Baâdiko assène ses vérités suite au drame de Kaloum : « Depuis que le fameux sorcier-charlatan de Siguiri a prédit la chute du CNRD… »

Mamadou Bah Badiko leader de l'UFD

CONAKRY- La Guinée traverse sans doute l’une des pires crises sociales de son histoire suite à l’explosion dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 décembre 2023, du dépôt national d’hydrocarbures. Ce drame sans précédent a couté la vie à une vingtaine de personnes et fait de centaines de blessés et d’importants dégâts matériels dans la commune de Kaloum. Alors que les causes de ce drame ne sont toujours pas déterminées par les autorités, les Guinéens sont frappés du plein fouet actuellement par les conséquences avec une crise de carburant qui impacte tous les secteurs d’activités du pays. Comment analyser cette crise ? Quelles peuvent être les causes du drame et ses conséquences à court, moyen et long terme ? Que doivent faire les autorités pour minimiser les conséquences ? Africaguinee.com a interrogé Mamadou Bah Baâdiko, président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD).

AFRICAGUINEE.COM : Comment réagissez-vous suite à cet incendie qui a dévasté le dépôt national de carburant ?

MAMADOU BAH BAÂDIKO : Tout d’abord, nous nous inclinons pieusement sur la mémoire de toutes les victimes connues ou inconnues de cette catastrophe monumentale. Il est impératif qu’on soit enfin fixé sur la totalité des victimes. Nous ne pouvons que déplorer le manque de transparence sur cette question et l’arrêt de toute communication officielle sur le sujet. Toute la communauté guinéenne doit leur être solidaire. C’est tout le peuple de Guinée qui a eu un très mauvais réveil dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 décembre 2023 ! C’était pour nous la stupéfaction totale ! Comment est-ce possible que ça puisse arriver, surtout dans un pays placé arbitrairement depuis novembre, dans un véritable état d’urgence non déclaré mais bien réel. Mais d’un autre côté, sachant la tension extrême qui règne depuis des mois dans les cercles du pouvoir pour le contrôle du pays, il fallait s’attendre à tout, surtout au pire ! Pour le peuple de Guinée qui subit en silence tous ces soubresauts sanglants du pouvoir c’est tous les jours pire que la veille !

En fait, depuis que le fameux sorcier-charlatan de Siguiri (Mofa Sory) a prédit la chute du CNRD en avril 2023, la ronde infernale est sans fin ! Souvenez-vous des remous de l’affaire Sadiba Koulibaly (…), de l’arrestation d’un certain Mara, collaborateur de l’ancien chef d’Etat Alpha Condé et leur inculpation pour subversion, puis les affrontements sanglants et rocambolesques lors de l’évasion et le retour en prison des détenus célèbres du procès 28 Septembre 2009, tous des hommes en tenue et enfin la mère de toutes les catastrophes, l’explosion du plus grand dépôt pétrolier du pays, en plein quartier populaire !  Du jamais vu, nulle part en Guinée, en Afrique et dans le monde ! Et personne ne peut hélas dire jusqu’où ça ira.

Quelle appréciation faites-vous de la gestion globale de cette crise, jusque-là ?

Pour nous, Africains dont la civilisation est avant tout préoccupée par le facteur humain, le sauvetage des vies humaines, bien avant le décompte de tous les dégâts matériels possibles et imaginables, devrait être la priorité des priorités. L’Homme est pour nous, le capital le plus précieux. Et qu’avons vu de ce côté-là ? Les autorités ont paré au plus pressé, pour secourir des blessés et des brûlés ou pour offrir un toit aux survivants. Ce n’est pas rien ! Mais c’est le Premier ministre lui-même qui a déclaré qu’on ne savait pas quel est le nombre de victimes ! On a bien parlé d’un vague recensement des disparus, mais il n’y a jamais rien eu de concret. Il aurait fallu, mobiliser à fond toutes les forces de secours disponibles pour déblayer une à une toutes les maisons et cases du bidonville de Coronthie, pour s’assurer qu’il ne reste aucune victime sous les décombres. De plus, n’oublions pas que ce quartier qui fait partie de l’histoire coloniale de la Guinée, abrite les populations les plus misérables et les plus déshéritées du pays. Un véritable plan de relocation et mise à disposition de logements doit être mis en place.

Incendie Kaloum

Maintenant sur un autre plan, je ne puis vous cacher ma révolte, mon dégoût, face à des faits observés après la catastrophe. Vous savez, la tradition africaine magnifie le sacrifice, le partage, la solidarité. Chacun de nous qui en a les moyens, se doit de faire des sacrifices, à l’intention de ceux qui en ont le plus besoin. Mais tout doit se passer dans le respect de la dignité de celui qui reçoit. Et qu’avons-nous vu ? Près de 80 têtes de bétail tuées et jetées dans les rues de Conakry ! De pauvres habitants, affamés, désemparés, se sont jetés dessus (…). Si c’était un vrai sacrifice, selon nos belles traditions africaines, qu’est-ce que ça leur aurait coûté de dépecer et découper les bœufs de sacrifice et de distribuer avec déférence et respect, la viande prête à être consommée aux pauvres habitants ? Mais non ! Ils ne peuvent pas le comprendre ! Il aurait fallu pour cela que le peuple repousse du pied ce cadeau empoisonné. On ne parle même pas des denrées avariées, impropres à la consommation que certains ont offert aux sinistrés ! Et pourtant nos belles traditions africaines recommandent de n’offrir aux autres en sacrifice que ce qu’on a de meilleur.

Quelles sont les conséquences économiques et sociales de ce drame ?

La catastrophe monumentale de l’explosion du dépôt pétrolier de Kaloum aura selon toute vraisemblance, des conséquences énormes et surtout durables pour la vie de tous les Guinéens, à l’exception peut-être des privilégiés de la bourgeoisie militaro-bureaucratique qui règne sur le pays. Tous les autres citoyens et citoyennes sont déjà touchés et impactés négativement dans leur vie quotidienne. Avec la rareté du carburant et l’explosion des prix au marché parallèle, chaque citoyen en souffre déjà. Nous avons trouvé extrêmement affligeant et pitoyable d’entendre un soi-disant « économiste » affirmer sans rire que les conséquences seront limitées pour l’Etat à la perte de 447 milliards de FG ! Et pourtant, tout montre que d’ores et déjà, c’est toute la production intérieure brute qui va s’effondrer. Tous les secteurs économiques sont négativement touchés. La machine ne pourra pas se remettre en route aussi vite et aussi facilement. On a déjà deux gros miniers, Chalco Boffa et SMD Léro qui ont annoncé la fermeture de leur exploitation !

Les producteurs indépendants de l’agriculture et de la pêche ne font que crier leur misère, à cause de l’interdiction d’achat du carburant dans les bidons ! Mais qui se soucie de ceux-là qui, justement viennent péniblement à la sueur de leur front et qui, surtout, ne demandent rien de plus à l’Etat ? L’explosion du coût et la rareté du carburant a entraîné celui des coûts de transport des personnes et des marchandises. Tout le système éducatif, déjà très mal en point, est fortement perturbé. Enseignants et élèves ont du mal à se déplacer. Des dizaines de métiers de l’artisanat et des petits métiers indépendants qui ne peuvent pas fonctionner sans carburant, sont au ralenti, pour ne pas dire à l’arrêt ! Avec le blocage de l’internet et les réseaux sociaux, des millions de jeunes qui vivotaient avec des activités économiques liées à ce moyen de communication sont au chômage. On ne parle même pas des journalistes des radios et télévisions réduites au silence ! Même du côté des opérateurs de téléphonie mobile, l’impact est énorme : faute de carburant et d’énergie pour alimenter les sites techniques, les communications téléphone et internet sont très perturbées.

Des camions citernes photographiés à Koundara ce mardi 26 décembre

Pour aggraver tout cela, avec le blocage des réseaux sociaux et la pression inimaginable de l’Etat pour pomper sans limites des ressources, le chiffre d’affaires ne peut que s’effondrer ! Déjà, Areeba-MTN a au moins provisoirement mis la clé sous la porte, jetant dans le désarroi des milliers d’employés. A qui le tour ? Les conséquences économiques et sociales de la catastrophe sont donc extrêmement dramatiques pour l’écrasante majorité de la population. Aucun doute que tout ceci va conduire à l’exacerbation de la misère, de l’inflation et même de la famine. Nous sommes convaincus qu’à l’heure actuelle, Une partie très importante du peuple de Guinée est en situation d’urgence humanitaire. Il est temps que la communauté africaine et internationale en prenne conscience et vienne au secours.

Sur les conséquences économiques de la catastrophe, nous ne parlons même pas des coûts absolument astronomiques de la reconstruction de toutes ces installations, des maisons d’habitation et immeubles détruits ou fortement endommagés.

Est-ce qu’il faut s’attendre à une augmentation des prix pétroliers en Guinée suite à l’incendie au dépôt national d’hydrocarbures ?

Malheureusement, c’est dans l’ordre des choses ! Le carburant et les mines sont les deux mamelles nourricières de l’Etat budgétivore et presque parasitaire. Vous savez que l’effondrement des ventes de carburant a déjà commencé à se faire sentir dans la liquidité du système bancaire ? Le Premier ministre a déjà prévenu que faute d’activité, beaucoup de gros contribuables ne pourront pas payer des impôts. Comme d’habitude donc, ils vont se contenter des mesures de facilité ! Le carburant pour le pouvoir, c’est comme du gibier de réserve ! Advienne que pourra !

A votre avis en tant politique, quelles peuvent être les causes d’un tel drame ?

Vous savez, malgré nos convictions profondes, nous essayons de rester prudents et autant que possible objectifs, en évitant les conclusions hâtives. Mais comme a dit un philosophe, « les faits sont têtus ». On attend les conclusions de la commission d’enquête annoncée par le CNRD. Mais dans tous les cas, il ne peut y avoir que deux causes possibles pour cette catastrophe historique : l’accident, la négligence ou alors l’attentat pur et simple. S’agissant de l’accident possible pour expliquer ces explosions massives, même les profanes savent que ces installations obéissent à des normes internationales assez strictes qui ont fait leur preuve partout dans le monde. Des dispositifs d’alerte incendie sont normalement installés un peu partout dans le dispositif. Mieux encore c’est une entreprise française très expérimentée qui gère ces dépôts.

A supposer qu’il y ait eu un accident, celui-ci se serait traduit par un départ de feu localisé et relativement lent, ne pouvant absolument pas provoquer les explosions que nous avons vues. Reste donc l’hypothèse de l’attentat. A ce propos, nous ne pouvons pas manquer de dire notre étonnement en entendant le Ministre de la Justice affirmer que selon lui, ce n’est pas un attentat ! Bien entendu, il ne donne aucun début d’explication, comme si ce n’était qu’un coup du Saint-Esprit ! Le Procureur général quant à lui, dit ouvrir une enquête pour incendie volontaire…Devant des faits assez curieux qui tendent à accréditer l’idée du contraire, quel intérêt a le pouvoir de détourner l’opinion guinéenne et internationale sur les vraies origines de la catastrophe ? Malheureusement, nous ne savons pas quelles sont les compétences de Son Excellence M. le Ministre en matière de balistique et d’artillerie, mais des faits sont à rappeler.

Des citoyens massés devant une station à la quête du carburant

Curieusement, plusieurs citoyens qui ne dormaient pas encore cette nuit de dimanche ont affirmé, avoir vu deux boules de feu dans le ciel, venant de la mer et qui se sont abattues sur le grand dépôt pétrolier qui a immédiatement explosé après. Des compatriotes qui auraient été éveillés encore au quartier Almamya non loin de la Maison centrale de Coronthie, ont affirmé avoir vu successivement deux boules de feu dans le ciel, avant que les explosions ne les secouent fortement là où ils étaient assis. L’un des noctambules aurait même fait un commentaire : « Je ne comprends pas. Même si cette boule de feu était une torche de sorcier [une étoile filante], en Pular jowlol jemma, c’est vraiment bizarre ! »

Voilà donc les faits : on ne sait pas à ce stade si deux obus incendiaires n’auraient pas été, semble-t-il lancés à partir d’une ou deux embarcations en mer et ont pulvérisé le dépôt, provoquant ces incendies monstres qui n’ont été maîtrisés qu’au bout de 5 jours ! On attend donc impatiemment les conclusions de la fameuse commission d’enquête. Le peuple martyr de Guinée exige la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mais si c’est un acte volontaire, il faut se poser la question du pourquoi ? Comment est-ce possible que dans la lutte pour le pouvoir, certains soient capables de provoquer une telle catastrophe que chaque Guinéenne et chaque Guinéen va payer dans sa chair ? Pourquoi avoir massacré ainsi des centaines de personnes, en détruisant un quartier entier de Conakry ? Pourquoi le peuple de Guinée doit – il payer le coût énorme de la lutte que des gens en armes se livrent sans merci pour le pouvoir ? Voilà donc un pays condamné à être dominé par la violence de gens en armes. Et ce n’est pas acceptable. Ils n’ont pas ce droit.

Si la conclusion de l’enquête pointe sur un criminel, il faudra répondre à la grave question : qui en est l’auteur ou le commanditaire ? Il appartient aux autorités de répondre à cette grave question, en apportant les preuves à leur disposition.

Faut-il s’attendre à ce que ce drame puisse impacter le processus de retour à l’ordre constitutionnel ?

Les autorités n’avaient nul besoin de cette catastrophe pour continuer à confisquer le pouvoir. Nous l’avons dit avant tout le monde, il y a bien longtemps. Ce n’est qu’un argument supplémentaire. Dans cette logique, vous avez vu l’annonce de l’installation des délégations spéciales partout dans le pays. Ainsi, le bouclage du pays sera achevé, du haut en bas de l’échelle. Rien de nouveau.

Que doivent faire les autorités pour minimiser la crise chez la population ?

Malheureusement, tout ce que nous pouvons dire ne sera que des vœux pieux qui n’intéressent pas le pouvoir, exclusivement préoccupé par sa survie. Sinon il y a des mesures très simples qui s’imposent : diriger tous les stocks de carburant disponibles vers les producteurs, artisans, industriels, en ville comme à la campagne, dans les mines, les artisans. Avec ces mesures, qui n’ont rien à voir avec la propagande habituelle, la confiance sera rétablie au moins avec la population et on pourra passer à une autre étape de la reconstruction.

Que proposez-vous en tant qu’économiste pour une sortie de crise ?

Il faut bien comprendre que vous ne pourrez jamais séparer l’économie de la politique. C’est bien pour cela qu’on parle de l’Economie politique. Les êtres humains ne sont pas de simples machines. Pour bien s’engager dans une activité économique féconde, il faut obligatoirement être motivé, avoir le moral pour mener à bien son activité, dans un environnement propice, dans la paix, la liberté et la quiétude. Or, comme vous le voyez si bien, nous n’avons justement rien de tout cela. Je puis vous assurer que si le CNRD ne se comportait pas comme il le fait, en supprimant toutes les libertés, en muselant les médias, en cherchant à réduire les citoyens à l’état de simples tubes digestifs, même si on nous avait envoyé une centaine d’obus, la population aurait été derrière eux pour y faire face, dans le cadre d’un véritable consensus de toutes les forces de progrès du pays. Mais au lieu de cela, ils préfèrent dérouler leur agenda.

Vous savez, il y a quelques jeunes dans l’équipe gouvernementale du CNRD pour qui nous avons un certain respect car nous sommes témoins sur le terrain des efforts qu’ils font dans leur département pour améliorer les choses pour la population. Malheureusement, comme on dit, une hirondelle ne fait pas le printemps. Pendant la Guerre froide, il y avait des pays qui « offraient » la liberté sans pain ; d’autres par contre se vantaient « d’offrir » aux citoyens tout le pain qui leur était nécessaire pour vivre, mais sans liberté. Ce que les Guinéens vivent aujourd’hui ressemble étrangement à la grande famine de 1975, qui a sévi en Guinée, avec « Sheytane 75 », sous la dictature sanguinaire du Parti-Etat.

Mamadou Bah Baadiko

A l’époque, le cadeau le plus précieux que vous pouviez offrir à un Guinéen, c’était un pain, avec ou sans sardine ! Le pays était transformé en une terre sans liberté et sans nourriture, avec plus de la moitié de la population vivant en exil. Demandez autour de vous à ceux qui ont connu cette triste époque ! Sous le règne du CNRD aujourd’hui, avec les énormes difficultés de la vie quotidienne et l’incertitude du lendemain que subissent des millions d’habitants, à la campagne mais surtout en ville, c’est cette période de sinistre mémoire qui revient à l’esprit.

Nous autres avons souvent le tort d’avoir raison trop tôt. Nous avions prévenu les militaires et tout le corps social de ce qui allait se passer : une transition est condamnée à pourrir sur pieds, faute de volonté d’approfondir les réformes, de se battre pour corriger les tares sociétales de 65 ans de mauvaise gouvernance, de corruption, d’ethnicisme et de remettre le pouvoir à une équipe élue prête à se mettre réellement au service du peuple et sous son contrôle. La logique de l’appropriation du pouvoir par les armes est implacable. Elle se retournera toujours contre ses protagonistes ! A chacun son tour !

Propos recueillis par Siddy Koundara DIALLO

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664 72 76 28

Créé le 9 janvier 2024 10:07

Nous vous proposons aussi

TAGS

étiquettes: , ,

RAM

SONOCO

TOTAL

UNICEF

LONAGUI

cbg_gif_300x300

CBG

UBA

smb-2

Consortium SMB-Winning

Annonces

Recommandé pour vous

Annonces