Témoignage inédit de Solo Tolno, rescapé du drame de N’Zérékoré : « Le chien au stade, la foule…puis le chaos »
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NZEREKORE- Nouvellement admis à la fonction publique, Solo Tolno fait partie des rescapés des événements tragiques qui ont fait 56 morts au stade du 3 avril de Nzérékoré, le dimanche 1er décembre 2024, selon le bilan provisoire annoncé par le gouvernement. Ce nouveau fonctionnaire dit avoir vécu, ce jour, le pire moment de sa vie entre 18h et 22h avant de regagner son domicile au quartier Nakoyakpala.
Âgé de 34 ans, Solo Tono est entré au stade à 15h 35 mn pour assister à la grande finale du tournoi de football doté du trophée général Mamadi Doumbouya. La rencontre opposait l’équipe préfectorale de Nzérékoré à celle de Labé. Peu avant le match, une scène surréaliste qui s’est produite devant la foule, lui avait marqué. Un chien dont nul ne connaît la provenance a fait le tour du stade puis a disparu d’un seul coup sous les applaudissements du public. Un mauvais présage.
Le chien au stade et la foule
“J’ai vu un chien qui était sorti de là où nous étions assis. Les gens ont applaudi sa présence sans rien comprendre. Pourtant c’était quelque chose de significatif, mais moi je n’avais pas compris cela. Le chien a fait deux tours, après il a disparu. Juste après le coup d’envoi a été donné », se rappelle Solo Tolno.
Les premières 45 mn se sont écoulées dans une ambiance festive. Mais la deuxième période a tourné au vinaigre quand une équipe adverse a soupçonné l’arbitre de vouloir favoriser un camp, témoigne le rescapé.
“Après 25 mn de jeu, l’arbitrage a tourné autrement. Ils ont voulu coûte que coûte donner la victoire à l’équipe de Nzérékoré, chose qui était vraiment impossible. Ils ont donné deux cartons rouges à l’équipe de Labé. Les autorités présentes au stade ont demandé d’annuler le second, Chose qui fut fait. 5 mn plus tard, on donne un penalty à l’équipe de Nzérékoré. C’est là que tout s’est mélangé au stade’’.
Je suis tombé sur une fille qui a rendu l’âme
Vu l’ampleur de la débandade, Solo a tenté de se sauver avant même que la porte ne soit envahie par la foule. Malheureusement, il va se retrouver dans l’une des pires situations de sa vie.
“A 18h 12mn, je me suis dit de descendre puisque j’avais peur, le stade refoulait du monde. Au moment où je venais vers la porte pour sortir, je pensais être seul mais j’ai vu un magma humain venir. Je ne pouvais plus faire marche arrière. On est tombé dans la bousculade. Moi en personne, je suis tombé sur deux personnes. Un garçon et une fille. La fille n’a pu se relever, finalement elle est morte. Nous nous étions superposés comme des sacs de riz dans un camion. Pour enlever, il fallait commencer par ceux d’en haut. On ne faisait que faire sortir nos mains pour que nous soyons sauvés. Un petit qui était à côté de moi est venu tirer la main gauche, il n’a pas pu. Il a appelé son ami et lui a dit : si tu ne viens pas au secours ce gars il va rester dedans. J’étais au fond, les gens sont montés sur nous. J’étais couché sur des gens et d’autres étaient sur moi. Ce sont les deux personnes qui sont venues, ils m’ont tiré de force pour me faire sortir. Ils m’ont dit de me lever, je leur ai dit que je ne pouvais pas me tenir debout”, se souvient tristement le nouveau fonctionnaire.
Le parking de véhicule, le bon-samaritain et les gaz lacrymogènes
Cette situation a traumatisé Solo au point qu’il a eu la paralysie de ses deux pieds. A cela s’ajoutent de nombreuses blessures qu’il a eu dans la bousculade notamment au niveau de son ventre et des ces deux jambes. Suite aux jets de gaz lacrymogènes, Solo sera déposé dans un parking non loin du stade par ses deux sauveurs. Mais là également, la tombée d’une goupille de gaz lacrymogène va tout chambouler.
“Ils ont encore commencé à lancer du gaz lacrymogène. C’est ce qui nous a le plus affaiblis. Au niveau de mon bas ventre jusqu’au pied tout était paralysé. Ils m’ont dit de me lever, je n’ai pas pu. L’un m’a pris par les épaules, l’autre par les pieds. Ils m’ont fait traverser de l’autre côté où il y a un parking où on vend les véhicules, ils m’ont mis là-bas. D’une concession d’à côté, est sortie une femme qui a fait sortir son congélateur à la véranda pour donner de l’eau aux souffrants, on mettait de l’eau sur nous. Là-bas aussi, ils ont tiré sur un enfant qui était couché à côté de moi, il est mort sur place. Mon état était grave, je ne me retrouvais pas.
La femme a demandé à deux garçons de me prendre et me déposer à la véranda. J’y étais couché là avec 5 à 6 personnes. Les gens se battaient pour que ma respiration reprenne le rythme normal. Nous étions là, ils ont encore lancé du gaz. J’ai failli en mourir heureusement, Dieu fait grâce. Les femmes qui étaient à côté de nous, sont immédiatement rentrées dans leur chambre, elles ont fermé la porte. Un gaillard est venu taper à la porte pour que nous rentrions en vain. Donc moi j’étais couché là-bas, 3 personnes ont rendu l’âme à la véranda. Je me suis dit que j’étais finalement au milieu des morts comment j’allais m’en sortir alors que j’étais paralysé”, témoigne-t-il.
Les deux briques, le tableau et les pleurs à la maison
“C’est ainsi que je me suis battu pour grimper le mur de la véranda, je suis tombé par derrière. J’y ai trouvé encore du monde. Certains étaiet couchés par terre. Je me suis demandé où vais-je partir avec ça ? J’ai vu un coin, j’ai rampé pour y entrer. J’ai superposé deux briques qui étaient sous un ancien tableau, puis j’ai mis le tableau sur moi. C’est là que j’ai commencé à sentir la douleur. Après 1h30mn, je me suis réveillé, je voulais sortir. J’ai poussé les briques ; elles sont tombées. Cela a fait peur à deux jeunes qui étaient assis, là. Un d’eux m’a posé une question ce qui n’allait pas, je lui ai dit que je n’allais pas bien. J’ai demandé s’ils avaient un téléphone pour que je puisse appeler mes parents. Ils m’ont dit qu’ils ont perdu leur téléphone. On entendait des petits bruits de moto, un est allé vers le goudron, il a trouvé un conducteur, ils sont venus me prendre pour me déposer sur la moto. Le conducteur m’a déposé à la maison à Nakoyakpala.
J’ai trouvé toute la famille en train pleurer parce qu’ils pensaient que j’étais déjà mort. Il était 22h. Mes deux frères se sont occupés de moi. Ils ont demandé à un médecin s’ils pouvaient m’envoyer à l’hôpital. Celui-ci a dit qu’il n’y avait pas de place. C’est ainsi que j’ai appelé un médecin qui m’a bombardé de produits. On m’a donné du riz, j’ai pu prendre seulement une seule cuillerée. Jusqu’à minuit, j’étais inconscient (…). Au total, 4 personnes ont rendu l’âme devant moi. Tout ce que j’ai envoyé, j’ai tout perdu. C’est mon âme seulement qui est sortie. Mon téléphone, les 450.000fg qui étaient sur moi, mon pantalon. Je suis arrivé à la maison en culotte’’, raconte Solo Tolno, victime des événements tragiques du 1er décembre 2024.
Au stade, il n’y avait pas d’histoire d’ethnies, précise Solo Tolno
“On ne cherchait pas à savoir si celui-ci était guerzé, malinké, peulh, toma, mais tout le monde cherchait à nous sauver parce que nous sommes tous des guinéens. Si on se basait sur l’ethnie, on allait vivre un autre scénario”, témoigne M. Tolno.
4 jours après, Solo s’est rendu à l’hôpital régional de N’zérékoré pour des soins sur insistance de ses parents. Sa prise en charge a été gratuite, comme annoncé par le gouvernement. Aujourd’hui, il passe la journée à la maison et continue à prendre ses produits.
“Aujourd’hui je rends grâce à Dieu, ça commence à aller, je peux faire des mouvements, je peux aller en ville et revenir. Sinon aujourd’hui je ne serai pas parmi vous. Même cette interview, on n’allait pas la faire. C’est à partir de mercredi que j’ai commencé à faire des petits mouvements. Parce que mon pied était enflé. Un voisin l’a tiré deux jours, j’ai commencé à marcher un peu” indique Solo avant de lancer un message.
Je ne suivrai plus jamais un match de football en direct
“Le seul message que je veux lancer à mes frères, c’est de rester sereins. Parce que tout ce que Dieu a prescrit pour toi va t’arriver. Partout où il y a des évènements, où des guinéens se retrouvent pour une cinquantaine de personnes, moi je n’y serai pas. Parce qu’on ne sait pas ce qui pourrait arriver. Parce que ce que j’ai vu au stade, on ne pensait pas cela pouvait arriver. Je dis aux gens partout où il y a un grand groupement, même si tu n’as rien à faire, vaut mieux que tu restes à la maison. Quant à moi, je ne suivrai plus de match de football en direct. Si c’est un match que je ne peux pas regarder à la télé, je vais rester à la maison, les gens vont venir m’expliquer”, conclut ce rescapé.
SAKOUVOGUI Paul Foromo
Correspondant Régional d’Africaguinee.com
En Guinée Forestière
Tél. (00224) 628 80 17 43
Créé le 11 décembre 2024 14:47Nous vous proposons aussi
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