Vente de « faux » médicaments à Conakry : Qui se cache derrière ce trafic illicite ?

CONAKRY-Le trafic de faux médicaments est exercé par des commerçants guinéens. Ces dernières années, à cause de l’intensification des actions de lutte menées par le ministère de la santé, appuyé par les services de sécurité et la justice, notamment la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières, les trafiquants sont moins visibles que par le passé. Toutefois, la pratique continue dans la clandestinité. Suite et fin de notre enquête intitulée « Vente de « faux » médicaments à Conakry : qui tirent les ficelles ? ».

« Nous avons nos fournisseurs à Madina. Là-bas aussi, vous pouvez trouver les produits mais les faire sortir est tout un problème. La gendarmerie est là, à votre trousse. Si les gendarmes vous prennent, c’est pour vous arnaquer. La police est là, elle aussi, c’est la même chose. Outre ces deux corps, il y a des jeunes de la commune qui sont sur place. S’ils vous prennent, eux aussi vous extorquent de l’argent. Si tu refuses de coopérer, ils menacent d’appeler la gendarmerie. Et si les gendarmes arrivent, ils vont obtenir plus que ce que les jeunes de la mairie avaient réclamé. Tu vas payer plus cher. C’est très compliqué” », confie MD, étudiant en fin de cycle qui évolue dans la vente des médicaments depuis 2014.

Selon une source proche de la direction nationale de la pharmacie et du médicament, il est difficile de déterminer qui tire les ficelles d’autant que les importations de conteneurs de médicaments ont cessé depuis 2021. Mais tout de même, au marché Madina où on y rencontre des vendeurs de médicaments :

« Ce sont les étalagistes qui vendent maintenant en cachette. Mais on ne verra pas un conteneur de médicaments en provenance de l’étranger pour dire que c’est importé par telle ou telle personne. Avant, c’est ce qui se passait. Une seule personne pouvait importer dix (10) voire 20 conteneurs de médicaments. Toute cette quantité était déversée sur le marché de Madina et de-là, à travers le pays et même les pays limitrophes. Donc, s’il y a des gens qui tireraient des ficelles, ce n’est pas sur le plan administratif.  Et s’il en existe, puisque nous allons bientôt redescendre sur le terrain, on le saura car on ira jusqu’au bout », ajoute cette source proche du ministère de la santé.

Sauvée par son médecin 

Dans la vente de faux médicaments, il y a même des gérants de pharmacies légalement installées qui sont impliqués. Mme Adama Hawa a failli en être victime. Elle témoigne : « J’avais acheté des produits hormonaux. C’est mon médecin qui me les avait prescrits. Mais ce sont des produits rares à trouver. A chaque fois, il me disait d’ailleurs de lui envoyer les produits après achat, pour vérifier. Parce que certains peuvent te vendre de la contrefaçon. Pour éviter tout cela, il m’a recommandé de lui montrer les produits. Je suis allée les acheter dans une pharmacie située à Kaloum. J’ai envoyé les produits à mon médecin. Après vérification, il m’a révélé que ce ne sont pas les bons produits et d’ailleurs, ce n’est pas de la contrefaçon mais des faux médicaments. Je suis retournée à la pharmacie où je les ai achetés. Et quand j’ai expliqué au personnel de la pharmacie, ils n’ont même pas posé de problème parce que je me dis qu’ils savent car connaissant leur fournisseur.

Ils m’ont présenté des excuses et m’ont restitué mon argent, tout en disant qu’ils n’ont pas la qualité de médicaments que le médecin m’a recommandé. Je les ai quittés. Mais je n’avais pas trouvé les médicaments que je cherchais, ce qui a obligé mon médecin à me prescrire une nouvelle ordonnance. Alors, ce qui m’a sauvée, c’est d’avoir été voir mon médecin avant de prendre les médicaments », a explique Mme Adama Hawa, une citoyenne.

Les méfaits sur la santé des populations

« Tout médicament est un poison potentiel », selon Docteur Ben Youssouf Keita, médecin généraliste et spécialiste en chirurgie digestive. Raison pour laquelle explique-t-il, qu’ « il y a des dosages bien fixés selon le poids ou l’âge ».

Pour lui, « il est vrai que le médicament est fait pour soigner, mais de la même manière, il est un poison potentiel, il a des effets nocifs. C’est pour cette raison qu’on parle des effets bénéfiques et des effets secondaires », explique-t-il.

Pour qu’un médicament soit efficace, il faut d’abord la qualité de la conservation, que le diagnostic soit précis et adapté pour que la dose soit respectée. Si le médicament n’est pas de bonne qualité, il n’est pas bien conservé, il est périmé, lorsqu’il est donné à un malade, il ne produira pas de résultats. Au contraire, explique Dr Keita, « le produit peut causer des dégâts ».

Les faux médicaments peuvent être hépatotoxiques. Ils peuvent détruire le foie et avoir un effet négatif sur les reins. C’est ce qu’on appelle la néphropathie. Les cas les plus emblématiques sont les effets sur les reins qui produisent l’insuffisance rénale chronique. Quand vous allez aujourd’hui au CHU de Donka, au service de néphrologie, spécifiquement au service de dialyse, vous vous rendrez compte que les faux médicaments sont en train de causer des dégâts énormes. La majeure partie des patients qui sont aujourd’hui sous dialyse, à Donka, cela est dû effectivement à la consommation de produits pharmaceutiques de mauvaise qualité, des produits périmés ou des produits de contrefaçon. Ceux qui vendent les faux médicaments doivent être poursuivis comme des criminels », a-t-il suggéré.

Impact sur la démographie

Concernant les conséquences de la vente des faux médicaments sur le plan humain, ce sont les hôpitaux qui peuvent donner les chiffres selon un cadre du ministère de santé. « Les statistiques ne sont pas encore remontées au niveau du ministère de la santé. Parce qu’il peut y avoir des victimes par intoxication médicamenteuse, et d’autres par effets indésirables dû à des produits achetés sur le marché illicite. Ces statistiques, c’est au niveau des hôpitaux qu’on peut les retrouver », confie un cadre de l’inspection général de la santé.

Pour Dr Ben Youssouf Keita la vente des faux médicaments est une pratique qui a impacté la croissance démographique de la Guinée. Car, dit-il, à l’accession de l’indépendance en 1958, pratiquement la Guinée avait le même nombre d’habitants que la Côte d’Ivoire. Mais à cause des faux médicaments, beaucoup de guinéens ont perdu la vie en étant simplement fatalistes.

Les faux médicaments ont accéléré la mort de beaucoup de guinéens. Ce qui a fait qu’aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a quadruplé sa population. Le pays est à plus de 20 millions d’habitants, alors que nous, même si la population a triplé, à cause des faux médicaments, notre taux de croissance démographique a chuté », a expliqué l’ancien député et président de la commission santé de l’Assemblée nationale guinéenne.

En novembre 2020, le ministre de la santé, le médecin colonel Remy Lamah, parlant des médicaments contrefaits devant les députés de la 8ème législature, révélait que plus de 100 mille cas de décès par an sont enregistrés à cause de faux médicaments ou médicaments falsifiés.

Ce que disent des patients

A Conakry, c’est au centre national d’hémodialyse de Donka qu’on rencontre des victimes des faux médicaments. Nous nous y sommes rendus pour recueillir des témoignages. Sur place, de nombreux patients y sont hospitalisés. M. Bah a accepté de nous parler sur comment il a été diagnostiqué d’une insuffisance rénale, une maladie d’origine toxique médicamenteuse.

« J’étais un peu souffrant, je suis hypertendu et diabétique depuis 2015. Tout récemment, au mois d’août, je m’apprêtais à prendre mon congé, mais cette fois-ci, je me sentais un peu fatigué. Je suis allé faire des consultations pour savoir de quoi je souffre parce que mes pieds commençaient à enfler. Alors, le médecin a observé les pieds, il a aussitôt vu qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il m’a recommandé d’aller faire le scanner à la caisse nationale de la sécurité sociale. Je suis allé le faire et revenir montrer le cliché à mon médecin. Après vérification, il m’a dit : malheureusement monsieur Bah, vous avez été victime d’un AVC (accident vasculaire cérébrale). Heureusement, je ne suis pas tombé, sinon ce serait presque fini pour moi. Mais, j’ai constaté d’autres changements, je dormais trop… Je suis allé faire d’autres examens dans plus de cinq (5) laboratoires. C’est ainsi que mon médecin m’a dit que j’ai une insuffisance rénale. Le 23 mai dernier, j’ai été admis, on m’a hospitalisé, on m’a placé les cathéters », a-t-il expliqué, soulignant qu’il a été libéré mais revient deux fois par semaine pour faire sa dialyse.

La toxicité au niveau rénale dû aux médicaments est fréquente en milieu hospitalier, selon Dr Moussa Traoré, néphrologue, assistant à la faculté des sciences et techniques de la santé de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry.

« Cette toxicité peut être causée par des faux médicaments, mais pas seulement. On a les médicaments traditionnels non explorés et souvent mal manipulés par des gens qui ne s’y connaissent pas. Il y a aussi des médicaments modernes mais contrefaits par des groupes de personnes mal intentionnées. Ces médicaments contrefaits, la composition ne sera pas bonne, parce qu’ils peuvent tenter d’imiter l’original mais à la fin, ils font du surdosage. Ce composant peut s’avérer toxique pour les reins. En dehors de ces deux éléments, on a des médicaments modernes, homologués, bien connus dans la pharmacie, mais qui sont connus toxiques pour les reins. Ça veut dire que ces médicaments, bien qu’ils soient d’une part bénéfique parce qu’ils traitent certaines maladies, mais la manipulation doit être faite par un expert, un spécialiste pour que le mal qu’on veut traiter soit traité sans que les reins ne soient atteints dans leur fonction », explique ce spécialiste en service national d’hémodialyse.

Pourquoi les populations font-elles recours aux faux médicaments ?

Selon Interpol, les faux médicaments peuvent être contrefaits, contaminés ou portés un étiquetage mensonger.  Dr Ben Youssouf Keita, médecin généraliste, explique que le lieu de conservation des produits pharmaceutiques par les vendeurs peut rendre les médicaments faux. Mais pour les commerçants des médicaments dans la clandestinité, la dernière définition ne sied pas.

Dire qu’on stocke les produits dans un lieu qui n’est pas approprié, je ne suis pas totalement d’accord avec cette affirmation. La majeure partie de nos amis, même s’ils ont des échantillons là où ils vendent, le reste des produits est stocké dans des endroits sécurisés. Et, lorsqu’un client se présente, le vendeur va dans son stock pour chercher pour lui. Ces produits sont stockés dans des endroits appropriés. C’est vrai que tous les facteurs ne sont pas respectés, mais il y a quand-même des efforts louables”, admet MD.

Ce vendeur non professionnel des médicaments refuse d’admettre que ce sont des faux médicaments qu’ils sont en train de donner à leurs clients :

Je ne suis pas d’accord lorsqu’on dit que nous vendons des faux médicaments. La raison en est que la majeure partie des produits pharmaceutiques que nous revendons sont presque les mêmes produits que vous trouverez à la pharmacie, chez lesdits professionnels”, se défend, tout en ajoutant que c’est la raison qui pousse d’ailleurs les citoyens à venir vers eux pour acheter des produits :

Si les citoyens laissent les pharmacies agréées pour venir acheter des médicaments avec nous, c’est parce que ce sont les mêmes produits mais que les prix diffèrent. Lorsque l’Etat a interdit la vente des produits pharmaceutiques par des non professionnels, pourquoi les dirigeants n’ont pas pris des dispositions pour que les prix des médicaments dans les pharmacies soient les mêmes ? Parce que le constat que je peux vous dire, c’est qu’avec nous, tu peux trouver des prix abordables contrairement aux pharmacies parce que pour le même produit, il faut dépenser des millions”, ajoute-t-il.

Pour appuyer cet argument, notre interlocuteur ajoute qu’au niveau de la pharmacie, le petit paquet de Doliprane 100 g est vendu à 25 000 (vingt-cinq mille) francs guinéens, d’autres même à 30 000 (trente mille) Gnf. Pendant ce temps, explique-t-il, « avec nous, le même produit, on vous le revend à 15 000 ou 20 000 francs guinéens au maximum. Et si la personne ou le patient n’a pas les 25 000 et que c’est le prix minimum, qu’est-ce qu’il fera d’autant plus qu’il a besoin du produit ? Il va partir là où son argent correspond au prix. Il y a plusieurs exemples de ce genre. C’est donc tous ces facteurs qui poussent les gens à venir vers nous”.

Par le passé, on se procurait généralement au même endroit, chez les mêmes fournisseurs. Mais on les revendait à des prix différents. Il y a des produits qu’on peut trouver avec nous sans qu’on ne les trouve à la pharmacie”, précise notre interlocuteur.

Les raisons de la persistance de la pratique  

Malgré des arrestations et condamnations de certains commerçants pour l’exercice illégal du métier de pharmacien, la pratique se poursuit. Certains pratiquants pointent du doigt le chômage et la pauvreté.

C’est le manque d’emploi. La majeure partie des personnes qui vendent des produits pharmaceutiques sont des diplômés sans emploi ou des étudiants en fin de cycle. Certains sont dans l’attente de leur soutenance pour avoir leur diplôme mais il y a des gens parmi nous qui doivent réaliser leur mémoire de fin de cycle. La réalisation de ce mémoire coûte de l’argent, beaucoup de millions de francs guinéens. Et si tu n’as pas de sources de revenus, tu es obligé de rester comme ça. Et si tu gagnes où faire le stage ? L’argent qu’on te donne à la fin du mois, c’est généralement 500 000 Gnf. Ce montant ne peut même pas assurer ton transport à plus forte raison payer le loyer et autres dépenses accessoires. Mais après tout, c’est une profession de passage que les gens font, le temps pour eux de trouver un point de chute”, explique un pratiquant de cette activité.

Cet argument est loin de la réalité selon un cadre du ministère de la santé. Car au début de la lutte, on disait que beaucoup étaient dans la pratique le faisaient par méconnaissance ou par ignorance. Mais depuis 2019 les premières actions de la lutte ont été mises avec d’abord la création de la brigade médicrime. Et, le régime actuel le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a trouvé plus de 200 conteneurs de médicaments arraisonnés au port. « Les propriétaires de ces conteneurs n’avaient pas l’autorisation d’importer. Alors ces conteneurs étaient bloqués au port par le régime d’alors (Alpha Condé). Ça veut dire que ce n’est aujourd’hui que le combat a commencé », révèle notre interlocuteur.

Maintenant les pratiquants sont suffisamment informés car il y a 4 ans que la lutte est enclenchée. « Quiconque a abandonné, tant mieux, ceux qui disent qu’ils vont forcément survivre, ils peuvent continuer, c’est devant la justice qu’ils finiront par comprendre. Et c’est là-bas également qu’on va comprendre ceux qui sont en train de tirer les ficelles ».

Si certains vendeurs illicites de médicaments se targuent de revendre à un prix moins cher que dans les officines et pharmacies, au ministère de la santé et de l’hygiène publique, cet argument ne passe pas :

Premièrement explique un cadre un cadre du département, un traitement n’est jamais cher et il n’y a pas mieux que la santé.

« Que les gens se rendent dans les centres de santé pour se faire soigner. Dans les centres de santé, toutes les maladies courantes sont prises en charges. Il y a les produits contre le paludisme, contre les IST (infections sexuellement transmissible), les produits contre la tuberculose.

La première cause de consultation en Guinée, c’est le paludisme. Et il y a des produits gratuitement dans les centres de santé. La seule chose qu’on paie, c’est le carnet, et le plus cher, c’est à 15 000 Gnf. Les produits antipaludiques sont moins chers », se défend-t-il.

Dans les pharmacies également, les coûts sont abordables, dira notre source : « Alors, dire que les produits sont chers, c’est une façon de minimiser les efforts des autorités car les médicaments essentiels et génériques qui sont dans les centres de santé, sont à un coût très bas et accessible à la population. D’ailleurs, même ces médicaments sont plus chers chez les vendeurs illicites que dans ces centres de soins du pays ».

Enquête réalisée par Aboubacar Siddy Diallo

Pour Africaguinee.com

PS : Cet article a été Réalisé avec le soutien du Centre International pour les Journalistes, ICFJ. Les noms de certaines personnes ont été volontairement changés pour garder leur anonymat.

Créé le 5 novembre 2024 09:11

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