Thiaguel-Diko (Lélouma) : 500 enfants privés d’école chaque année…

LELOUMA – Thiaguel-Diko est une localité située dans la commune rurale de Balaya, à 10 km du centre-ville de Lélouma, dans la région de la Moyenne-Guinée. Ce district regroupe les villages de Laabha, Ley-Laabha, Bourourè Salia, Thioukkou, Koodiwel, Ndantary et Petelhoun, tous très proches les uns des autres, à moins de 500 mètres de distance. Pour atteindre ces bourgades enclavées, il faut du temps et de l’endurance.

Enclavés au creux d’une sorte de cuvette entourée de hautes montagnes, ces villages vivent en marge du développement. Les populations y mènent une existence proche de celle du Moyen Âge, privées des commodités de la vie moderne. Dans chacun de ces hameaux, au moins 80 enfants sont privés d’éducation, faute d’infrastructures scolaires. En 66 ans d’indépendance, aucune école n’y a été construite par l’État.

Les villages avoisinants dotés d’écoles se trouvent à plus de 10 km. Une distance impossible à parcourir à pied pour les plus jeunes afin de suivre régulièrement les cours.

Africaguinee.com vous propose une immersion dans ce coin reculé, où l’école demeure un rêve inaccessible pour des générations d’enfants…

Le cri du cœur d’un président de district

Le président du Conseil de district décrit les peines de ses concitoyens :

« Les villages de mon district sont nombreux, vastes et peuplés. Là où nous nous trouvons s’appelle Laabha. Depuis longtemps, nous menons des démarches — hélas sans succès — pour permettre aux enfants de jouir de leur droit à l’éducation. Ils se comptent par centaines. Cela nous fait mal de voir nos fils errer dans le village pendant que, ailleurs, des enfants du même âge vont à l’école. Le retard est immense.

 

Nous sollicitons des appuis pour la construction d’une infrastructure scolaire, ne serait-ce qu’une, afin de sauver les enfants de tous les villages de la contrée. L’analphabétisme est un fléau. Dans ces sept villages, aucun enfant ne va à l’école, et nous en sommes pleinement conscients. Leurs aînés n’y ont pas eu droit, et aujourd’hui, c’est au tour de ceux qui ont moins de dix ans. Si l’on fait le total, ce sont plus de 500 enfants qui sont privés d’éducation dans ces hameaux.

Et ce n’est pas tout : il n’y a ni eau potable, ni poste de santé. Aidez-nous à sortir de cet isolement éducatif », dénonce et plaide Algassimou Diallo.

« Nous sommes privés d’éducation »

Aissata Bailo Diallo, née à Laabha, mariée et mère de trois enfants, garde une profonde douleur de n’avoir jamais eu la chance d’aller à l’école. Aujourd’hui, elle voit ses enfants confrontés à la même réalité :

« Si nous avions eu une école dans notre village, j’aurais étudié. Mais les écoles sont trop éloignées, et il faut escalader de nombreuses montagnes pour y accéder. Mes camarades d’âge et moi, aucune n’a été scolarisée faute d’un établissement à proximité. Nous avons été sacrifiées.

Aujourd’hui, ce sont nos enfants, nos frères et sœurs qui vivent la même situation. Il faut qu’on nous aide à construire au moins une école dans le district. C’est impossible de grimper toutes ces montagnes pour rejoindre une école éloignée. Que l’on soit jeune ou adulte, il faut une journée entière pour faire l’aller-retour. Et un enfant ne peut pas faire cela. Or, l’école commence tôt le matin », explique cette mère de famille.

Des générations sacrifiées

Ibrahima Sané, 53 ans, père de famille, a eu la chance de faire accueillir ses enfants dans une famille résidant ailleurs, pour qu’ils puissent aller à l’école. Mais il reste profondément affecté par l’absence d’infrastructures éducatives dans son propre village :

« J’ai toujours cherché une solution pour inscrire au moins un de mes enfants, car il n’y a toujours pas d’école chez nous. J’ai fini par le confier à une famille dans un autre village. Mais arrivé au CM1, il a dû arrêter, car il n’y avait pas de CM2. Alors, je l’ai envoyé à Lélouma centre l’an dernier.

Le problème, c’est que tout le monde n’a pas cette possibilité. Le mieux serait d’avoir une école sur place. Certaines familles tentent d’inscrire leurs enfants ailleurs, mais ceux-ci finissent par abandonner faute de soutien. Si nous avions une école ici, ils y étudieraient. Ce que nous réclamons depuis toujours, en vain.

Imaginez : nos parents n’ont pas pu aller à l’école, nous non plus, et aujourd’hui ce sont nos propres enfants qui en sont privés. Nous vivons dans un isolement total. Il faut parcourir au moins 11 km pour atteindre le district le plus proche disposant d’une école. Vous savez vous-mêmes ce que vous avez dû traverser pour venir ici.

J’aurais voulu envoyer tous mes enfants à l’école, mais je n’ai pu obtenir qu’une seule place pour l’accueil. C’est vraiment regrettable ce que nous vivons », se lamente Ibrahima Sané.

Le manque d’éducation pousse à l’exil

Privés d’école, de nombreux jeunes natifs de Laabha et des villages environnants ont quitté leur terre natale pour tenter leur chance ailleurs. C’est le cas de Mamadou Maladho Diallo, 33 ans, parti en Côte d’Ivoire où il a appris la couture. C’est à Abidjan, dans la rue, qu’il a commencé à parler le français. Revenir au village lui est toujours difficile, tant la misère y est profonde.

« Nos villages souffrent, nos familles vivent dans une pauvreté extrême. Je suis couturier, mais je dois vivre ailleurs pour survivre. Je suis né ici, j’ai grandi ici, et je n’ai jamais eu la chance d’aller à l’école, même pas une journée. Il n’y a aucune école dans toutes les localités situées au pied de cette montagne. Le peu de français que je parle, je l’ai appris dans les rues d’Abidjan.

L’État doit penser à nous en construisant au moins une école, un hôpital, ou même un simple puits. Il n’y a rien ici. Nous vivons comme en enfer. On est entourés de montagnes, on est dans un trou, totalement oubliés », s’alarme Maladho Diallo, ressortissant de Laabha établi en Côte d’Ivoire.

« Mes cinq enfants sont là, aucun n’est inscrit à l’école »

Kamissa Oury, mère de cinq enfants, n’a jamais été scolarisée. Mais elle en comprend toute l’importance. Aujourd’hui, elle déplore que ses enfants suivent la même voie d’exclusion :

« Une personne qui n’a jamais fait d’étude est une personne perdue. Je ne suis pas instruite, et mes enfants ne le sont pas non plus. Ils sont cinq. Il y a des femmes ici qui ont encore plus d’enfants que moi, et c’est pareil pour elles.

Nous ne savons ni lire, ni écrire. Ce n’est pas par choix, mais parce qu’il n’y a pas d’école ici. Aujourd’hui, dans ce monde, sans instruction, on n’est rien dans la société », affirme-t-elle amèrement.

« C’est comme si nous étions des oubliés de la République »

Dans les années 1960, une première tentative d’école avait vu le jour à Thiaguel-Diko, mais elle a rapidement échoué. Mody Amadou Kaly Diallo, sexagénaire, faisait partie de cette première génération d’élèves.

« La vie n’a pas de sens véritable à Laabha et dans tous les villages voisins. Nous souffrons du manque de savoir, c’est un véritable frein au développement. Il n’y a aucune aide pour changer cela.

J’ai été inscrit à l’école en 1964 avec d’autres enfants, à Thiaguel-Diko centre. Nous avons suivi les cours pendant cinq ans, puis l’école a fermé. Après cela, chaque parent a orienté ses enfants vers les métiers”, se remémore-t-il avant d’enchainer:

 

“C’est un rêve pour nous de voir nos enfants aller à l’école avant que nous ne quittions ce monde. Nous avions même construit un hangar à un moment donné, mais cela n’a pas fonctionné. On a tout tenté, en vain. Depuis des années, des briques et des blocs de pierre sont là, mais rien n’avance. C’est comme si nous étions des oubliés de la République.

Nous lançons l’alerte sans cesse, mais personne ne nous écoute », déplore Mody Amadou Kaly Diallo.

Une détresse généralisée

À Bourourè Salia, un hameau du district, Adama Bailo Kanté, mère de famille, exprime son désarroi face à l’absence totale de l’État dans la zone. L’éducation, la santé, tout fait défaut.

« Nous sommes analphabètes, c’est notre génération, c’est fini pour nous. Mais nos enfants sont là, ils doivent étudier. L’école est indispensable. Depuis des années, nous gardons espoir, mais rien ne change.

On ne peut pas envoyer tous nos enfants ailleurs pour étudier, ni les accompagner : c’est trop loin, trop difficile. Nous manquons de tout ici. Aidez-nous à avoir une école, c’est notre priorité. C’est un cri du cœur.

Vous savez, c’est quand vous avez un malade que vous vous rendez compte de la réalité. Parfois, on transporte des malades dans des hamacs, comme si on transportait un cadavre. Quatre personnes portent un malade pour grimper cette chaîne de montagnes. Aujourd’hui, ce sont les motos qui nous aident, mais même là, c’est risqué. Le conducteur attache le malade à lui, ou une autre personne s’assoit derrière pour éviter qu’il ne tombe. L’hôpital est loin, tout comme l’école », déplore ce citoyen.

« On ne ressent la présence de l’État que lorsqu’on est fautifs… »

Mamadou Saliou Camara, l’un des doyens des hameaux, résume le désespoir des populations quant à l’absence des services publics :

« Aucun enfant ne peut parcourir 10 kilomètres pour aller à l’école. Le district central est à plus de 10 km d’ici, et la montagne est un véritable obstacle. Nous sommes à bout de souffle dans notre combat pour obtenir une école.

Nous avons tendu la main partout, mais sans jamais recevoir de réponse positive. On ne peut pas continuer ainsi. La seule fois où l’on ressent la présence de l’État, c’est quand quelqu’un a commis une faute et que l’autorité se déplace. Sinon, c’est comme si nous n’étions pas gouvernés », déplore Mamadou Saliou Camara.

Les 7 villages comptent chacun au moins 80 enfants en âge scolaire

Docteur Muhamadou Oury Diallo, ancien maire de Balaya, confirme l’ampleur du besoin dans cette zone enclavée où des générations entières ont été privées d’instruction :

« Les villages de Laabha, Ley-Laabha, Bourourè Salia, Thioukkou, Koodiwel, Ndantary et Petelhoun sont très éloignés de toute école. Ces sept localités pourraient pourtant partager un même établissement scolaire. Malheureusement, il n’y en a aucun.

Ce sont plusieurs centaines d’enfants qui vivent sans accès à l’éducation. En plus d’être isolés, ces villages sont situés dans une cuvette. Pour en sortir, il faut gravir une longue colline, et il n’y a même pas de véritable route.

Le manque ne concerne pas seulement l’école : ils ont également besoin d’hôpitaux et d’eau potable.

Lorsque j’ai été élu maire en 2018, nous avions programmé une tournée dans tous les villages. Mais à cause de l’inaccessibilité, ce n’est qu’en décembre 2023 que nous avons enfin pu atteindre Laabha. Ce jour-là, à Laabha centre seulement, j’ai compté 80 enfants non scolarisés. Et ce n’est qu’un seul village. Les autres, plus vastes encore, comptent sans doute autant, voire plus d’enfants.

Si on prend une moyenne de 80 enfants par village, cela fait plus de 500 enfants privés d’instruction. Certains ont déjà dépassé l’âge d’aller à l’école. Aucun enfant ne fréquente une école ici. Ils ne savent même pas ce que c’est. Cela fait des générations que ça dure. Pourtant, tous ont le droit d’apprendre. Mais un enfant de moins de 10 ans ne peut pas parcourir 11 ou 12 km chaque jour pour aller à l’école. L’école, ici, n’a jamais existé », témoigne le docteur Muhamadou Oury Diallo.

L’espoir s’éteint, jour après jour…

Dans les montagnes de Thiaguel-Diko, les habitants vivent dans une pauvreté extrême. Chaque jour qui passe, c’est un peu plus d’espoir qui s’éteint pour ces familles. Elles rêvent d’un avenir différent pour leurs enfants, mais ni l’État, ni les bonnes volontés privées ne semblent vouloir leur tendre la main, disons pour le moment.

Les villageois veulent pourtant sauver au moins une génération de l’analphabétisme, mais le silence des autorités reste assourdissant. Une action d’urgence s’impose.

Alpha Ousmane Bah, de retour de Balaya

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 664 93 45 45

Créé le 6 avril 2025 11:20

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