Immigration clandestine : le récit émouvant d’un jeune guinéen bloqué en Algérie depuis 6 ans(EXCLUSIF)

ALGER- C’est l’histoire d’un jeune qui s’est lancé dans l’aventure sans prendre connaissance des dangers liés à l’immigration clandestine. M. Bah, comme d’autres jeunes guinéens, a voulu atteindre les côtes européennes. Son rêve s’est très vite transformé en cauchemar. De son parcours à son quotidien en Algérie où il s’est retrouvé depuis 2010, M. Bah dit tout. Exclusif !!!

AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Bah bonjour !

M. BAH : Oui bonjour !

Dans quelles conditions vous vous êtes retrouvé bloqué en Algérie alors que votre objectif était d’arriver en Europe ?

C’est en 2010 que j’ai quitté la Guinée pour l’Italie comme destination finale. Mais après 6 ans, je reste encore bloqué ici en Algérie avec plusieurs centaines de nos compatriotes sans suite qui rassure.

Racontez-nous votre périple avant d’arriver en Algérie…

D’abord je suis allé au Mali voisin. A mon arrivée à Bamako on m'a conduit directement à la grande gare, c’est là-bas que j’ai rencontré les passeurs. Le passeur m'a dit pour que aller en Algérie directement je dois le payer 90.000 fcfa. Mais ce n’était pas vrai parce que dès mon arrivé à Gao on m'a enfermé pour prendre tout ce que j'avais sur moi comme argent. Après on m’a embarqué avec d’autres passagers dans un véhicule. On a pris la direction de l’Algérie. Avant d'arriver à la frontière, on nous frappait en cours de route .Wallahi c'était la misère. Il n’y avait pas d'eau, pas de nourriture certains sont morts en cours de route. C’est Grâce à Dieu et aux bénédictions des parents que je suis en arrivé en Algérie en vie sinon beaucoup meurent en cours de route.  Des compagnons sont morts comme ça.

En quittant, la Guinée vous aviez combien comme économie sur vous?

J'avais plus de 8 millions de francs guinéens en quittant Tamagaly d’où je suis natif, dans la région de Mamou. En 2010, c’était le prix officiel pour toute la traversée par la mer pour atteindre un pays européen.

Qu'est-ce qui vous empêche jusqu’aujourd’hui de gagner l'Italie ?

C’est l’escroquerie des passeurs. C’est des menteurs. Au début à Bamako, on te dit il y a Espagne ou Italie direct, tu payes ton argent, tu n’arrives même pas en Algérie. D’ailleurs on te dépose dans le Sahara avec toutes les difficultés du monde sans eau, sans nourriture. C’est de cette manière qu’on m’a escroqué en 2010, jusqu’à présent je n’arrive pas à me remettre. Imaginez, tu arrives à Bamako avec le nécessaire qui pourrait t’envoyer jusqu’en Espagne, mais avec la fausseté des passeurs on te retire tout sans que tu n’arrives en Algérie. C’est tout ça qui m’empêche de continuer et qui empêche des milliers de jeunes venus de l’Afrique noire.

Pourquoi vous ne rentrez pas en Guinée ?

Pour l'instant je suis là, l’idée de retourner au pays ne me traverse pas la tête malgré les difficultés. Ça serait une honte ou une faiblesse de rebrousser chemin.

Expliquez-nous comment vous arrivez à gérer le quotidien ?

Très difficile mais ici, quand tu es maçon tu peux trouver du travail. A mon arrivée ici j'ai appris la maçonnerie. Tout est souffrance pour être clair. Je fais le manœuvre dans les chantiers. Du travail forcé vraiment, faire monter du sable sur 3,4 ou 5 mètres de dalles, creuser des trous. Ça te permet de gagner juste la nourriture journalière.

Comment vivent les autres compatriotes qui n’ont pas la liberté de circuler en Algérie ?

Ici ils sont gardés comme des moutons. Ils se confinent eux-mêmes de peur d’être appréhendés. Ils n’ont pas le droit de sortir. Tu peux voir plus 15 personnes dans une chambre de 10 m2.

Ces guinéens  aussi n’ont pas le souhait de rentrer au bercail?

Tu sais, quand tu es là chaque jour tu rêves d'une nouvelle vie meilleure. Nos frères qui sont là préfèrent mourir ici que de retourner en Guinée parce qu'ils savent ce qu'ils ont laissé là-bas.

Certains aussi ont volé beaucoup d’argent pour quitter le pays. Tout est perdu. Les faux passeurs ont détourné tout pour bouffer. Ensuite il y a toujours un petit espoir qui retient les gens ici. Par exemple aujourd'hui, tu es avec quelqu'un demain tu entends qu'il est en Italie ça te donne le courage même si vous souffrez. Bien qu’il faut débourser un montant équivalent à 9 millions de francs guinéens, soit 1000 dollars pour traverser et arriver en Italie.

Est-ce que l'ambassade de Guinée en Algérie est informée de votre situation ?

Le Guinéen n'a pas de valeur ici, si tu es en Guinée tu ne peux pas le savoir.  Un Guinéen meurt personne n’en parle, ni l’ambassade, ni le Gouvernement, ni la population parce que si tu te  présentes tu es foutu, tu n'oses même pas dire que tu es Guinéen.  Ici, on se fait passer pour des maliens parce que seulement les maliens qui sont les bienvenus ici. Sinon tu te confines, je roule avec les maliens et s’ils se rendent comptent aussi tu es foutu. Je pense que l’Etat guinéen sait que des guinéens souffrent ici mais aucune mesure n’est prise pour les aider.

Sollicitez-vous auprès du gouvernement guinéen une mission de rapatriement des compatriotes en situation difficile?

Oui ! Mais, les gouvernants guinéens sont incapables d’agir dans ce sens à mon avis. Sinon c’est un devoir de nous venir en aide.

Aujourd'hui en Guinée, beaucoup de familles s'inquiètent pour leurs fils qui sont partis mais ils n’ont aucune nouvelle d'eux. Êtes-vous en contact avec votre famille ?

Moi ? Oui ! je parle chaque jour avec ma famille en Guinée, ils ont mes nouvelles moi aussi. D’ailleurs je suis marié à deux femmes au pays, j’ai deux enfants aussi, une fille et un garçon. Par contre beaucoup sont là sans nouvelles de leurs familles respectives et leurs familles aussi ne savent rien de ce qu’ils sont devenus. Il ne faut pas l’occulter beaucoup meurent pendant la traversée du désert sans que la famille ne soit au courant tout simplement  parce qu’ils se cachent en sortant.

Un dernier mot ?

Je commence par vous les medias de bien passer ce message pour sauver des vies en danger de mort, sensibiliser les guinéens pour qu’ils sachent ce qu’ils font. Aux jeunes qui veulent sortir du pays de savoir où mettre les pieds, avoir des renseignements clairs avant de quitter la famille. Aux parents d’aider les enfants en situation pendant les moments difficiles. Au gouvernement guinéen d’avoir des bonnes relations avec tous les pays du monde, ça permet de protéger les guinéens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Le Gouvernement doit se remettre en cause également pour dire si les jeunes sortent pour aller vers des voyages suicidaires c’est parce que rien n’est mis en œuvre pour répondre aux attentes des populations

Merci à vous !

Merci à vous également !

 

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

Tel. : (00224) 620 93 45 45

Créé le 17 août 2016 16:57