hommes intègres qui ont fait leur coup d’État il y a un mois, sont déjà en avance sur nous, qui avons déjà passé 5 mois de transition. On va dire que les situations ne sont pas semblables. Mais tous les coups d’État se ressemblent, c’est la prise du pouvoir par les armes. On n’a pas d’autre choix puisque le Cnrd dit qu’il est souverain et qu’il fera ce qu’il veut et n’a de leçons à recevoir de personne. Eh bien, on va les regarder faire, on va voir quels textes ils vont faire sortir au CNT, sachant que cet organe n’aura aucune initiative de quelque texte que ce soit. Il y a déjà des textes qui dormaient dans les terroirs du ministère de l’Administration du territoire. Maintenant, on va attendre de voir de quoi va accoucher ce CNT. On regardera avec objectivité, mais avec toute la réserve et la vigilance nécessaires.

Ce CNT où les politiques, les techniciens et les grands juristes que compte le pays sont totalement écartés, on va voir ce que ça va donner. Les faits sont là, ils sont têtus et les résultats attendus sont parfaitement clairs, le miracle n’existe pas.

D’après vos explications, on comprend que vous n’avez pas confiance au CNT. Etant donné qu’il lui revient de déterminer la durée de la transition est-ce que cela vous inquiète ?

Nous avons assez dénoncé le fait que c’est quelqu’un qui a un contrat de travail à durée déterminée qui va fixer la durée de son contrat. On a estimé qu’il y a un conflit d’intérêts et ensuite, ils ne feront que ce que leur ordonnera le Cnrd. C’est tout à fait clair qu’ils n’ont aucune latitude sérieuse pour faire objectivement une décision conforme à ce qu’il faut. Le coup d’État ne peut pas être considéré comme une situation régulière, normale et acceptable pour se prolonger indéfiniment.

Que pensez de la limitation d’âge pour être candidat à la présidentielle ?

On ne sait pas si cette histoire de limitation d’âge n’est qu’un ballon d’essai pour voir qu’est-ce que ça donne avant d’aller plus loin ou rectifier le tir, comme on dit en langage militaire. Nous avons dit et redit qu’il faut faire les textes dans l’intérêt du pays en tenant compte de toutes les expériences malheureuses que nous connaissons, mais pas faire de textes pour des individus. Cela ne paie pas et n’apporte que la catastrophe. Les premiers qui ont fait ça en Afrique ce sont les Ivoiriens. Ils ont fabriqué un texte pour empêcher Alassane Ouattara de se présenter. Vous avez vu cela s’est soldée par une guerre civile meurtrière et ils n’en sont toujours pas sortis malgré ce qu’ils racontent aujourd’hui.

En 2010, l’ancien président Alpha Condé qui avait dépassé 70 ans s’était battu à mort pour empêcher la limitation d’âge à 70 ans qui existait dans la Loi fondamentale et qui avait été cassée par Lansana Conté avec sa Constitution bidon de Troisième mandat. Si on pointe du doigt quelqu’un en disant l’ancien chef de file de l’opposition aura 70 ans dans quelques jours, on va le disqualifier, cela veut dire qu’on a fabriqué un texte pour un individu, non un texte adapté à des besoins spécifiques et objectifs du pays.

Encore une fois, en Guinée, les textes ne sont jamais respectés. Dans la Constitution de 2010, il y avait des dispositions qui prévoyaient la vérification de l’état mental et physique de chaque candidat. Nous avons passé ces examens à Donka, les résultats ne sont jamais sortis. Tout le monde s’est présenté comme absolument sain et sauf, capable de gouverner 1000 ans même s’il le faut alors qu’il y avait 6 qui devaient être éliminés d’office puisqu’ils traînaient des maladies chroniques les rendant inaptes à diriger un Etat parce qu’ils n’ont ni la force intellectuelle, ni la force physique, ni les facultés pour diriger correctement un État. Ici, les textes sont faits pour être violés.

Le Cnrd semble sourd aux demandes de dialogue formulées par la classe politique. Est-ce qu’il n’y a pas de risque de choc entre vous et cette junte ?  

On ne le souhaite pas. Mais nous autres, nous n’avons pas des armes, ce sont eux qui en ont. Pour la petite histoire, on l’a répétée au président Alpha Condé que la Russie tsariste avait la police la plus barbare, la police secrète la plus redoutable de la terre, mais le Tsar a été jeté à terre par la révolution d’octobre. Donc aucune force physique armée quelconque ne peut empêcher un peuple décidé à recouvrer sa souveraineté de se révolter et de gagner. La corruption à outrance, la manipulation de l’ethnicisme comme on l’a vu sous l’ancien régime ici tout ça n’a pas empêché qu’il soit jeté à terre et que tout le monde a chanté et dansé. Si les militaires veulent s’amuser à ça, ils prennent leurs risques. Mais seulement, il faut savoir de quoi est fait la classe politique.

Nous l’avons toujours dit, avoir un parti politique ici c’est comme si vous achetez un billet de loterie nationale ou que vous allez acheter une société dont les actions vont s’envoler pour être rétribué, c’est un investissement comme quelqu’un qui ouvre sa boutique. Ce n’est pas pour se battre pour un idéal pour qu’on puisse construire le pays. Il y a d’intérêts divergents. Le président Alpha Condé était spécialiste de ça, il a fabriqué de politiciens qu’il nourrissait et on a vu ce que ça donne.

Le Cnrd soutient qu’il ne peut pas dialoguer avec une classe politique incapable de s’entendre. Cet argument est-il valable ?

Les militaires peuvent bien s’abriter derrière le fait que les politiciens ne s’entendent pas, mais ils ne peuvent pas nous mettre tous dans le même paquet. Le Cnrd ne répond même pas aux documents qu’on leur envoie, il dit simplement en avoir tenu compte. Nous avons dit que la volonté politique n’existe pas. Ils l’ont fait savoir depuis la prise du pouvoir qu’ils ont l’intention de se passer des politiques et d’en favoriser de nouveaux. Tout le monde a vu qu’ils allaient faire table rase du passé. C’est la continuation du programme d’Alpha Condé qui avait dit qu’il ne laisserait aucun opposant derrière lui et il n’était pas loin de tenir parole, entre les emprisonnements, les interdictions de voyager, les fermetures de siège et tout. C’est un leurre de penser qu’on peut diriger un pays moderne de cette façon avec de petits groupes occultes qui prennent des décisions sans qu’on ne sache sur quelle base, ils se fondent jusqu’à réhabiliter le régime sanguinaire de Sékou Touré. Donc, il y a un problème. On ne peut pas dire que c’est puisque les politiques sont incapables de s’entendre entre eux qu’il ne peut pas y avoir de dialogue.

A son arrivée au pouvoir, il a promis de « tuer l’ethnie » et d’inventer la citoyenneté, mais à regarder de près, selon certains observateurs, on a l’impression que le colonel Mamadi Doumbouya empreinte les pas d'Alpha Condé. Qu’en dites-vous ?

Nous le disons avec force dès après la prise du pouvoir par le Cnrd, nous avions déjà en-tête comment sortir de la communautarisation de la vie politique en Guinée où il y 4 régions naturelles avec des nations qui existaient avant la colonisation. Soixante-trois ans après l’indépendance, la Guinée n’est pas devenue une nation, mais un conglomérat de groupes communautaires. On a dit qu’il faut reprendre tous ces faits de cette période pré-coloniale, où il y a des nations constituées, les mettre ensemble dans le cadre des régions, où on polarise tout sur le développement économique, social et culturel, dans l’unité, dans la fraternité et la paix plutôt que de s’emparer le pouvoir pour dominer les autres et confisquer toutes les richesses du pays pour soi.

C’est écrit dans un livre “Françafrique : l’échec, l’Afrique postcoloniale en question”, toute tentative de domination interne est vouée à l’échec. L'Afrique a une unité culturelle telle que nous avons toutes les bases pour faire les véritables Etats forts réellement, bien dirigés pour développer nos pays sans recourir à la domination ethnique. Cela a échoué partout, il n’y a pas de raison que cela réussisse en Guinée. L’effondrement dans la honte du pouvoir Alpha Condé le montre bien où même le peu de choses qu’il a pu faire de positif disparaît dans le flot des actes négatifs, des pillages effrénés de la richesse publique. Que ceux qui enfourchent le cheval là sachent que cette monture va crever. On doit avoir les 4 régions naturelles traitées à égalité quelque soit l’élément numérique là-dans et tous unis pour le développement du pays.

Cinq mois après le coup d’État, le Premier ministre Mohamed Beavogui a annoncé que les caisses de l’État sont vides. Le croyez-vous ?

Quand vous faites un coup d’État, la logique voudrait que vous fassiez immédiatement l’état des lieux pour dire ce qu’on a trouvé dans les caisses. Maintenant, c’est plusieurs mois après qu'on annonce avoir trouvé des caisses vides. Quelle crédibilité on peut donner à ça ? Le président Alpha Condé dès qu’il est arrivé au pouvoir, il a donné les chiffres. (…) On nous dit que les caisses sont vides c’est tout à fait normal. On est en situation d’exception, rien ne marche normalement. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’une institution internationale sérieuse traite avec un pays qui est sous un régime militaire. Les difficultés iront en s’accroissant. Tout ce qu’on est en train de faire c’est des expédients et ça ne peut pas faire marcher un pays. C’est extrêmement sérieux, tout le monde se plaint qu’il n’y a pas d’argent.

Il y a eu des choses intéressantes, le Cnrd a débloqué beaucoup d’argent pour la route Coyah-Dabola. Le problème est que ça ne peut pas aller bien loin. C’est une gestion d’exception qui ne tiendra pas. Il faut de la transparence, attendre 5 mois pour dire que les caisses sont vides ça ne dit pas qu’est-ce qu’on en a fait de ce qu’on a trouvé. Le gouverneur de la Banque centrale limogé que 5 mois après est inquiété en même temps. Donc, il y a un problème de transparence dans la gestion de la chose publique.

En ne déclarant pas ses biens, le chef de la junte n’a-t-il pas manqué de transparence lui-même ?

Tout le monde sait dans ce pays que c’est l'UFD qui a été à la base de l’insertion de la déclaration des biens dans les textes de 2010. Nous avions été combattus par tous nos amis des Forces vives. Aujourd’hui, toute la société civile, les jeunes, les vieux, personne d’autre que nous ne défend le principe de la déclaration des biens. Chacun veut accéder au pouvoir pour s’enrichir. Lorsque nous avons entendu l’ex ministre de la Justice, Fatoumata Yarie Soumah, poser la question en conseil des ministres, on s’est demandé si elle a soulevé cette question d’elle-même ou c’est le Premier ministre ou le Président qui lui a demandé d’intervenir.

Mais, on tourne en rond comme avec le président Alpha Condé et son équipe en 11 ans. Ils ont fait semblant de déclarer leurs biens, il n’y a jamais eu d’annonces au journal officiel. Donc, nous soupçonnons que le vidage de la ministre ce n’est pas seulement des histoires des bisbilles sur des nominations tarifées, mais c’est également parce qu’elle a mis les pieds dans les plats, à juste titre sur la déclaration des biens. Si le Cnrd veut être pris au sérieux, il ne peut dire qu’il va lutter contre la corruption, l’enrichissement illicite sans déclaration des biens.

Le Cnrd a fait quand même montre de volonté de lutter contre la corruption en mettant en place la Crief. N’est-ce pas un signe encourageant ?

La Guinée étant ce qu’elle est, nous attendons des actes concrets. Est-ce que c’est la vraie justice qui va passer ou c’est une justice sélective, orientée et dans quel délai. Il faut que nos juges montrent qu’ils sont devenus suffisamment indépendants et capables de n’agir qu’avec leur conscience, sur la base du droit plutôt que sur des ordres reçus ou pour plaire. On attend des actes. (…).

A suivre…

 

Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tél. : (00224) 669 91 93 06

Créé le 8 février 2022 12:04

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