Aboubacar Sané, point focal des mammifères marins cétacés : « Pourquoi les baleines se retrouvent dans les eaux guinéennes… »

CONAKRY- En l’espace de cinq mois environ, deux baleines se sont échouées aux larges des côtes guinéennes. La première, c’était le 29 avril 2024 dans le parc national des mangroves du Rio Pongo, aux larges des côtes de l’île Taboria, dans la préfecture de Boffa. La dernière, plus récente, c’était le 8 septembre 2024, dans l’île de Matakan, préfecture de Forécariah. Tous les deux mammifères marins sont morts. Le premier cétacé a été retrouvé en état de décomposition, le second retrouvé vivant n’a pas pu être sauvé.

Comment ces espèces se retrouvent-elles dans des espaces marins guinéens ? Qu’est-ce qui aurait permis de les sauver ? Pourquoi le sauvetage n’a pas été un succès malgré la présence d’une équipe à l’île de Matakan ? Pour avoir les réponses à ces questions, nous avons interrogé le point focal des mammifères marins cétacés, au Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB).

AFRICAGUINEE.COM : Parlez-nous de cette baleine qui s’est échouée à l’île de Matakan ?

ABOUBACAR SANÉ : C’est une baleine à bosse, son nom scientifique est mégaptera-novanglier. Elle mesurait 11 mètres 20 de long, avec un diamètre de 7 mètres. Du point de vue poids, elle pouvait peser jusqu’à une tonne 200 kilos.  Ce n’est pas la deuxième fois qu’une baleine se retrouve dans nos eaux. Selon les études qu’on a effectuées sur le terrain, depuis 1982 une baleine de ce type avait échoué aux îles Tristao, dans la première ère marine protégée de la Guinée. A Téminétaye aussi c’était la baleine de Minke qui avait été retrouvée. En avril 2024, on a également une autre baleine a été retrouvée dans le parc national des mangroves du Rio Pongo. On se prépare d’ailleurs pour la récupération des ossements.

Pourquoi souvent ces cétacés se retrouvent sur les côtes guinéennes ?

Il faut remercier Dieu parce que les eaux maritimes guinéennes ne sont pas usées. Cela s’explique par le fait qu’aucune usine ne verse ses eaux usées sur les côtes guinéennes. Donc, on a des ressources qui sont vraiment en bonne santé que ça soit en poisson, en tortue marine ou en baleine.

Pour répondre à votre question ces deux baleines à bosse, actuellement on les appelle des espèces migratrices. Ils viennent dans des lieux selon des conditions bien définies. Par exemple chez nous, à partir du début de la saison des pluies, avril-mai-juin jusqu’en décembre, c’est la saison humide où la mer est moins salée, ce n’est pas chaud. Donc, ils viennent chez nous pour se reproduire. Ils se reproduisent ici, en même temps pour se nourrir parce que ça trouvera qu’en Europe c’est l’été, donc la saison sèche. Donc, ils quittent pour venir dans les zones humides.

Mais ces deux baleines ont été piégées par les navires de pêche industrielle. Cette dernière, lors de la nourriture, a été certainement encerclée par les filets de pêche d’un bateau parce qu’on a vu des traces de blessures des câbles au niveau de la baleine qui a échoué à Matakan, il y avait aussi des trous. Mais nous ne sommes pas des experts en balistique. C’est les militaires qui devraient nous aider pour déterminer si c’est des balles ou pas mais l’animal est venu avec une partie de sa nageoire pelvienne cassée, c’est cette nageoire qui lui permet de se déplacer. Les baleines, ce ne sont pas des poissons, mais des mammifères marins qui respirent à l’aide des poumons. A chaque fois, ils sortent pour renouveler cet oxygène, en souffre. Donc, ils viennent principalement chez nous pour se reproduire. Maintenant, ce qui s’est passé, ce qu’il y a eu collision, c’est-à-dire un accident.

Pour éviter cela, il faut procéder à la sensibilisation au niveau national pour les bateaux de pêche, qu’ils observent des distances parce qu’on les observe parfois. Avant de mettre les filets, il y a des précautions à prendre. Je pense que des séries de formation devraient être organisées dans ce sens surtout au niveau de la pêche industrielle, parce que ces deux échouages-là sont dus à des bateaux de pêche industrielle.  C’est vrai qu’il y a eu décomposition c’est pourquoi c’était noir, l’animal a échoué alors qu’il était encore vivant.

Pourquoi l’animal a perdu la vie alors que vos équipes étaient sur place ?

C’est par manque de moyens et d’équipements fiables c’est pourquoi on n’a pas pu sauver la baleine.

Au regard des précédents cas, on est tenté de dire que la Guinée ne fait pas assez dans la protection alors que les baleines sont des espèces protégées. Qu’en dites-vous ?

C’est la chasse à la baleine, aux mammifères marins et aux espèces emblématiques qui est interdite. La chasse est formellement interdite. Cependant, il peut y avoir des accidents de collision par manque de formation ou par négligence des promoteurs de la pêche industrielle qui pouvaient sensibiliser ou former leurs capitaines afin d’éviter le maximum d’accident en mer avec ces mammifères marins parce ce sont eux qui fréquentent les lieux de ces mammifères. Les uns pour la pêche, les autres pour se nourrir. Il faut donc éviter au maximum la collision pour éviter la mort sinon nos eaux ne sont pas polluées, juste il y a un problème de sensibilisation et de formation auxquelles les départements concernés peuvent faire face. Cela devrait s’élargir au niveau des miniers notamment pour ceux qui font du transport de minerais chez nous, il faut donc les former pour éviter ces accidents avec ces espèces emblématiques protégées.

Quel est le dernier message que vous pouvez lancer à l’endroit des acteurs concernés ?

La pêche artisanale n’a pas de problème avec les mammifères marins en mer. Il y a des textes légaux qui interdisent la prise accidentelle. Il est dit que si l’attrapez, vous pouvez le relâcher mais pas le garder en captivité.

Ensuite, le problème maintenant est à deux niveaux, c’est la pêche industrielle parce qu’il y a des filets qui peuvent faire deux à trois kilomètres quand ils sont déployés en mer. Dans ces conditions, ils peuvent piéger l’animal alors qu’ils doivent lui donner le temps de sortir. Il ne faut pas tirer les filets parce que ces filets sont attachés à des câbles et avec ces machines, ça peut déchirer la chair de la baleine. Il faut la sensibilisation et la formation. De préférence il est mieux d’observer avant de déployer son filet. Il ne faut pas se dire parce qu’il y a des poissons là-bas, il faut lancer les filets, vous pouvez blesser ces mammifères, et il n’y a pas d’hôpital en mer. Ce qui fait que si vous la blessez, la plaie s’infecte et cela va amener l’animal à s’échouer.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 16 septembre 2024 10:54

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