Les confidences de Madifing Diané : « C’est Ismael Touré qui a proposé Diallo Téli à Sékou pour diriger l’OUA… »

Elhadj Madifing Diané

CONAKRY- L'Union Africaine (UA) autrefois fois appelée Organisation de l'Unité Africaine (OUA) a célébré, ce mercredi 25 mai 2022, le 59ème anniversaire de sa création. La Guinée est l'un des pays fondateurs de cette grande institution du continent africain sous le leadership de feu Président Ahmed Sékou Touré. À cette occasion, nous avons interrogé Elhadj Madifing DIANE pour parler de l'historique de cette organisation, de l’apport de la Guinée à sa création, du choix de Diallo Teli comme 1er secrétaire général de l’OUA.

AFRICAGUINEE.COM : l'Afrique a célébré ce 25 mai le 59ème anniversaire de la création de l'union africaine. Quel a été l'apport de la Guinée dans la mise en place de cette organisation continentale ?

MADIFING DIANÉ : Aucun État de l'Afrique ne peut avoir cette fierté plus que nous. La Guinée, notre pays a joué un rôle essentiel dans la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Ça fait partie même de notre hymne "l'unité nationale dans l'indépendance recouvrée". Nous sommes le neuvième État de cette Afrique à accéder à l'indépendance. La colombe blanche porte neuf épis. La Guinée est le 9ème.

La vague d'indépendance donnée en 1960 a renforcé ce sentiment de rassembler tous les États africains indépendants de l'époque. La Guinée a misé sur ce chantier par ses aînés qui sont sa majesté Mohamed V roi du Maroc, Gamal Abdel Nasser de la République Arabe unie d'Égypte. Leur intention était de faire tous les États arabes un seul État d'où le nom Etat arabe uni d'Égypte. Le Mali de Modibo Keita, de Kwame Nkrumah du Ghana, du Soudan et de Bourguiba en Tunisie qui étaient des États indépendants. Donc, la Guinée a été mise par ses aînés sur ce grand chantier parce que la plupart des États africains sont du Sud du Sahara.

Les grands meneurs de cette unité sont Sékou Touré en tête avec NKWAME Kourouma et Modibo Keïta. C'est une fierté et un honneur pour la Guinée aujourd'hui de voir tout cet ensemble. On est même oublié dans cette création. Pourtant c’est nous qui avons fait toutes les démarches, contacté tous les États indépendants de l'époque pour accepter cette unité dans son concept réel, véritable unité africaine. C'était même devenu une menace pour les puissances colonisatrices de l'époque.

Qu'est-ce qui a prévalu au choix de la Guinée pour diriger cette organisation ?

C'est en reconnaissance des efforts consentis par la Guinée que nous a été donnée ce poste de Secrétaire Général. C’était à nous de choisir et d'assumer. 

Comment s'est passé la désignation de Boubacar Teli Diallo ?

C'est très simple. Aboubacar Teli Diallo était un haut fonctionnaire au grand conseil de l'AOF (Afrique Occidentale Française).  L'indépendance de la Guinée a été acquise dans l'unité nationale. Le BAG de Barry Diawadou, la démocratie socialiste de Barry 3 se sont fondus en un seul parti le (PRA) qui, à son tour a rejoint le PDG, ils ont fait la campagne pour obtenir l'indépendance. La première équipe gouvernementale de cette Guinée n'a fait aucune exclusion. DIALLO Teli a eu le privilège d'être désigné premier ambassadeur de Guinée aux Nations-Unies. Après que toute l'Afrique dans sa grande majorité ait accepté la Guinée d'assumer la fonction de secrétaire général de l'OUA, il fallait trouver la personne pour occuper ce poste. Le premier choix a été porté sur Lansana Diané, mais il avait un caractère particulier. Parce qu'il faut retenir un chapitre, l'OUA était devenue une menace pour les puissances colonisatrices.

Cette indépendance acquise, l'Afrique, au niveau de notre région était répartie entre deux blocs. Le bloc de Casablanca et celui de Moronvia. Ces deux ont accepté de former un seul bloc pour créer l'OUA mais les puissances colonisatrices notamment la France a créé l'OCAM (l'Organisation Commune Afrique Malgache). C'était un mouvement parallèle à l'OUA avec pour dessin de détruire celle-ci. Malgré tout l'OUA a résisté, l'OCAM disparu.

Alors, pour revenir sur la question, le premier choix était Diané Lansana mais c'était un monsieur qui n'avait pas une certaine ouverture sur le reste de l'Afrique comme Teli.  Le deuxième choix était Balla Camara, c'est un cadre qui a travaillé à la banque centrale, il était marié à une française. Il a été disqualifié parce que c'était un jeune révolutionnaire, on ne voulait pas s'approcher de la France à l'époque. Teli Diallo était le troisième choix. On a dit il y a Teli qui a été un grand fonctionnaire au haut conseil à Dakar, il a une ouverture sur l'ensemble des État de l'Afrique occidentale française, ça pouvait être un bon choix. Il a été accepté et tenez-vous bien, c'est Ismael Touré qui a proposé Teli dans cette fonction. Il a été appelé par Sékou Touré, il l'a accompagné pour les dernières démarches et en définitive Teli Diallo a été désigné par la Guinée comme à la fonction. C'était à l'unanimité.

Malgré tout, l'OCAM qui a été mise hors circuit a présenté un Dahomey Sounignan Agouty. Il s'est porté candidat au poste du secrétaire général de l'OUA contre Aboubacar Teli Diallo. Et comme c'était une promesse faite à la Guinée, la totalité des États membres indépendants de l'Afrique à l'époque ont choisi Aboubacar Teli Diallo, secrétaire général. C'est la révolution guinéenne, la République de Guinée qui a valorisé Teli Diallo. De poste de l'Ambassadeur de la Guinée aux Nations-Unies, après secrétaire général de l'OUA pour enfin terminer sa carrière comme ministre la justice. 

Quel bilan peut-on retenir de la gestion de la Guinée à la tête de l'OUA ?

Une gestion fructueuse. Elle a été salutaire. Elle a été particulièrement importante. Tous les mouvements de libération de l'Afrique sont passés par la Guinée et la plupart de leurs leaders (Agosto Ino de l'Angola), feu Imodou (Mozambique) je ne parle pas d'Amilcar Cabral (Guinée Bissau), de l'ANC de Nelson Mandela aussi, on n’en parle pas, tous sont passés par la Guinée. 

L'apartheid a été présentée aux Nations-Unies pour la première fois par la Camarade Miriam Makéba à l'époque en exil ici, avec un passeport diplomatique guinéen. Elle était dans la délégation guinéenne pour dénoncer pour la première fois à la tribune des Nations-Unies l'apartheid en Afrique du Sud. La Guinée n'est pas un petit État. Nous nous sommes battus dans l'unité, on a tendu la main à d'autres États indépendants de l'Afrique pour créer l'unité Africaine. Cette journée ne peut-être qu'un honneur et une grande fierté pour le peuple de Guinée. 

Diallo Teli qui a été secrétaire général de l'OUA, revenu dans son pays pour occuper le poste du ministre de la justice est mort finalement en prison. Qu'est-ce qui a créé le fossé entre lui et le feu Ahmed Sékou Touré pour que ça se termine comme ça ?

Ce n'est pas l'objet de notre entretien. Mais une révolution, partout dans le monde, c'est une locomotive en marche éternelle.  A chaque station, elle descend des passagers et d'autres s'embarquent et c'est une course infinie. Teli a été intégré à la révolution guinéenne, il est monté dans une station et il est descendu dans une autre. Je n'ai pas le complexe d'en parler mais ce n'est pas l’objet de notre entretien. Et donc, ce que je peux vous dire, Teli a été le premier secrétaire général de l'OUA sur la désignation de la République de Guinée parce que la Guinée a été honorée pour les démarches qu'elle a effectuée pour la création de cette unité qui avons aujourd'hui (L'UA).

De l’avis de certains observateurs, la Guinée a perdu sa place au sein de cette institution dont elle est pourtant une des génitrices. Partagez-vous ce sentiment ?

Non, la Guinée ne perdra pas sa place. Mais c'est une question de diplomatie. La force d'un pays c'est sa diplomatie.  Vous partez à Addis-Abeba, vous trouverez des arbres qui sont plantés là-bas (ma dernière visite remonte à 5 ans où six ans) mais j'ai vu cet arbre planté par Sékou Touré en bonne et due forme à côté de celui de sa majesté Haïlé Sélassié Ier empereur d'Ethiopie. C'est pour vous dire que la Guinée ne perdra sa place dans l'histoire de ce continent, c'est une question de vision politique et de la diplomatie guinéenne car nous avons été au-devant de toutes ces grandes batailles. 

Tous ces États indépendants issus de la Colonisation qu'elle soit portugaise, Française, ou anglaise nous doivent quelque chose parce que nous avons été le seul État à les soutenir. Retenez bien, l'agression du 22 novembre 1970, la raison politique au-delà de l'élimination physique de Ahmed Sékou Touré, c'était la présence du PAIGC du camarade Amilcar Cabral qui était là avec son adjoint Ares Pierre Péreira, tous les deux résidaient à la Minière (commune de Dixinn). Leur résidence actuelle fait office de Chancellerie de la République de Guinée Bissau, indépendante en 1973 comme les autres États lusophones du Portugal. Et quand le Portugal a été condamné à dédommager la Guinée suite à cette agression, la Guinée a exigé du Portugal l'indépendance des États soumis à son autorité. Ces Etats ont été indépendants le 11 novembre pour l'Angola, le 25 juin pour le Mozambique et la Guinée Bissau le 24 novembre 1973, si j'ai la bonne mémoire. Tous ces États ont été indépendants grâce à la proposition de la Guinée. 

Et selon vous, que devrait faire la diplomatie guinéenne pour que la Guinée ait tout le respect qu'elle mérite au sein de cette organisation ?

Tout est une question de vision. Nous (la Guinée) sommes au cœur de ce territoire qui est l'Afrique. C'est une question de vision, de la disponibilité et d'engagement. Nous n'avons que des actes. On ne parlera jamais honnêtement de l'OUA actuelle l'UA sans parler de la Guinée. 

Nous avons eu une diplomatie vivante pour créer cette organisation. Nous avons été présents pour présenter les cris des peuples colonisés que sont ces colonies portugaises jusqu'à la Namibie et autres. Donc, nous devrions aller au-delà des querelles pour valoriser encore cette Guinée dans la diplomatie. Tout est question d'approche. 

Personne ne peut nous négliger dans ce vaste territoire qu'est l'Afrique. Nous sommes au cœur de la marche de ce continent. Nous avons été la locomotive de marche de cette Afrique grâce à notre diplomatie, notre vision et notre engagement fidèle aux peuples africains pour leur émancipation et leur progrès. 

Notre diplomatie doit être à l'avant-garde pour la protection de ce pays, pour la défense de ses intérêts, c'est une question de vision et d'engagement. Ceux qui assument cette fonction aujourd'hui ils ont cette valeur à la fois morale et intellectuelle de s'engager pour valoriser cette Guinée à travers ce que nous avons été et en exigeant et la présentant tel que nous sommes. 

Nous sommes un peuple de valeur, respecté engagé pour l'émancipation des peuples africains. Cette vision de la diplomatie guinéenne est déjà tracée, c'est une question de maintenance et d'engagement. Ce n'est pas un enseignement, mais le Guinéen est né diplomate, grandi diplomate et sera toujours un diplomate. 

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo 

Pour Africaguinee.com 

Tel : (00224) 655 311 114

Créé le 25 mai 2022 21:28

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