Révérend Père François Sylla : « Je ne souhaiterais pas qu’Alpha Condé fasse l’aventure d’une nouvelle candidature… »

Révérend Père François Sylla, Président de l'Union du Clergé de Guinée

CONAKRY- Face à la crise politique que traverse la Guinée, les religieux se font de plus en plus entendre. Le Président de l’Union du Clergé de Guinée s’est à son tour exprimé sur le bras de fer engagé entre le Président Alpha Condé et ses opposants au sujet des élections législatives et du référendum Constitutionnel.

Le Révérend Père François Sylla a dans cette interview qu’il a accordée à notre rédaction, lancé un appel aux acteurs politiques guinéens. Au Président Alpha Condé, il a adressé un message tout particulier. C’est une exclusivité Africaguinee.com ! 

 

AFRICAGUINEE.COM : Quelle lecture faite vous de la situation politique actuelle de la Guinée ? 

RÉVÉREND PÈRE FRANÇOIS SYLLA :  Je préfère parler de la situation sociopolitique ; car cela permet de mieux cerner la question. En effet, Aristote définit la Politique comme la gestion des affaires de la cité (polis). La politique est donc au service de la société des Hommes. Le contraire serait une aberration. Car la politique a pour mission de travailler à la réalisation du « bien commun » et à la promotion de la justice et du droit. Il s’agit pour la politique de travailler pour que les hommes et les femmes de la communauté humaine qui se reconnaissent et s’acceptent comme des frères et sœurs.

Malheureusement, cette conception originelle de la politique est confrontée à de rudes épreuves dans notre pays. Aujourd’hui, tout le monde sait que c’est l’égoïsme ou l’intérêt partisan qui bat le pavé dans notre chère Guinée. Le patriotisme, c’est-à-dire la recherche de « l’intérêt supérieur de la Guinée d’abord », n’est plus une priorité. Ce qui compte pour bon nombre de guinéens aujourd’hui, c’est l’ethnie, la région, le clan, etc. Les partis politiques naissent, se développent et fonctionnent à partir des considérations ethniques, régionalistes et partisanes.

Raison pour laquelle la situation sociopolitique aujourd’hui est très tendue, voire alarmante dans notre pays. La tension est haute ; les esprits sont surchauffés ; la crainte est générale et perceptible partout. Le guinéen est devenu « loup » pour le guinéen. La dignité de la personne humaine, ainsi que ses droits fondamentaux sont piétinés et relégués au second plan. Personne ne veut plus accepter et écouter l’autre sur la base du dialogue constructif.  Je ne voudrais pas être trop pessimiste, mais la réalité est là. Il est temps de nous ressaisir : sinon nous risquons de nous acheminer vers la destruction de ce riche et beau pays.

Le 26 janvier dernier le clergé guinéen a interpelé le Chef de l'Etat, lui demandant d’intervenir pour ramener la quiétude dans le pays. Avez-vous l’impression que votre appel a été entendu ou pas ?

Etant fils de cette terre qui nous a vus naître,  que nous aimons tendrement et à qui nous devons aussi notre sacerdoce, nous prêtres catholiques guinéens avons jugé nécessaire d’apporter notre modeste contribution au débat sociopolitique actuel. Il ne s’agit pas d’une intromission dans la sphère politique, ni d’une imposition quelconque, mais d’une contribution, d’une participation filiale, tout en respectant les points de vue des uns et des autres. En effet, « la recherche de la vérité ne peut se faire que dans l’ouverture du cœur », affirment conjointement le Pape émérite Benoit XVI et le Cardinal Robert Sarah. Nous ne possédons pas la vérité absolue ; mais nous pensons que sans l’ouverture du cœur pour un dialogue inclusif, sans collaboration patriotique et responsable entre tous les fils et filles de ce pays, nous ne pouvons pas nous développer sereinement. Nous croyons que nous avons été entendus et compris par les uns et par les autres.

Le clergé a aussi invité le Chef de l’Etat au respect de la Constitution. Mais il se trouve que les guinéens sont appelés aux urnes dans deux semaines pour le référendum constitutionnel et les législatives. Etes-vous  déçus ?

C’est notre point de vue que nous avons exprimé librement, en mettant l’intérêt supérieur de la Guinée au-delà de toute considération. La Guinée a opté pour la Laïcité de l’Etat et la Liberté religieuse. Il y a donc une nette séparation entre les sphères politiques et religieuses. Mais étant donné que les deux instances sont autonomes (les autorités religieuses et politiques) et « sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes », il convient une « saine coopération » qui permette à l’un et à l’autre de mieux exercer sa mission sur ces mêmes Hommes. La « saine coopération » entre les pouvoirs civils et les autorités religieuses, dont parle le Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, n° 76) doit s’exercer pour le progrès et le bonheur social de tous les Hommes dans la cité. Il serait donc prématuré de parler de déception. Par contre nous espérons que notre contribution, tôt ou tard, fera tâche d’huile.

La crise s’enlise davantage avec des manifestations dans lesquelles on enregistre des morts.  Selon vous qu’est-ce qu’il faut pour ramener la sérénité dans le pays ?

Dans notre message du 26 janvier 2020, nous avons réaffirmé, à la suite de son Eminence Cardinal Sarah, que « le sang a trop coulé en Guinée ». Il convient de rappeler aux uns et autres que le sang humain est sacré. Dieu dit, en effet, « tu ne tueras pas » (Exode 20,13). Personne n’a donc le droit de verser le sang de son frère ou de sa sœur. En tant que guinéens, nous sommes des frères et sœurs, puisque nous sommes tous fils et filles de cette terre aimée, qu’est la Guinée. Ce n’est pas sur le sang humain, sur le cadavre des guinéens que nous allons développer ce pays.

A mon humble avis, à l’état actuel des choses, la première condition pour ramener la sérénité dans le pays, il faut d’abord arrêter le massacre d’innocents, en retrouvant, chacun pour sa part, le sens de la dignité humaine. Ensuite, il faut accepter les autres dans la diversité et permettre l’ouverture du dialogue inclusif, franc et responsable. C’est à ces conditions fondamentales que nous pourrons nous donner la main pour travailler à la libération de ce pays de tous les maux qui l’assaillent. En effet, pour nous aujourd’hui, libération signifie refus du mensonge et de l’injustice, refus de la démagogie et de l’égoïsme, refus de la haine et de la division, refus de la corruption et de la culture de la mort, etc. C’est en bannissant ces maux dans nos vies personnelles et dans nos relations communautaires, c’est en nous ressaisissant et en luttant pour l’intérêt patriotique que nous pourrons œuvrer pour le développement, la justice sociale, le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

Ne pensez-vous pas qu’une annonce solennelle du Président de la République sur sa non candidature à la présidentielle de cette année pourrait mettre fin à cette crise ?

C’est certainement le souhait de beaucoup de guinéens. Mais le Président est libre de se prononcer quand il le juge opportun. Personnellement, avec tout le respect que je lui dois, et connaissant l’histoire héroïque du Président Alpha Condé sur la scène politique nationale et internationale, je ne pense pas et ne souhaiterais pas qu’il fasse l’aventure d’une nouvelle candidature.

Quel appel auriez-vous à  lancer aux forces vives de la Nation ?

Je reviens encore sur le message du Clergé guinéen du 26 janvier dernier. Dans notre message, nous nous sommes adressés largement à toutes les composantes de la Nation guinéenne. Nous ne sommes pas des politiciens et, en tant que prêtres catholiques, nous n’avons pas le droit de faire directement la politique, bien que nous sommes tous « des êtres politiques », car, comme dit Aristote, « tout homme est un animal politique ». Mais je souhaiterais qu’on lise notre message de Nzérékoré avec sérénité ; puisque tout ce que nous y avons dit provient d’une analyse impartiale, dénuée de toute considération politique ou partisane.

En dernière analyse, je voudrais inviter les forces vives de la Nation au dialogue inclusif et constructif. Le dialogue est une condition « sine qua non » pour favoriser la paix, le progrès économique, culturel et social. Pour le faire, il convient que chaque guinéen en général, et les responsables en particulier, dépassent leur égo, cultivent une conscience vive de la dignité humaine, avec ses implications politico-juridiques : promotion des libertés fondamentales, des droits et devoirs humains inaliénables. « La garantie des droits de la personne est en effet une condition indispensable pour que les citoyens, individuellement ou en groupe, puissent participer activement à la vie et à la gestion des affaires publiques.» (cf. Gaudium et spes, n° 73).

Comme on le dit : la Guinée est un pays fondamentalement religieux. Nous chrétiens venons de commencer le temps de carême, temps de conversion et de renouveau dans nos rapports avec Dieu et dans nos relations interpersonnelles. Et bientôt débutera le Ramadan pour les musulmans. Le peuple croyant de Guinée ne doit donc pas se comporter comme si Dieu n’existait pas. En effet, "prier Dieu" et "adorer Satan" sont contradictoire. Il nous faut nous convertir, c’est-à-dire changer de regards, de perspectives et de logiques. Il s’agit d’aller à contre-courant d’une mentalité qui privilégie la haine et la violence, la division et l’égoïste, le régionalisme et l’ethnocentrisme, la corruption et le mensonge, etc. En effet, la violence, la haine, la division et les propos incendiaires et destructeurs ne favorisent pas la paix et ne développent pas une Nation ; et la Guinée ne se construira pas dans la rue, ni dans la démagogie. Et quel que soit le Chef de l’Etat ou la Constitution qu’on donnera à la Guinée, si les guinéens dans l’ensemble et si chaque guinéen ne changent pas de mentalité, notre cher et beau pays aura du mal à se développer.

Mais « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). Nous espérons et croyons qu’avec l’engagement de tous et de chacun, nous verrons le bout du tunnel. Que Dieu bénisse et protège la Guinée ! Amen !

 

Interview réalisée par Bah Aissatou

Pour Africaguinee.com

Tél : (+224) 655 31 11 14

Créé le 3 mars 2020 12:47

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