Glissement annoncé du retour à l’ordre constitutionnel : « nous allons nous battre par tous les moyens légaux pour l’empêcher », prévient Dr Zotomou

CONAKRY- En Guinée le retour à l’ordre constitutionnel est reporté à des horizons incertains. Le porte-parole du Gouvernement a annoncé cette semaine que toutes les élections n’auront pas lieu. Selon de nombreux acteurs politiques, cette annonce contredit les engagements pris par le Général Mamadi Doumbouya. Au sein des forces vives de Guinée, elles se disent réconfortées dans ses doutes. Toutefois, elles comptent s’opposer à ce nouveau glissement. Pour en parler, nous avons interrogé Dr. Edouard Zotomou Kpogohmou, président de l’UDPR (Union démocratique pour le renouveau et le progrès). Entretien exclusif !!!
AFRICAGUINE.COM : Qu’est-ce que vous pensez de cette déclaration du ministre Ousmane Gaoual Diallo qui projette le retour à l’ordre constitutionnel à des horizons incertains ?
DR EDOUARD ZOTOMOU KPGHOMOU : En tant que membre de l’ANAD, entité membre des forces vives, d’abord, je voudrais noter cette contradiction flagrante entre Ousmane Gaoual Diallo et son patron, le président de la transition. Il a annoncé que les élections générales se tiendraient en cette année 2025, le premier ministre aussi l’a réitéré. Donc, pour moi c’est la pluralité, c’est la totalité. D’abord, ils avaient dit le premier trimestre qu’ils allaient sortir la date pour le référendum. Et après, ça a été reporté au premier semestre. Finalement on ne comprend plus rien. Ce qui est certain, c’est des déclarations qui s’inscrivent justement dans la vision du CNRD parce que c’est ce qui a été préconisé depuis très longtemps. Si vous avez remarqué, au départ le CNRD était venu pour selon les dires de certains pour compléter le terme du mandat du président à Alpha Condé.
Donc ce n’était pas pour une histoire d’un an, de deux ans ou de trois ans. C’est après qu’ils ont essayé de concocter des programmes pour essayer d’adapter le temps qui reste à leur vision de la transition. Ousmane Gaoual ne peut dire que cela. Et en le faisant, il rejoint effectivement son premier ministre dans la mesure où il avait indiqué qu’il y aurait glissement de calendrier.
Nous nous en parlons simplement parce qu’on a déjà dit au niveau des forces vives qu’on ne reconnaît pas l’autorité, le CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement) et même du gouvernement. On l’a dit. Si on ne pratique pas ça de façon factuelle c’est simplement parce que nous n’avons pas l’effectivité du pouvoir. En Guinée, pour avoir l’effectivité du pouvoir, il faut avoir ce que j’appelle les trois A. Il y a l’argent, l’armée et l’administration. Eux ils ont les trois. Donc ils font ce qu’ils veulent. Mais cela ne veut pas dire que tous les autres sont consentants. Donc, Ousmane Gaoual joue sa survie. Parce qu’il ne peut pas être en contradiction avec ceux qui l’ont mandaté.
Le ministre Ousmane Gaoual Diallo a donné des arguments en évoquant le code électoral qui va être révisé, de la fixation de la date des élections, des conditions climatiques, mais aussi du matériel électoral qu’il faut prendre en compte. Est-ce que ce ne sont pas des réalités dont il faut en tenir compte ?
En réalité, premièrement, si on voulait effectivement organiser des élections, à moins d’un an ou de deux ans on aurait dû prendre toutes les dispositions pour le faire. Deuxièmement, quand vous dites que le matériel électoral n’est pas là, mais nous avons prêté du matériel électoral à la Sierra Leone, alors si on n’en avait pas suffisamment, on n’aurait jamais pris les risques de leur prêter ce que nous avons. Ça balaie franchement du revers de la main toute cette argumentation autour du matériel électoral.
Troisièmement, le fichier. Nous avons dit à tous les niveaux que le fichier électoral que nous avons utilisé pendant les élections de 2020 était un fichier électoral qui nous a permis, avec l’assistance technique et de l’OIF (l’organisation internationale de la Francophonie) et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), d’extirper près de deux millions quatre cent cinq cent mille votants fictifs. Alors, si c’est ce que ce fichier nous a permis d’aller aux élections, ce fichier-là peut être retoiletté mis à jour et puis être utilisé. Le problème c’est qu’il y a un manque de volonté politique, ça se voit déjà on l’a toujours dit. Aujourd’hui, on est beaucoup plus préoccupé à faire éliminer les partis politiques qu’à faire autre chose. C’est ce que nous sommes en train de voir et ça ne va pas marcher, on l’a toujours dit : vous pouvez avoir le pouvoir par les armes mais vous ne pouvez pas gérer par la force des armes quelles que soient les tactiques ou les manœuvres utilisées.
Parlant du fichier auquel vous faites allusion, le premier ministre Amadou Oury Bah, a rappelé que ce fichier a causé la mort de près de 200 personnes et donc, il n’est pas question de l’utiliser car ce serait une façon de perpétuer la discorde entre les acteurs. Que lui répondez-vous ?
Bah Oury ne devrait pas être étranger à ce phénomène. S’il dit que le fichier a causé des morts, il faut qu’il nous dise dans quelles conditions dans quelles circonstances il y a eu des morts parce qu’en ce moment il était de l’autre côté, il n’était pas avec le pouvoir. A l’époque, il était en train de dénoncer ce qui s’est passé. Monsieur Bah Oury ne peut pas être au four et au moulin. Il ne peut pas aimer une chose et son contraire. D’ailleurs lui-même, il joue sa survie. Monsieur Bah Oury avait tenté de sortir du pays, tout porte à croire que s’il sortait, il ne reviendrait pas en dépit du fait qu’on soit en train d’accuser les uns et les autres de ne pouvoir pas rentrer au pays pour une raison ou une autre.
Mais ce que nous savons, l’argument du fichier électoral ne tient pas, l’argument du matériel électoral ne tient pas, l’argument qui tient et que nous considérons, c’est le manque de volonté politique parce que si on voulait on l’aurait déjà fait. Il y a eu 200 morts, mais il y a des morts aujourd’hui c’est parce qu’on n’a pas publié. Que les gens acceptent qu’on fasse justement une sorte d’audit sur ce plan, on trouvera qu’il y a eu plus de 200 morts rien que le décompte macabre. Rien que sur l’axe : combien de personnes ont été tuées pour simplement avoir voulu manifester et jouir de leur droit de dire qu’elles ne sont pas d’accord ? Combien de personnes sont mortes au moment de la prise du pouvoir le (5 septembre 2021) ? Avec l’explosion de la centrale des hydrocarbures combien de personnes ont trépassé ? Au stade du 3 avril de Nzérékoré, sous les décombres d’un stade qui n’était pas encore en mesure d’accueillir qui que ce soit, des centaines de personnes rassemblées, il y a eu des morts. Des enquêtes n’ont même pas été initiées même si elles ont été promises. Alors, qui a tué plus ? Moi je pense que c’est des divagations pour rien. Il faudrait qu’on apprenne à faire du sérieux.
Qu’envisagent les forces vives ?
Ce que nous allons faire, c’est de continuer à lutter de la façon la plus légale en utilisant les moyens les plus légaux pour nous opposer à cela nous avons dit que nous ne voulons pas de la candidature du Général parce qu’il a juré devant Dieu, il a juré sur le coran, il a juré sur la sainte bible qu’il ne serait pas candidat, donc on ne peut pas accepter qu’il vienne se dédire. Parce que s’il le fait et qu’on accepte, ce serait faire du deux poids deux mesures parce que lorsque le capitaine Dadis a tenté de faire la même chose on sait ce qui s’est passé. Alors, qu’on ne vient pas nous faire croire autre chose. Les partis politiques ont des militants qui iront voter. Aujourd’hui, on veut imposer la candidature du général Doumbouya, c’est pourquoi on est en train d’acheter la conscience pratiquement de tout le monde. Vous voyez des mouvements de soutien… on ne peut pas être dans une telle démagogie. Ce n’est pas la démagogie qui construit un pays. Il faut que l’on sache qu’un pays se construit dans la paix et la paix sous des régimes civils stables. On n’est plus dans le temps des hommes forts, on est à l’époque des institutions fortes et pour qu’une institution soit forte, il faut qu’elle soit stable, il faut qu’elle soit appuyée par le peuple, or rien de cela n’existe aujourd’hui en Guinée.
Ousmane Gaoual Diallo a déclaré citation : « Lorsqu’on dit qu’on ne reconnaît pas l’État, on s’auto-dissout. On s’auto-dissout parce que, de toute façon, le papier qui vous donne le droit d’exercer en tant que parti politique, ça reste toujours un État. Ça reste toujours un gouvernement. C’est toujours les institutions. Si vous dites que vous ne reconnaissez rien de tout ça, vous avez déclaré votre auto-dissolution ». Qu’en pensez-vous ?
C’est des menaces. On peut dire qu’on va dissoudre mais vous avez vous avez peut-être assisté au fait qu’on a prononcé la dissolution du FNDC, vous vous rappelez très bien de cela, mais cela n’a pas empêché le FNDC à poursuivre ses efforts et opérations parce que les partis politiques ne sont pas des créations décrétées, les partis politiques sont des institutions qui sont constitués à partir d’une certaine conviction d’une partie du peuple. Alors, vous ne pouvez pas venir dissoudre ce que vous n’avez pas créé, vous ne pouvez pas détruire de cette façon.
Si les militants décident de ne pas appartenir à une formation politique mais c’est très simple et ils vont s’en aller et puis la formation restera une coquille vide mais on ne peut pas dire qu’on va le dissoudre. Si vous prenez même cette histoire de forcer les gens à faire des congrès dans les partis politiques, il y a ce qu’on appelle les statuts et les règlements intérieurs, tout cela réglemente effectivement le comportement ou le mode de vie des partis politiques. Les congrès ont une certaine périodicité, quelqu’un qui a fini son congrès en août ou bien septembre de l’année dernière, on ne peut pas l’obliger à faire un congrès aujourd’hui parce que ce sont des congrès qui sont fixés par exemple à cinq ans.
A moins qu’il y ait des accusations, sinon c’est des décisions qui peuvent être effectivement attaquées en justice, même si la justice son impartialité reste franchement à prouver. Dans tous les cas, les démarches légales, il faut toujours les faire mais nous ne les reconnaissons pas, ça ne veut pas dire qu’ils vont dissoudre les partis politiques. Maintenant, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, nous verrons ce qui va se passer.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 1 février 2025 10:49Nous vous proposons aussi
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