« Baata » ou la femme favorite : Une vielle tradition qui « pourrit » la vie des couples polygames…

Madame Mama Aissata Camara

CONAKRY- C'est un fait de société connu de tous dans les couples polygames en Guinée. Dans ces foyers, le mari a souvent une préférée parmi ses épouses. C'est soit, il affiche sa préférence ou bien il la garde en secret. Le phénomène de "femme favorite" ou "Bâta" est aussi vieux que nos us et coutumes. Mais il est surtout lié à la polygamie.

Dans nos sociétés fortement ancrée dans la tradition et la religion, il est fréquent de voir un homme épouser plusieurs femmes. Le phénomène n'épargne quasiment personne. On le constate au niveau de toutes les couches sociales. Mêmes des hauts commis de l'Etat sont polygames en Guinée alors que l'ancien code civil interdisait cette pratique. Ce n'est que très récemment (en 2019) que le texte a été révisé.

Comment le phénomène de Bâta est-il gérer dans les couples ? Quelles conséquences a-t-il dans la quiétude dans les familles polygames ? Dans couples polygames cela entraine souvent des violences conjugales, le divorce et le maraboutage. Selon une enquête réalisée par les autorités guinéennes, 85% des femmes sont victimes de violences conjugales en 2017. Assimilée à une tradition, la polygamie crée la zizanie entre même les fils de même père mais de mères différentes. Il y a aussi une sorte de concurrence qui se crée entre les épouses pour se faire aimer le plus par le mari. Certaines femmes sont prêtes à passer par tous les moyens. Y compris le maraboutage.

En couple depuis 27 ans, une mère de famille nous raconte qu'elle est la femme favorite de son mari parce qu’il s’occupe bien d'elle.  « J’ai la paix du cœur avec mon mari. Je suis la batai, parce que je prends soin de lui. Je n’accepte pas qu’il ait faim qu'il soit sale. Quand il revient du boulot, il est fâché je lui complimente et le réconforte.  C’est pourquoi je suis seul chez mon mari avec mes trois enfants », a déclaré avec fierté Mama Aissata Camara.

Assise devant sa marmite en train de préparer, cette femme âgée d’une cinquantaine d’années nous a confié qu’un couple polygame est plus exposé à des problèmes dans le foyer à cause de ce phénomène de femme favorite.  « L’affaire de batèya c’est si c’est une femme. Lorsque vous êtes deux, c’est des problèmes dans le foyer. Mais c’est l’homme qui occasionne cela parce que c’est lui le chef de famille. Donc quand il laisse la seconde femme prendre des décisions ou vice-versa, c’est des disputes tous les jours », confie Mama Aissata Camara.

Marié à deux femmes, Boubacar BAH vante l'harmonie qui existe dans son foyer. Selon lui, les hommes sont à la base de la haine entre leurs épouses voire même des violences conjugales. « Un homme qui a deux femmes mais qui s'entend qu'avec l'une d'entre elle, il abandonne l'autre, il ne prend en charge que de la favorite, cela crée la haine entre tes deux femmes jusqu’à ce qu’elles se battent entrainant des coups et blessures. Cela n’est pas bon. Le mari aussi peut battre la femme qu'elle déteste sous l’effet de la colère. Celle-ci ira consulter des marabouts et charlatans en faisant des choses qui sont contraire à leur religion pour se faire aimer de leurs maris, tout ça occasionne des problèmes », explique ce mari polygame.

Ce chef de ménage polygame soutient que l’islam autorise la polygamie à condition que l’homme soit équitable entre ses épouses.  « Le prophète Mohamed (PSL) a dit que tout musulman peut épouser une femme s’il a les moyens de la prendre en charge. Si aussi il a les moyens pour épouser une seconde femme, il peut le faire aussi jusqu’à une quatrième s’il est capable d’être équitable envers elles. Mais il y a des hommes qui marient une femme et font des enfants. Suite aux problèmes dans le couple, l'homme décide d’épouser une seconde femme par vengeance en la rebellant contre sa première épouse. Alors qu’elles sont toutes des épouses légitimes. Tout ça ne favorise l'entente dans les couples », souligne Boubacar Bah qui préconise le divorce comme solution dans de pareille situation.

« Le mieux pour un homme qui se retrouve dans cette situation, c’est de divorcer s’il n’y a pas d'entente avec ta conjointe. Sinon tu auras des péchés devant Dieu. C’est pourquoi certaines femmes refusent la polygamie. C’est à cause de cela parce que quand leur mari se remarie, il les déteste et préfère être avec la nouvelle femme. Alors qu'un homme ne doit pas accepter sa femme diriger la famille à son détriment en disant que c’est moi la bata et la plus aimée. La plupart des enfants de cette femme favorite réussissent rarement dans leur vie. C’est les enfants de la femme détestée qui ont un succès dans leur vie. Mais les femmes doivent obéir à leur mari et garder le mal en patience un jour, elles seront récompensées par les enfants qui vont sécher leurs larmes », prophétise M. Bah.

Que dis l’islam ?

Selon le prédicateur Oustaz Ramadan Bah, la polygamie est prescrite dans le saint coran et elle est autorisée par l’islam. Mais, prévient-il, en ce qui concerne le phénomène de femme favorite, l’islam ‘’interdit’’ cette pratique. Le religieux parle même de grave châtiment divin à l’encontre du mari qui ne prend pas au même pied d'égalité ses épouses.

« Lorsqu’une personne arrive à épouser deux femmes, il doit être équitable et juste entre ses deux épouses sur tous les plans. Seulement, en ce qui concerne l’amour (aimer, ndlr), c’est dans le cœur, il ne peut pas parce que cela ne provient pas de lui mais de Dieu. Mais tout ce qui concerne, la nourriture, l’habillement, le logement et tout… que ça soit petit au grand il doit être juste. S’il le fait, il aura des récompenses envers Dieu. Dans le cas échéant, il aura des châtiments dans ce bas monde et à l’au-delà. Le châtiment, il va se lever dans sa tombe alors qu’une partie de son corps est paralysée.  Il va demander à Dieu ‘’ Pourquoi quand j’étais en vie je me portais bien et ici je me réveille alors qu’une partie de mon corps est paralysée ? ‘’ Dieu lui répondra : ‘’ C’est comme ça tu étais et tu te comportais avec tes épouses.’’ Il n’aura que ses yeux pour pleurer. L'homme doit craindre si cela ne va pas le conduire jusqu’à en enfer. Même les enfants, il faut être juste en vers eux. Les épouses ne doivent pas accepter d’être plus favorisée que l’autre. Elles doivent conseiller leurs maris et elles ne doivent pas accepter cela. La femme non favorite doit dire à son mari avec tout le respect, elle n’aime cette manière de faire et de considérer sa coépouse. Si elle ne le fait pas, elle sera aussi châtiée ainsi que sa coépouse qui n’interpelle pas son mari », a expliqué Oustaz Ramadan Bah.

Conséquences du batéya dans les foyers…

Selon un sociologue, c’est un phénomène traditionnel qui a un enjeu majeur dans la société guinéenne.  « Lorsque l’homme n’a pas la capacité réelle et la qualité morale d'être équitable avec ses femmes, ça se fait sentir dans les couples. Par votre façon d’observer vous avez tendance à voir une étrangère parce qu’elle n’a pas cette possibilité de se sentir fière du foyer auquel elle vie. Pendant ce temps les enfants qui sont sous sa tutelle, parce que lorsqu’une mère est frustrée, elle partage ses émotions avec ses enfants, ils vont prendre comme ennemi tous ceux qui contribuent à faire pleurer leur maman. L’enfant est en désaccord avec son père et sa marâtre. Une haine peut naitre », explique Cheick Magassouba.

Ce sociologue interpelle les hommes polygames sur leur responsabilité vis-vis de leurs épouses. « Cet appel mérite d’être lancé afin qu’on en discute, parce que c'est un phénomène qui remet en cause l’irresponsabilité de certains chefs de ménages mais aussi le manque de probité chez certaines femmes.  Peu importe le rang, si vous aimez votre mari, c’est d'accepter sa conduite sociale et considérez votre coépouse comme votre camarade. Cette adversité ne doit pas se répercuter sur l’équilibre de la famille.  Celles qui ne sont pas favorites souvent sont délaissées dans leur amour. Si l’homme établit un calendrier de fréquentation des épouses qui consiste à passer deux nuits successives chez chacune d’elle, la favorite ne bénéficie pas les mêmes opportunités que les autres. Quand il doit passer la nuit chez la femme qu’il n’aime pas, il préfère retarder chez sa favorite avant d’aller chez la non-favorite. Lorsqu’une femme en détresse essaye de manifester sa colère vis-à-vis de son mari, souvent elle peut s’écrouler en larmes. Et souvent cela peut dégénérer à des écarts de langage voir même à des violences. Parfois les grands parents, les belles mères et sœurs, les beaux pères et beaux-frères parce qu’ils savent, pour avoir la largesse de leur fille, sœur ou leur fils et frère, il faut passer par la favorite en misant sur leur petit intérêt. Ils contribuent à mettre en branle cette famille. C’est un sujet qui mérite d’être discuté », a détaillé monsieur Magassouba.

Il propose des solutions pour réduire ce phénomène….

Selon lui les acteurs religieux ont un grand rôle à jouer. « Les mariages polygames sont sellés généralement dans les lieux de cultes notamment à la mosquée. Lorsque ça se passe comme tels, l’autorité religieuse qui établit un mariage polygame doit être en mesure de marteler à l’homme et à la femme leurs responsabilités pour maintenir la quiétude de la famille.  Et lors du mariage traditionnel, les sages doivent être en mesure de rappeler à l’homme sa responsabilité et les conséquences sur certains agissements envers ses femmes. Au-delà des autorités religieuses, les ONG doivent prendre à bras le corps ce sujet de société, afin de mener des sensibilisations dans les foyers polygames où la quiétude est fragile », a alerté Monsieur Magassouba.

Un reportage de Bah Aïssatou

Pour Africaguinee.com

Tél : (+224) 655 31 11 14

 

Créé le 18 août 2020 13:48

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