Aliou Barry, spécialiste des questions de Défense : « Les sanctions sont plus efficaces qu’une hypothétique intervention militaire… »

NIAMEY- Depuis le 26 juillet, des soldats de la garde présidentielle ont décidé de s’emparer du pouvoir au Niger. Le mandat du président Mohamed Bazoum est en phase d’être définitivement écourté par le CNSP (Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie). Le pays est désormais dirigé par le Général Abdourahmane Tchiani. La CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a haussé le ton avec des sanctions à l’appui. Une option d’intervention militaire pour rétablir Mohamed Bazoum au pouvoir plane toujours. L’ultimatum donné aux putschistes expire ce dimanche 6 août 2023.

Comment comprendre ce coup d’Etat au Niger ? Une intervention militaire est-elle la solution ? Pour aborder largement ce sujet, Africaguinee.com a interrogé Aliou Barry, Spécialiste des Questions de Défense et de Sécurité en Afrique. Le Directeur du Centre d’Analyse et d’Études Stratégiques et président du parti des Sociaux-Démocrates de Guinée (SDG) livre son analyse.

AFRICAGUINEE.COM : Quelle analyse faites-vous du Coup d’État survenu au Niger ?

ALIOU BARRY : Toute l’histoire politique du Niger est jalonnée de Coups d’Etat. L’année1974 verra la fin de la première République dirigée par Hamani Diori, avec le coup d’état d’avril 1974 qui sera remplacé par la deuxième République en 1989. Cette République sera aussi remplacée après la tenue du 29 juillet au 06 novembre 1991, d’une conférence nationale souveraine des forces vives de la Nation. Après une transition de quinze mois, des élections pluralistes sont organisées consacrant la mise en place de la troisième République née après le referendum constitutionnel de décembre 1992. Un autre régime militaire, issu d’un autre coup d’état, mettra fin à la troisième République. La quatrième République verra aussi le jour trois mois et demi après ce Coups d’Etat, suite  au référendum  constitutionnel de mai 1996. Et le Coups d’Etat intervenu le 26 juillet 2023 c’est le troisième Coups d’Etat organisé dans le pays au cours de cette décennie, après l’échec de deux tentatives en mars 2021 quelques jours avant l’investiture du président Bazoum.

Ce qui est inquiétant pour la stabilité sous-régionale, c’est que cette prise d’otage du président Bazoum suivi d’un Coups d’Etat intervient au moment où les deux pays de la sous-région le Mali, le Burkina Faso, vivent une transition militaire et sont sous la menace des forces djihadistes notamment dans le Liptako-Gourma appelé la zone des trois frontières. Cette région du Liptako-Gourma est le deuxième foyer d’insécurité alimentaire aigue dans la région. Aussi ce Coups d’Etat intervient au Niger qui sur le plan stratégique est situé dans une zone de fortes turbulence car entourée par des pays qui connaissent tous une grave crise sécuritaire. Un simple coup d’œil sur la carte de la région suffit à comprendre les inquiétudes de la CEDEAO et des Institutions internationales. En effet, le Niger est un pays enclavé qui couvre une superficie de 1 267 000 Km2 et frontalier de l’Algérie et la Libye au nord, le Tchad à l’est, le Nigéria et le Benin au sud et le Burkina Faso et le Mali à l’ouest. Toute instabilité supplémentaire au Niger peut entrainer après celle de la Libye, du Mali et du Burkina vers un sahelistan (un nouvel Afghanistan africain).

Et le Soudan pas loin du Niger fait face à un conflit interne, le Tchad qui est sous un régime de transition militaire en subit les conséquences avec l’afflux de nombreux réfugiés soudanais fuyant la guerre. Le Coups d’Etat intervenu au Niger contre Mohamed Bazoum déstabilisera encore plus le Sahel. Pour comprendre ce qui se passe au Niger, il faut en finir à mon avis avec ce sigle après chaque processus électoral « tel pays exemple de démocratie», car tous les processus électoraux dans cette sous-région posent problème.

Les raison évoquées par les putschistes vous paraissent-elles fondées ?

Ls raisons invoquées par les militaires putschistes qui ont pris le pouvoir au Niger, à savoir la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale ne sont pas fondées. En effet, depuis l’élection du président Bazoum, le Niger a connu une relative stabilité politique et des résultats positifs sur le plan sécuritaire. Par rapport à ses voisins malien et burkinabé, le Niger avait affiché une certaine résilience dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Le Niger est engagé tout comme ses voisins malien et burkinabé depuis près de 15 ans dans la lutte contre les entités intégristes islamistes, Boko haram qui a son sanctuaire au Nigéria et l’état islamique  au Grand Sahara et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans  de Yad Ag Ghali. A la différence du Mali et du Burkina, ces groupes terroristes ne sont jamais implantés durablement sur le sol nigérien. L’appel à des divers partenariats militaires initié par le président Mahamadou Issoufou et poursuivi par le président Bazoum a été pour beaucoup dans les succès obtenus dans cette lutte contre les groupes terroristes. Mais cette présence de divers contingents militaires notamment français a développé un sentiment de rejet des troupes étrangères par une partie de la population et de militaires nigériens proches des thèses de la junte au Mali. La France soutien indéfectible du président Bazoum, apparaît aujourd’hui comme la cible privilégiée des militaires qui ses sont emparés du pouvoir au. Niger. L’une des causes de ce coup d’état est sans doute la décision du président Bazoum de relever le général Tchiani du commandement de la garde présidentielle, fonction qu’il occupait depuis 11 ans

Le fait aussi qu’après la crise entre la France, le Burkina et le Mali, le président Bazoum ait accueilli une partie des forces françaises de barkhane qui ont été redéployées au Niger n’ont certainement pas plu à une partie des militaires nigériens et à une bonne partie des citoyens nigériens dans un contexte de contestation de la présence de troupes françaises dans la sous-région. Le ressentiment de rejet de la présence militaire française en Afrique de l’ouest a-t-il gagné les militaires putschistes du Niger et expliquerait peut être leurs gestes ? on est tenté d’y croire vu ce fort sentiment de rejet de cette politique africaine de la France au Burkina et au Mali. Les Etats-Unis disposent aussi d’une base militaire à Agadez où sont déployés quelques 1100 militaires.

La CEDEAO menace de faire recours à l’armée si Bazoum n’est pas rétabli dans ses fonctions. Que pensez-vous de cette démarche ?

Cette intervention sera compliquée à mettre en œuvre et sera à hauts risques pour le Niger et l’ensemble des pays de la sous-région. Depuis sa création en 1975 la CEDEAO hormis l’épisode de l’ECOMOG au Liberia dans les années 90, ne s’est point préoccupée de la mise en place d’une véritable politique commune de défense en Afrique de l’ouest. S’il y a intervention militaire de la CEDEAO ce sera une intervention à 90% soutenue par le Nigeria dans un pays où les militaires luttent à côté de leurs camarades nigériens dans la lutte contre Boko Haram. En outre, le Senat et une bonne partie de la classe politique du Nigeria s’opposent à toute intervention militaire au Niger et préconisent la poursuite de la médiation. Il est difficile d’imaginer une opération militaire commandée et planifiée par un état-major commun qui n’existe que sur papier. Une intervention militaire pour restaurer le pouvoir de monsieur Bazoum se heurterait à plusieurs obstacles opérationnels vu que les armées de la sous-région ne sont pas outillées en matériels pour des interventions à l’extérieur de leurs frontières, elles sont orientées beaucoup plus sur la sécurisation de leurs propres territoires.

Et nul ne sait combien de temps durerait cette intervention et quelles en seraient les conséquences et surtout quels seront les risques pour les populations civiles. Au regard du droit international, une intervention sans un vote du Conseil de sécurité posera problème. A mon avis l’usage de la force par la CEDEAO n’est que la dernière option et la résolution de la crise par la voie diplomatique continue à être privilégiée même si les négociations sont au point mort. Et, aux premières heures de cette intervention la vie du président Bazoum sera menacée ainsi que celle de sa famille. Et on pourra assister à une internationalisation du conflit de type Afghanistan car l’Algérie et la Russie sont sur les mêmes positons bien qu’ayant condamnés le Coups d’Etat mais sont contre toute intervention militaire au Niger. Aussi, les opinions publiques ouest-africaines n’accepteront point une intervention militaire des occidentaux sous couvert de la CEDEAO. Les interventions en 2011 en Côte d’ivoire et en Libye sont encore dans toutes les mémoires en Afrique de l’Ouest ce qui explique en partie le rejet de la politique africaine de la France aujourd’hui au Mali, au. Burkina et au Niger aujourd’hui.

Les juntes au Mali et au Burkina soutiennent la junte nigérienne et s’opposent à toute intervention militaire de la CEDEAO. Comment vous pouvez expliquer cette posture ?

En effet face à la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO, les juntes militaires au pouvoir au Mali et au Burkina soutiennent les putschistes qui se sont emparés du pourvoir au Niger. Rien d’étonnant dans cette attitude de solidarité entre juntes militaires, nous observons là une sorte de solidarité entre juntes militaires.

Mais ce qui est un inquiétant c’est le fait que cette solidarité des juntes militaires du Mali et du Burkina est assortie d’une mise en garde de ces deux juntes miliaires qui considèrerait toute intervention militaire au Niger comme une déclaration de guerre et entrainerait de facto leur retrait de la CEDEAO. Un risque d’implosion de la CEDEAO est possible en cas d’intervention militaire de l’organisation sous-régionale, d’autant que l’Algérie puissant voisin du Niger, s’oppose à toute intervention militaire craignant que cette intervention ne débouche sur une instabilité chronique au Niger comme ce qui s’est passé en Libye, en Syrie où les interventions militaires occidentales ont complètement déstabilisés ces pays avec des conséquences sur la stabilité régionale.

Comment expliquer la position de la junte guinéenne qui se désolidarise des sanctions de la CEDEAO?

La Guinée tout comme le Mali et le Burkina Faso se désolidarise de la position de la CEDEAO et refuse d’appliquer les sanctions. Le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) estime tout comme le Mali et le Burkina qu’une intervention militaire contre le Niger entraînerait de facto la dislocation de la CEDEAO. Rien d’étonnant dans cette posture vu que le CNRD est lui-même sous sanctions de la CEDEAO.

Que peut faire la CEDEAO face à la recrudescence des Coups d’États dans la sous-région?

Oui, nous assistons à une véritable recrudescence des Coups d’États en Afrique de l’Ouest. En août 2020 et mai 2020 au Mali, en janvier 2022 au Burkina, en septembre 2021 en Guinée. En moins de deux ans, quatre présidents de l’Afrique de l’Ouest ont été renversés par des juntes militaires. En février 2022, une tentative de Coups d’Etat a failli réussir en Guinée Bissau. Je crains aujourd’hui un effet de contagion, mais si on observe de plus près la situation politique dans ces différents pays, rien d’étonnant au regard de cette recrudescence. En effet, dans tous ces pays, les militaires n’ont jamais été très éloignés des cercles du pouvoir. Ils ont même dirigés pendant des années ces pays.

Au Niger sous Seyni kountché, au Mali sous Moussa Traoré, au Burkina sous Compaoré, en Guinée sous Lansana Conté. La recrudescence de ces Coups d’États s’explique par l’échec d’une certaine élite politique dans la gouvernance post-électorale caractérisée par la corruption et une insécurité qui ne cesse de s’installer dans ces différents pays. Que peut faire la CEDEAO face à cette recrudescence ? L’Organisations sous-régionale devra revoir son protocole de bonne gouvernance et se doter d’instruments de veille démocratique pour agir en amont pour analyser les causes de ces Coups d’États.

Il est urgent que l’institution sous-régionale se penche sur la gouvernance militaire, l’efficacité et la mission des armées, bref, des armées, comment et pourquoi faire en Afrique de l’Ouest. Il est temps de se pencher sur le rôle et la place des armées dans des Nations en plein processus de démocratisation.

Le contrôle civil de l’armée dans les pays d’Afrique de l’ouest se pose avec acuité et, l’organisation sous-régionale doit pouvoir prévenir les situation de crise dans les pays membres, mener une politique de prévention de crise politique et être à l’écoute des populations. Si la CEDEAO avait une telle prévention de crise politique, le Coups d’Etat en Guinée par exemple n’aurait pas eu lieu. Tous les militaires qui arrivent au pouvoir dans ces pays promettent de rendre le pouvoir à l’issue d’une courte transition mais ils ne respectent pas ce chronogramme, malgré la pression internationale. C’est pourquoi la CEDEAO devra restée ferme au niveau des sanctions qu’elle prend contre les juntes militaires putschistes. Nous au niveau du parti les Sociaux-Démocrates de Guinée (SDG) nous comptons autour de notre programme, mener un débat serein et constructif autour de la sécurité sous-régionale en posant les contours d’une armée républicaine en Guinée.

Les sanctions de la CEDEAO permettront-elles de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger ?

A l’issue  du sommet de la CEDEAO tenu le  3O juillet à Abuja au Nigéria, l’Institution sous-régionale  a décidé d’imposer de multiples sanctions au Niger, notamment la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger, l’établissement d’une zone d’exclusion de la CEDEAO pour tous les vols commerciaux à destination ou en provenance du Niger, la suspension de toutes les transactions commerciales et financières, le gel des avoirs du Niger dans les banques de la CEDEAO et dans les banques commerciales, la suspension de toute assistance et de transactions financières en faveur du Niger par la Banque d’investissement et de développement de la CEDEO (BIDC) et la Banque ouest africaine de développement (BOAD). A ces sanctions, il faut ajouter celles prises par l’Union européenne, la Banque mondiale, les Etats-Unis. Ces sanctions accompagnées d’une diplomatie de médiation pourront permettre à faire fléchir la junte militaire et, sont à mon avis plus efficaces qu’une hypothétique intervention militaire. Cependant ces sanctions auront un impact très négatif sur les populations du Niger confrontées régulièrement à des difficultés alimentaires et sanitaires. C’est pourquoi, il est impératif de trouver par tous les moyens des sanctions, du dialogue et de la diplomatie de médiation une solution rapide au retour à l’ordre constitutionnel en vue d’épargner les populations nigériennes de nouvelles souffrances.

Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664 72 76 28

Créé le 6 août 2023 14:03

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