Guinée-Les « secrets » des enlèvements: témoignage inédit d’un ancien otage

Image d'illustration

CONAKRY-Jadis méconnu, le phénomène des enlèvements a pris de l'ampleur ces dernières années en Guinée. Les opérateurs économiques sont les principales cibles des ravisseurs. Ils sont plusieurs ces hommes d'affaires qui ont été enlevés en Guinée. Le cas le plus emblématique concerne Elhadj Doura, décédé dans les mains de ses ravisseurs et dont le procès des auteurs est en cours actuellement dans un tribunal de Conakry. Avant et même après ce rapt au dénouement tragique, il y en a eu des cas. Le dernier qui est encore récent concerne l'opérateur économique Thierno Mamadou Dansoko, enlevé la nuit dans la banlieue nord de Conakry. Si certains membres du gang ont été arrêtés, d'autres sont en cavale. Ils sont activement recherchés par les services de police, qui ont d'ailleurs mis la tête des fugitifs, à prix.

Comment les rançons se négocient-ils entre ravisseurs et proches des victimes ? Que font les ravisseurs pour obliger les victimes des rapts à garder le silence même après leur libération ? Votre quotidien en ligne Africaguinee.com, a réussi à recueillir des témoignages inédits. La cinquantaine, M. X opérateur économique guinéen qui a étendu ses activités dans de nombreux pays, a été victime d'enlèvement. Il a été kidnappé à Conakry à l’aube alors qu’il priait. Il a passé près de 2 mois dans les mains de ses ravisseurs avant d’être libéré contre une rançon, de près de deux milliards de francs guinéens. Mais sa mésaventure ne s’est pas arrêtée qu'au paiement de la rançon. Ses ravisseurs se sont arrangés pour pouvoir le contrôler à distance. Après sa libération Mr. X était victimes de menaces, de harcèlement et d'extorsion quasi-quotidiens. Le choc, le traumatisme qu'il a traversé avec sa famille pendant cette période se passe de commentaires.  Durant son sa prise d'otage, il étudié et compris le mode opératoire des ravisseurs. Aujourd'hui, il a réussi à quitter la Guinée avec sa famille pour s'installer à l'étranger. Témoignages.

Presque deux milliards de rançons

 « Le kidnapping, c’est pire que la prison. Etre enlevé, c’est être à moitié mort. Mon cas précède de quelques mois celui d’Elhadj Doura paix à son âme. J’ai passé environs 1 mois 27 jours dans les mains des bandits. J’ai payé un montant avoisinant les 2 milliards de francs guinéens pour me faire libérer. Au début ils avaient demandé un montant en devise, mais l’un d’entre eux avait exigé le franc guinéen de peur d’être repéré, qu’ils soient appréhendés au moment de faire la monnaie. Le montant a été payé 2 semaines seulement après mon enlèvement, mais il a fallu près de 2 mois pour qu’ils me libèrent. Chaque jour, on me disait que le moment n’est pas approprié pour ma liberté.

D’ailleurs pour payer le montant, je ne sais pas pour les autres cas d'enlèvement. Je parle de mon cas, ils décident du lieu où le montant doit être déposé, l’heure, celui qui ira chercher est bien préparé et averti. Au moment d’aller chercher l’argent jusqu’à ce que le missionnaire rentre avec le montant, tu as une arme pointée sur ta tête, au cas où le convoyeur de la rançon viendrait avec des agents de sécurité.

 Au même moment, tu as le téléphone pour parler au convoyeur pour lui signifier que ta vie est entre ses mains, s’il vient avec des agents. L’autre confirmera qu’il a reçu l’argent, on te laisse respirer. Le commissionnaire ne rentre pas le même jour aussi au lieu de séquestration. Pour mon cas, il a fait 2 jours avant d’arriver. Il est venu me dire que le compte est bon, il me dit qu’il fallait passer des jours avant de venir, une façon de voir s’il n’est pas suivi.

 Le temps que j’ai passé avec eux nous avons changé de lieux au moins 9 fois. Nous sommes allés dans beaucoup de quartiers de Conakry et dans les périphéries. A chaque fois qu’ils entrent en contact avec la famille, ils changent de lieu pour aller à un autre endroit à la tombée de la nuit. Et puis ils ne parlent pas longtemps avec le même numéro, quelques minutes seulement ils changent la ligne.

Les acteurs du kidnapping étaient au nombre de 20 environs, ils se relayent les uns après les autres. Chacun se fait passer pour celui qui t’aime plus que les autres dans le souci d’avoir des informations sur toi, ta famille afin de mieux te contrôler après, de peur que tu les vendes aux services de sécurité

Le jour où ils ont décidé de me libérer, ils me l’ont annoncé aux environs de 19 heures. Ce jour, ils m'ont demandé de me préparer. Ce qui fut fait, vers minuit ils sont venus. Ils m'ont demandé les noms de l’ensemble des membres de ma famille, mes épouses. L’école dans laquelle mes enfants étudient. Leurs numéros de téléphones.

Ils ont pris avec un ton menaçant pour me dire : tu nous appartiens, même quand tu sors d’ici. Au cas où tu révèleras ce qui s’est passé ou si tu nous vois un jour et que tu dises nous reconnaitre, on va tuer. Si on te voit, on ira tuer tes enfants ou tes femmes. Retiens-le et on t’appellera de temps en temps pour savoir où tu es. Toute information qui filtre considère qu’elle est venue de toi. Le silence rien que le silence".

Ils m'ont dit que si je ne suis pas d’accord, je resterai encore dans leurs mains. Après de longues discussions entre eux, ils ont annulé ce jour. Le soir du lendemain, ils sont revenus cette fois-ci, avec des méthodes indignes et malsaine pour m’exposer. Me mettre à nu, me photographier, me filmer, me faire faire des choses inimaginables. Tout ça, ce sont des moyens de contrôle une fois dehors. Ils m'ont dit tout ça est là : le jour où nous entendrons quoi ce soit, tu te retrouveras sur les réseaux sociaux. Là, j’ai insisté pour qu’ils écrasent les photos parce que les téléphones peuvent changer de mains en mains. Un jour tu peux basculer. De façon unanime, ils ont accepté d’enlever les images. Mais après ma libération, j’ai demandé à d’autres victimes, elles m’ont dit qu’elles ont subies le même sort.

C’est après ça, ils m’ont mis une cagoule aux environs de 3 heures du matin. Ils m’ont mis dans le véhicule, après plusieurs tours dans Conakry, ils m'ont jeté exactement là où ils m’avaient pris. La famille était contente de me revoir mais je ne pouvais expliquer ce qui s’est passé. Le traumatisme était à son comble ainsi que le choc.

Une semaine après ma libération, ils ont commencé à appeler pour demander des crédits, du prix du carburant, des montants allant de 2000, 3000 parfois 5000 dollars. Ils me disent qu’ils ne sont pas loin, qu’ils me suivent de près. On me dit la sécurité ne pourra rien pour preuve : Nous t’avons retenu longtemps, les enquêtes n’ont pas porté, il a fallu qu’ils me libèrent eux-mêmes. Ils m’ont soutiré tellement d’argent que j’ai voulu me rendre une seconde fois pour dire que je n’ai plus rien.

Entretemps Elhadj Doura a été enlevé, je ne sais pas si c’est le même réseau ou pas. Mais ils ont cessé de m’appeler pendant un bon moment. J’ai profité pour partir pour éviter d’autres situations plus graves. Après ils ont repris, mais n’arrivant pas à me joindre, ils ont appelé ma femme. Elle leur a dit que je suis malade, je suis parti me soigner et qu'à mon retour elle transmettra le message. Finalement, c’est elle qui subissait les menaces. Elle a donné 1000 dollars pour les calmer en attendant mon retour. J'ai finalement décidé de faire quitter ma famille en Guinée. Nous avons peur de vivre dans ce pays où des gens font la loi sur les gens. Si tu es visé tu payeras à vie » a révélé cet ancien otage, contraint à un exil forcé.

L’épouse de la victime a aussi révélé certaines situations subies à l’insu de son mari qu'elle a rejoint hors du pays avec les autres membres de la famille : « Ce qui s'est passé prouve que nous avons encore besoin de sécurité pour vivre dans la quiétude. Quelqu’un qui fait du banditisme comme ça, il fait plus peur que les institutions du pays. Il faut avoir peur. On te menace, on te poursuit, tu es obligée de réponde à des appels à des heures tardives pour te justifier. Toute une famille est traumatisée après un choc subi suite à l’enlèvement du mari. Nous avons failli mourir, heureusement les choses sont calmes pour nous. L’après enlèvement est plus difficile à vivre que l’enlèvement. Ces gens me disaient : on te suit au marché, aux cérémonies, vous êtes infiltrés, au cas où vous racontez à quelqu’un ou si vous alertez la police. Donc c’est difficile, j’ai l’espoir qu’un jour que tout changera. Nous sommes une vingtaine de familles à avoir eu un proche enlevé. Je ne sais comment eux ils vivent. Mais pour nous c’est difficile à surmonter » révèle Mme X.

 

Témoignages recueillis par Alpha Ousmane Bah (AOB)

Pour Africaguinee.com

Tel  : (00224) 664 45 45 93

Créé le 21 avril 2021 19:47

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