Pr Moussa Kéita, dermatologue : « Ce qu’on sait de la maladie cutanée découverte à Kagbelen »

Pr Moussa Keita et les enfants malades, photomontage Africaguinee.com

CONAKRY-Plusieurs membres d’une famille résidant à Kagbelen, quartier située dans la commune urbaine de Dubreka, sont victimes d’une maladie cutanée dont l'origine demeure inconnue. Une personne en est déjà morte et une autre hospitalisée au CHU Donka. Pour en savoir plus sur cette maladie, Africaguinee.com est allé à la rencontre du Professeur Moussa Keita, dermatologue, neurologue et léprologue à Donka et chargé des cours à la faculté de médecine.

AFRICAGUINEE.COM : Parlez-nous de cette maladie de la peau apparue dans une famille à Kagbélen et qui a déjà fait un mort ?

PR MOUSSA KEITA : En ce qui concerne cette maladie, il s’agit bien d’une pathologie dermatose bileuse auto-immune. Quand on dit une dermatose bileuse auto-immune, il s’agit d’une dermatose très diverse, variable, mais, parfois, de pronostic très grave. Il existe plusieurs pathologies à l’intérieur des dermatoses bileuses auto-immunes et leur définition dépend de la localisation des lésions histologiques au niveau de la peau.

Quelles sont les causes ?

La cause c’est lorsque l’organisme lui-même qui produit des anticorps qui viennent s’attaquer à la structure de la peau. Il y a également et surtout une prédisposition génétique tel est le cas de cette famille. Même si on a cette prédisposition génétique, il faut un facteur déclenchant ce sont des infections, des traumatismes et surtout le dérèglement immunitaire. Dès qu’il y a cela, l’organisme va se mettre en branle pour créer ces anticorps qui vont s’attaquer à des structures au niveau dermique et sous épidermiques. C'est ce qui aboutit à la formation de ces bulles.

Il existe celles qui sont localisées au niveau de l’épiderme, la couche superficielle de la peau et dans ce cas, l’anticorps va s’attaquer à l’organisation de ces structures notamment au niveau de la cohésion entre les cellules de kératinocytaire et ces liaisons sont appelées des desmosomes. C’est la rupture de ces desmosomes qui aboutit à la création des bulles.

L’autre localisation de ces lésions, c’est au niveau de la jonction dermo-épidermique qui est une structure virtuelle microscopique qu’on appelle jonction dermo-épidermique. Celle-ci est formée par des filaments protéiniques qui constituent la cible de ces auto-anticorps qui sont produits dans l’organisme, qui vont attaquer cette structure. La rupture de cette jonction dermo-épidermique aboutit à la formation des bulles. Quand c’est au niveau superficiel, par exemple, sur l’épiderme, c’est là où on parle de pemphigus. Quand c’est au niveau de la jonction dermo-épidermique, on parle de pemphigoid bileuse, de la dermatite herpétiforme ou de la dermatose bileuse à IgA linéaire.

Qu’en est-il de ces patients de Kagbélen ?

En ce qui concerne ces patients, pour le moment, ce que nous retenons, ce sont des dermatoses bileuses auto-immunes. Nous ne sommes encore parvenus à identifier est-ce qu’il s’agit d’un pemphigus, d’une dermatose bileuse ou d’une hépatite herpétiforme. Mais, l’histoire que les patients nous racontent, ça nous laisse penser à une dermatose bileuse auto-immune sous-épidermique notamment, à une dermatite herpétiforme. Pour le moment, nous sommes en train d’étiqueter parce qu’il y a un grand nombre d’examens qu’il faut faire pour pouvoir identifier le type de dermatose bileuse que présente cette famille.

Cette maladie est-elle traitable en Guinée ?

C’est possible qu’on traite cette maladie chez nous, mais le problème c’est comment parvenir au diagnostic. Pour parvenir au diagnostic, il y a un grand nombre d’examen. Le premier examen qui est nécessaire pour ces patients là c’est la biopsie cutanée. C’est-à-dire, on va prélever une bulle, ou racler le planché d’une bulle, envoyer au laboratoire. C’est sur prélèvement qu’il faut appliquer l’immunofluorescence directe et c’est cela qui permet d’identifier l’anticorps qui est présent sur le corps et qui détruit la structure de la peau. Il y a ce problème de diagnostic, il y a aussi l’immunotransfert et ça c’est des examens très spécialisés malheureusement qui n’existent pas dans notre pays. Si on arrive à réaliser ces examens, c’est possible qu’on traite parce que le traitement que ça soit la dermatose bleue auto-immune sous épidermique ou intra épidermique, le traitement c’est avec les corticoïdes ou le dapsone qui est un produit qui n’est pas vendu. C’est-à-dire, on va le retirer de l’association des molécules qu’on utilise pour le traitement de la lèpre parce que dans ce type de traitement il y a trois molécules, (dapsone qui est un comprimé unitaire, isolé).  Il suffit juste de s’adresser au programme lèpre pour l’avoir. S’il s’agit d’autres, le traitement c’est avec les corticoïdes. Les parents, nous et même l’autorité puisqu’elle s’en mêle, peut acheter ça. Le plus grand problème c’est comment parvenir au diagnostic. Nous connaissons les examens à faire, mais puisque le tableau technique est pauvre, c’est là-bas où le bât blesse.

Cette maladie est-elle contagieuse ?

Ce n’est pas une infection, elle n’est pas du tout contagieuse.

Comment l’éviter ou la prévenir ?

Puisqu’il s’agit d’une dermatose souvent liée à des facteurs génétiques, en principe l’examen prénuptial (c’est-à-dire le bilan santé qu’on fait avant le mariage) peut permettre d’éviter cette maladie.

Etiez-vous au courant de l’existence de cette pathologie avec ces patients ?

Il y a deux ans, ces patients ont été consultés. Mais ils n’ont jamais été amenés ensemble. Chaque fois qu’ils venaient dans nos services, on leur proposait ces examens et l’hospitalisation, ils opposaient un refus catégorique, les parents n’acceptaient pas. Sinon, c’est vrai, on les a vus mais on ne se rappelait plus sauf quand on les a revus ces derniers temps à travers les médias. La première fois que le patient là a été reçu ici, on a prélevé et on a remis un de nos collègues qui est en train de faire sa formation à Bamako. Peut-être dans deux, trois semaines ou un mois, probablement on aura les résultats.

Et pendant ce temps comment se porte le patient qui est hospitalisé là ?

Nous, nous pensons que ça va. Ce n’est pas quelque chose de compliqué. Les dermatoses se manifestent par des bulles c’est un soulèvement épidermique qui contient de l’eau. Alors, s’il y a beaucoup de bulles qui apparaissent sur le corps et que les bulles se rompent, ça fait perdre l’organisme en eau et surtout également en électrolyte, ion, chlore et potassium. Quand il s’agit du potassium c’est ce que qu’il faut craindre surtout parce que ça peut agir sur le corps, entrainant une défaillance au niveau cardiaque. Egalement, les lésions qui sont ouvertes là lorsqu’elles sont exposées au niveau extérieur peuvent être surinfectées. Quand cela se produit, ça met la vie du malade en danger. Ce sont toutes ces complications qui sont responsables de la mort du patient parce que là il y a autre complication. Même le traitement qu’on utilise contre cette pathologie, ces molécules utilisées au long terme peuvent avoir des effets secondaires sur le cœur, le retentissement en eau dans l’organisme. Donc, le pronostic dépend de l’évolution de la maladie mais aussi de l’utilisation de certains médicaments.

Avec ces problèmes de diagnostic que vous avez énumérés, pouvez-vous nous dire qu'il y a la nécessité d’évacuer le patient ?

Je ne m’oppose pas pour son évacuation si l’Etat ou ses parents peuvent faire quelque chose pour l’évacuer. Mais ce qui est important, surtout à notre niveau, c’est la réalisation des examens complémentaires, si cela est fait, c’est les mêmes médicaments qu’on utilise un peu partout à travers le monde. Malheureusement, nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires pour faire cela.

Quels conseils avez-vous à donner aux Guinéens pour cette maladie ?

Le conseil que je donne à mes chers compatriotes, c’est de se faire consulter à temps. Dès que vous voyez une dermatose qu’elle soit bileuse ou pas, il faut aller se consulter. Par exemple, aller voir un interniste qui va le référer au service de dermato. C’est quand il arrive à notre niveau qu’on procède à la consultation pour connaitre les vrais problèmes. Alors, si le malade se fait consulter tôt, on fait le diagnostic, il peut y avoir une prise en charge correctement et je pense que ces complications-là, même si elles surviennent, ce sera probablement dû aux effets secondaires.

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664-72-76-28

Créé le 24 janvier 2021 11:41

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