Regis Hounkpè: « la Cedeao s’est révélée un tigre en papier…face aux coups d’Etat »

Régis Hounkpé

CONAKRY-Comment expliquer la multiplication des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ? L’armée est-elle la solution aux manquements des régimes civils ? Pourquoi la CEDEAO n’arrive-t-elle pas à endiguer les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ? Africaguinee.com a interrogé Régis Hounkpé expert et analyste géopolitique. Conseiller politique de plusieurs personnalités politiques africaines et ancien attaché parlementaire à l'assemblée nationale française, M. Hounkpé est fondateur et directeur exécutif d'InterGlobe Conseils.

Dans cet entretien, nous avons abordé de long en large la situation politique et sécuritaire dans la zone Cedeao, frappée par une “épidémie de coups d’État”. Il prévient qu’aucun pays n’est à l’abris de ces putschs. Encline à prendre des sanctions contre les putschistes, la CEDEAO s’est révélée comme un « tigre en papier », analyse l’expert qui alerte aussi sur l’extension de l’influence russe sur le continent au détriment de la France en perte de vitesse.

AFRICAGUINEE.COM : Comment expliquez-vous la résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest ?

RÉGIS HOUNKPÉ : Nous assistons depuis bientôt deux (2) ans sur le continent africain surtout dans la zone Cedeao à une épidémie de coups d’État militaire du fait des colonels désireux de remettre en cause l’ordre constitutionnel existant. Les coups d’État se passent, mais ne se ressemblent pas tous. On a eu trois cas de coup d’État différents au Mali, en Guinée et au Burkina. L’objectif de ces militaires, c’est de renverser un pouvoir civil qu’il juge incompétent et inconséquent par rapport aux urgences sécuritaires. L’exemple guinéen est assez différent parce que la conséquence du coup d’État militaire dans le pays, c’est le coup d’État constitutionnel perpétré par Alpha Condé. Au Mali, c’est tout à fait différent. On avait un président dont le mandat était en cours, le pays était dans une situation sécuritaire très difficile.  On était dans un pays où le pouvoir politique ne parvenait pas à avoir les véritables réponses pour vaincre les djihadistes.

C’est dans ce contexte, le président IBK, régulièrement élu, a été chassé du pouvoir. On est encore dans un cas plus pointu au Burkina parce que le président Roch Kaboré est régulièrement élu dans un pays où la liberté de la presse, d’opinion, les droits des oppositions garantis malgré de fréquents remous. Cela dit, il y a aujourd’hui une catégorie de chefs militaires en Afrique de l’Ouest qui estiment que les pouvoirs politiques ne tiennent plus les rênes et ne font plus leur job sur le plan politique, sécuritaire, économique et sanitaire. On est quand même dans des contextes extrêmement clivants où la question sécuritaire infuse tous les domaines et celle-ci non garantie affaisse la cohésion sociale et le développement économique.

Peut-on en déduire alors que face aux défaillances des pouvoirs civils, les coups d’État sont nécessaires ?

Cette inflation de coup d’État ne rend pas service à l’institution militaire qui fait partie intégrante de la société. Je pense que cette inflation est due à la fragilité de nos Etats. Beaucoup de pays étaient considérés comme des enfants malades de la politique du fait de la fréquence des coups de force dans les années 1960 et 1990. Malheureusement, nous rouvrons ce chapitre qui, pour moi, est extrêmement incertain et ne présage rien de bon. Il y a une question qui est fondamentale : est-ce qu’il existerait de coups d’État légitimes quand on voit les affres des politiques menées par les pouvoirs civils ? Toutes les fois qu’il y aura des coups d’État constitutionnel, à un moment ou à un autre, un coup d’État militaire peut intervenir, ne serait-ce que pour corriger et ramener l’ordre constitutionnel, selon ses initiateurs comme on a pu le constater en Guinée.

Dans ce cas, peut-on accorder du crédit aux putschistes ?

Je ne suis pas certain qu’un coup d’État militaire, même s’il est entouré plus tard par des civils, peut avoir une vraie réponse sur les enjeux économique, sanitaire et diplomatique. On a beau soutenir la légitimité première d’un coup d’État militaire et je pèse mes mots, on se rend rapidement compte qu’il n’a pas toute la latitude pour gérer un pays même s’il est entouré par les meilleurs spécialistes et civils qu’il faut. Il n’existe pas de coup d’Etat salvateur et messianique !

Comment expliquer alors les liesses populaires qui ont suivi les coups d’État ?

Dès qu’il y a eu coup d’Etat, pour certains pouvoirs militaires, le fait de permettre que les manifestations, pour peu qu’elles soient spontanées, se fassent en leur nom, ça leur donne une légitimité. Les populations sortent pour exprimer leur ras-le-bol et leur insatisfaction du régime civil précédent déchu. En réalité, les populations perçoivent les juntes militaires comme les instruments circonstanciels qui ont permis l’avènement de cette rupture.

Plusieurs pays de la sous-région sont des Etats fragiles. Est-ce qu’il y a un risque d’effets contagion ?

Je pense qu’il y a un risque certain dans tous les pays. Dans certaines chancelleries africaines et surtout au cœur des palais présidentiels, on analyse tout ce qui se passe chez le voisin pour savoir si c’est grave et si cela aboutit à la chute du président qui encore, il y a quelques heures, était un collègue avec qui on pouvait échanger, il y a un péril. Il y a encore quelques temps, des observateurs se disaient ne seraient touchés que les présidents qui n’étaient pas fâchés avec les normes démocratiques et qui sont dans le mépris total de leurs populations. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’on peut-être un pouvoir civil, essayant de mettre en place son projet de société et subir un putsch des forces armées. Je pense que cette épidémie de coup d’État peut toucher n’importe quel pays de la sous-région, des pays sahéliens jusqu’aux pays côtiers.

Que pensez-vous de l’attitude de la Cedeao ?

Je pense que la Cedeao s’est révélée un tigre en papier et si elle ne se reforme pas assez rapidement elle va à son péril. On se rend compte que les sanctions de la Cedeao sont totalement déconnectées. On ne peut isoler économiquement, diplomatiquement un pays comme le Mali. Il y a beaucoup d’hommes politiques qui oublient parfois des réalités qui sont tangibles. Sur la question sécuritaire, diplomatique et du maintien au pouvoir des militaires, je ne crois pas que la Cedeao ait eu les réponses qu’il faut. Cette batterie de sanctions ne fait que radicaliser les plus modérés d'entre eux. On a vu les manifestations spontanées qui ont eu lieu après les sanctions qui viennent en appui à la légitimité de la junte militaire. Les décisions de la Cedeao ont produit l’effet contraire. Le cas guinéen est différent parce que les émissaires de la Cedeao continuent d’être reçus par la junte. Le fil n’est pas rompu.

D’une part, la Cedeao n'aurait-elle pas raison de sanctionner les putschistes qui ont des velléités à peine cachées de s’éterniser au pouvoir ?

Que la Cedeao exige un délai raisonnable pour la transition et c’est normal de ne pas voir les militaires s’éterniser au pouvoir. Généralement, le délai raisonnable souhaité c’est 12 mois ou 18 mois. En Guinée, il faut qu’il y ait rapidement un chronogramme des élections pour passer du pouvoir militaire au pouvoir civil. Mais il faut savoir que les élections présidentielles ne sont pas systématiquement la réponse à tous les maux que nous connaissons dans les pays africains. Il faut que nous sortions de ces fausses alternances qui, en réalité, ne sont que des intérims. Je déplore le fétichisme des élections présidentielles qui doivent être organisées dans des pays aux administrations déstructurées, aux maux économiques et sociaux encore plus urgents. Élections bien sûr, dans un délai raisonnable, je suis d’accord mais pas avant d’avoir créé les conditions de l’unité du pays et de son chemin économique. Les chemins que prennent les juntes militaires sont périlleux c’est pour cela, je pense qu’il faut du soutien et de la souplesse parce qu’en définitive, c’est le peuple qui souffre.

La similitude entre ces putschs serait le fait qu’il se présentent tous comme des “souverainistes”. Mais dernière, il y a aussi un aspect important c’est l’influence russe notamment au Mali et au Burkina Faso où le patron de Wagner a salué le coup d’État contre Kaboré. En rejetant la France au profit de la Russie, l’Afrique ne serait-elle pas en train de quitter la gueule du loup pour la fosse aux lions ? Comment s’y prendre ?

Les juntes militaires se présentent opportunément comme des souverainistes. Pour moi, ce discours ce n’est que pour flatter la société civile, la jeunesse pour se faire passer pour leurs fiers représentants et qu’ils ne se soumettront plus à la France, l’ex puissance coloniale qui est devenue un empire déchu dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest et du Centre francophone. Mais aujourd’hui, la sphère d’influence de la France se réduit comme peau de chagrin. J’ai envie de dire tant mieux. Mais tant mieux pour le compte de qui ? Est-ce que c’est pour le compte de la Russie, de la Chine ou de la Turquie ? La rivalité entre Paris et Moscou est déportée dans nos capitales africaines. En réalité, ce qui intéresse les Russes ce n’est pas tant le développement du Mali ou de la Guinée. Ce qui intéresse les Russes, c’est le développement économique et l’essor stratégique de leur pays. Il faut évidemment qu’on le comprenne et que nous mettions fin au néocolonialisme français.

Mais faisons très attention parce que la France dispose des concurrents stratégiques dans le monde qui, à défaut d’attaquer, sur le plan stratégique, la France, le font sur le continent africain. Beaucoup d’Africains battent pavillon aujourd’hui pour la Russie. Mais quand on connaît l’historique de l’Urss sur le continent parce qu’on a eu des régimes d’obédience marxiste-léniniste et d’obédience communiste et on connait les affres et les conséquences que cela a provoqué en Afrique. A un moment, qu’on veuille avoir des relations avec la Russie pourquoi pas, mais faisons très attention ne remplaçons pas le parapluie français par la tutelle russe. Elle ne sera ni pire, ni meilleure, mais grave.

Qu’on soit en Guinée, au Mali, Burkina, Benin, partout sur le continent africain, il faut qu’on sache que nos intérêts doivent d’abord primer avant les aspirations d’autres pays. On a vu le groupe Wagner en Centrafrique depuis une décennie, mais le pays est réduit à sa capitale. Si on doit avoir une coopération militaire avec Moscou, il faut que cela soit basé sur une coopération militaire de pays à pays. Le groupe Wagner est une société paramilitaire dont les dirigeants ont été condamnés en Europe. On a vu ce qu’ils ont fait en Syrie. Il faut que les Africains aient de la mémoire, de la culture géopolitique.

Il faut qu’on sache que Wagner ne viendra pas régler la question sécuritaire au Burkina et au Mali, c’est aux Burkinabè et personne d’autre de le faire ainsi qu’au Mali, en Guinée et partout ailleurs en Afrique. Je plaide pour que le développement de nos pays soit fait de façon endogène. Je plaide aussi pour qu’il y ait des relations Nord-Sud plus équilibrées, apaisées et plus respectueuses des uns des autres. Faisons très attention à nos nouveaux amis. Nous n’avons pas d’amis, ils n’ont que des intérêts et il faut que nous pensions pareil.

Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 669 91 93 06

Créé le 29 janvier 2022 14:11

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