Vieillissement: j’ai testé l’âge de mon ADN
La longueur des télomères, ces bouts de chromosomes, livre de précieux indices sur notre vieillissement biologique. Encore faut-il les mesurer. Le journaliste de L'Express s'est prêté à l'expérience. Non sans une certaine appréhension…
Non, vraiment, je ne m'attendais pas à "ça". En vingt ans de journalisme santé, j'ai visité de nombreux laboratoires de recherche, assisté et parfois participé à des expériences scientifiques. J'ai même observé, à plusieurs reprises, des brins d'ADN au fond d'une éprouvette. Mais, cette fois, j'éprouve une impression étrange. D'une voix mal assurée, j'interroge la spécialiste qui me fait face : "C'est vraiment mon ADN, ça?" Oui, cette petite pelote blanchâtre, c'est… "moi". Ou, plus exactement, un concentré de moi. Mélange de fierté – irrationnelle – et d'humilité – vertigineuse : peut-on réduire un être humain à des filaments de quelques dizaines de millimètres ?
Devant mon air décontenancé, Marie-Pierre Moisan sourit. "Allez ! ce n'est que la première étape. Il faut maintenant mesurer vos télomères", lance la jeune femme, directrice de recherche au laboratoire de nutrition et de neurobiologie à l'Inra de Bordeaux. L'objet de ses travaux ? Les effets de l'alimentation sur les fonctions cérébrales, notamment chez des souris enrichies "au gras" pendant douze semaines et soumises à des stress chroniques (literie mouillée quelques heures, cage inclinée à 45 degrés, lumière allumée en permanence…). La prochaine étape, plus enthousiasmante encore, concerne le projet Nutrimémo, qui étudie l'efficacité d'une supplémentation en vitamine A et en oméga 3 sur le déclin cognitif de personnes âgées.
Marie-Pierre Moisan s'apprête à demander au comité de protection des personnes (CPP) de l'hôpital l'autorisation de mesurer les télomères de ses patients. Dès que les autorités auront donné leur accord, avant la fin de l'année si tout va bien, son équipe pourra ainsi vérifier ses hypothèses de travail. Une première en France, à sa connaissance.
D'ici là, Marie-Pierre Moisan a accepté, à titre exceptionnel, de me prendre comme cobaye. Mais les conditions sont draconiennes : je dois au préalable dégager le laboratoire de toute responsabilité – en cas de pépin lors des prélèvements, par exemple – et accepter que mes échantillons soient détruits une fois l'expérimentation effectuée, puisqu'elle aura lieu en dehors de tout cadre juridique officiel. J'ai beau signer le papier sans regimber, je ne me sens pas tranquille. Et si les résultats étaient catastrophiques ? Il est trop tard pour y songer.
"Un résultat obtenu à un instant T ne signifie pas grand-chose"
L'expérimentation s'effectue en deux temps. Il faut d'abord recueillir de l'ADN, en prélevant un peu de salive, analysée avec un "kit" prêt à l'emploi (de 15 à 20 euros). Puis procéder à une prise de sang, car la longueur des télomères diffère entre l'une et l'autre. Là, les choses se compliquent.
Jean-Christophe Helbling, assistant ingénieur de l'équipe, énumère les manipulations nécessaires : diluer deux fois les 500 microlitres prélevés pour "ne garder que les globules blancs, qui contiennent l'ADN", précise ce grand gaillard barbu ; ensuite, placer l'échantillon obtenu dans une centrifugeuse à 4 000 tours par minute, trois fois consécutives ; le faire chauffer à 50 degrés pendant dix minutes avec une solution de sodiumdodécyl-sulfate ; ajouter 37,5microlitres – admirez la précision ! – d'une autre solution de sodium particulièrement concentrée, et remettre le tout dans la centrifugeuse, à 11 000 tours cette fois, afin de littéralement "éclater" le noyau des cellules. Ne reste plus qu'à ajouter de l'alcool et à faire pré cipiter l'acide nucléique pour obtenir… la précieuse pelote d'ADN.
Nous n'en avons pas encore fini pour autant. La solution obtenue doit maintenant "sécher" à l'air libre avant que les spécialistes puissent prélever très précisément 20 nanogrammes d'ADN parfaitement pur. Inutile d'entrer dans les détails d'une technologie effroyablement compliquée pour le profane. Sachez juste que Jean-Christophe Helbling utilise alors la PCR, une méthode de biologie moléculaire qui permet, à partir d'un tout petit fragment d'ADN, d'effectuer des millions de "copies" et de les évaluer par rapport à un échantillon donné.
Concrètement, mon ADN va être comparé à celui de deux lignées cellulaires, l'une avec de très longs télomères et l'autre avec des télomères très courts. Et, pour s'assurer qu'il n'y a pas eu d'erreur de manipulation, il sera également comparé à l'ADN d'un "témoin". En l'occurrence, un médecin de l'équipe qui, heureux hasard, a le même âge que moi et qui s'est déjà soumis à cette expérience.
Ne reste donc plus qu'à attendre… Environ six heures se sont écoulées depuis ma prise de sang. Marie-Pierre Moisan revient dans son bureau, une feuille à la main. "J'ai deux bonnes nouvelles, annonce-t-elle tout sourire. Qu'il s'agisse des globules blancs ou de la salive, les écarts entre le témoin et vous sont comparables, ce qui prouve que les résultats sont fiables. Par ailleurs, vous êtes tous les deux dans des valeurs "normales", c'est-à-dire situées entre les deux extrêmes."
Je soupire de soulagement. Pas longtemps. "Un résultat obtenu à un instant T ne signifie pas grand-chose, modère-t-elle : l'important, c'est l'évolution dans la durée car un changement dans votre vie – positif (arrêt du tabac, pratique régulière d'un sport) ou négatif (deuil, prise de poids) – peut faire varier la longueur de vos télomères. Pour être scientifiquement pertinente, cette mesure doit être comparée à d'autres. Et si vous reveniez dans un an?…"
Express
Créé le 7 juillet 2014 10:26Nous vous proposons aussi
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