Baadiko brise le silence après la suspension de son parti : « Il y a une véritable volonté de conforter la dictature… »

CONAKRY- L’Union des Forces Démocratiques (UFD) fait partie des 54 formations politiques qui ont été suspendues pour une période de trois mois à la suite de l’évaluation des partis politiques, pilotée par le Ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD). Dans cet entretien qu’il a accordé à notre rédaction, le président de l’UDF réagit à cette décision. Il annonce des actions que son parti compte entreprendre en vue de répondre aux manquements soulevés par le département de tutelle des organisations politiques. Entretien exclusif !!!

AFRICAGUINEE.COM : Selon le rapport d’évaluation des partis politiques, votre formation politique Union des Forces Démocratiques (UFD) fait partie des partis suspendus pour une période de 3 mois. Quelle est votre réaction ? 

MAMADOU BAH BAADIKO : Effectivement, nous avons pris connaissance par les médias en ligne de cette mesure du MATD. Et comme vous le dites, nous sommes sur la liste des partis suspendus pour trois mois.

Sur la forme, nous nous permettrons de relever les faits suivants que chacun pourra apprécier :

  1. En tant que parti concerné, nous n’avons toujours pas reçu de courrier officiel du MATD dont les agents sont pourtant bien venus pour l’évaluation, à notre siège. Donc c’est dans les médias que nous avons pris connaissance de la mesure. Et comme ils ont les coordonnées téléphoniques de notre responsable, ils l’ont appelé et il est allé au MATD. Là, on lui a dit que notre courrier n’était pas encore prêt. Il est reparti. Deux jours après, il est retourné au ministère et on lui a dit qu’on allait l’appeler. Les agents du MATD étaient en réunion avec d’autres partis…
  2. Un cabinet de consultants, NEXYME CONSULTING a été recruté « pour l’organisation de la mission d’évaluation, la formation et le suivi des enquêteurs, la réalisation de la plateforme de cartographie des partis politiques, l’exploitation des résultats et la rédaction des rapports ».

A propos de ce cabinet, il faut signaler le fait qu’il aurait été créé après le début des travaux d’évaluation et que personne ne peut dire qui est derrière cette structure, illustre inconnue.

Sur le fond de l’évaluation, on doit relever le critère d’attribution de la note relative à la conformité ou non du parti politique. En effet, seul le MATD est juge de la conformité ou non d’un document justificatif qui lui est transmis. Lorsque le ministère rejette la validité d’un document qui lui est transmis, il n’indique à aucun moment où est la faute ou le manquement qu’il relève et le cas échéant comment ce défaut peut être réparé. Ainsi nous sommes dans l’arbitraire complet, à la discrétion du juge et partie qu’est le MATD.

Quels sont les manquements qu’on vous a notifiés ?

Comme indiqué à la Question 1, nous n’avons encore eu aucun courrier de notification. Nous nous en tenons donc au texte relatif aux motifs de la suspension qui a été publié : Liste des partis politiques suspendus pendant 3 mois

La suspension des activités d’un parti politique pendant 3 mois fait suite au constat fait par le Ministère chargé de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD), lors de l’évaluation dudit parti, de l’un ou plusieurs des manquements ci – après (conformément à la Loi Organique L/91 /002/CTRN du 23 Décembre 1991 portant charte des partis politiques, en ses articles 17, 21, 22 et 23) :

  1. Agrément non valide du parti politique ;
  2. Non fourniture de la liste des membres de l’organe de direction ;
  3. Existence d’un conflit interne en cours entre les membres de l’organe de direction du parti politique
  4. Absence d’un compte bancaire au nom du parti politique, ouvert en République de Guinée ;
  5. Non tenue de la comptabilité annuelle de gestion du parti politique ; Les états de comptabilité annuelle doivent être conformes aux lois et règlements en vigueur en République de Guinée, être certifiés par un cabinet comptable agréé, et inclure : un Bilan, un Compte de Résultat, un Tableau des flux de Trésorerie et des notes annexes.
  6. Non déclaration des modifications dans les statuts ou des changements de Membres dans l’organe de direction du parti politique.
  7. Application d’une modification statutaire ou d’un changement de membre ».

Donc nous ne nous reconnaissons pas dans ces manquements, en dehors des points 4 (compte de banque) et 5 (comptabilité certifiée). A ce propos, nous nous permettons de faire les remarques suivantes :

Nous ne dénions pas à la tutelle le droit de procéder à des contrôles de conformité des partis politiques en accord avec les textes en vigueur. Cependant, dans un texte, il y a la forme et il y a l’esprit. Le MATD veut que les partis politiques en Guinée fonctionnent comme des entreprises commerciales ! Dans un pays où 90% de la population est analphabète, selon les termes mêmes du Ministre de l’Education, comment vouloir lier l’existence d’un parti politique à la tenue d’une telle comptabilité qui plus doit être certifiée par un expert-comptable agréé est inédit.

A ce propos, il faut dire que même l’Etat est totalement défaillant ! Depuis combien d’années la Cour des Comptes n’a pas présenté les comptes de l’Etat certifiés par ses soins, dans le cadre de la Loi et Règlement ? Le CNRD veut donc imposer aux partis des obligations dont il s’exonère ! Il est connu qu’en Guinée au moins 95% des transactions économiques et financières, en dehors des mines se font en espèces. Une évolution est visible avec la monnaie électronique, mais les textes l’ignorent. Pourquoi vouloir obliger les partis à ouvrir des comptes de banque qui ne peuvent enregistrer que des opérations de pure forme, uniquement pour être en règle ? C’est ainsi qu’à L’UFD nous avions ouvert un compte de banque à l’UIBG, mais nous n’avions aucune dépense payable par chèque ! Même les cautions pour les élections devaient être versées en espèces à la Banque Centrale ! Ainsi quand l’UIBG a été rachetée par ORABANK, nous avions perdu beaucoup d’argent, car notre compte n’avait jamais été reconduit par le repreneur. Dire que c’est un motif de dissolution du parti montre bien que là n’est pas, le vrai problème…

Il est important de signaler que nous avons présenté au MATD nos livres de recettes-dépenses permettant de retracer les principales opérations effectuées. Malheureusement ils s’accrochent à la pure question de forme.

Nous réaffirmons avec force avoir toujours appliqué à l’UFD les mêmes règles de gestion rigoureuse et transparente que celles que nous préconisons pour notre pays, loin de la corruption et de l’enrichissement illicite. Ainsi, il nous est même arrivé de citer publiquement les noms de quelques rares donateurs aux élections de 2010 et 2013, ainsi qu’en 2018.

Au mois de juin date du début de l’évaluation des partis, quels sont les reproches faits à l’endroit de votre parti ?

Comme d’habitude, lors du contrôle, nous avons fait le maximum pour présenter aux inspecteurs tous les documents demandés. Ceux que nous n’avions pas retrouvés ont été transmis plus tard, dans les règles. Après la séance de contrôle, les inspecteurs n’avaient pas manqué de dire qu’ils avaient reçu à l’UFD une volumineuse documentation dont ils n’avaient pas eu beaucoup d’équivalents ailleurs. Ces opérations ne manquaient pas d’ailleurs d’aspect comique : S’agissant par exemple des membres fondateurs et de leurs coordonnées téléphoniques à une époque où la téléphonie mobile n’existait pas en Guinée, nous n’avons pas manqué de dire aux inspecteurs que beaucoup étaient déjà décédés ou partis ailleurs, sans compter ceux dont nous avons perdu de vue depuis bientôt 32 ans que le parti existe ! Pire, nous avons connu une scission en 1995-1997.

Face à cette décision de suspension, que comptez-vous faire ?

Il faut replacer les choses dans leur véritable contexte. On n’est pas dans une simple opération administrative qui aurait pu être réglée objectivement, honnêtement. Il y a derrière une véritable volonté de conforter la dictature et le coup d’Etat du 5 septembre 2021. Tout le monde sait que dès le départ, le CNRD avait affiché sa volonté de se débarrasser de tous les partis politiques trouvés en place, en continuation du coup de force réalisé pour les institutions. Nous allons donc vers l’imposition du parti unique ou au plus, deux partis, régnant en co-dominion.

Mamadou Bah Badiko leader de l'UFD

Face à cette situation, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter les justifications nécessaires sachant que là n’est pas le vrai problème. Les militaires sont décidés à balayer tous les partis qui ne les suivent pas dans leur logique de légalisation du coup d’Etat du 5 septembre 2021.

Certains partis ont été dissous, que pensez-vous de cette décision ?

Nous pensons qu’il faut en ce domaine s’en tenir aux règles de l’Etat de droit, de respect du pluralisme démocratique, en laissant le peuple souverain choisir ses dirigeants, à travers des élections libres, honnêtes, transparentes et équitables. Vouloir par exemple imposer aux partis d’avoir des membres sur tout le territoire, relève des principes du parti unique où on est membre du parti à la naissance. A travers les agissements des membres et dirigeants et des déclarations rendues publiques, il n‘est pas difficile de savoir quelle est la véritable orientation d’un parti politique. L’UFD est à cet égard un des rares partis à être implanté, avec des élus en beaucoup de points du territoire sur la base de l’engagement politique et non sur des bases communautaires ou par la corruption. Nous ne contraignons personne à adhérer à l’UFD. Nous avons des électeurs et électrices dans de nombreuses préfectures et qui ne sont pas de la même communauté que président du parti…

Toutes les sensibilités politiques non basées sur des considérations dictatoriales, ethnicistes, religieuses ou commanditées par des trafiquants de toutes sortes, doivent pouvoir exister et exercer librement leurs droits de citoyens.

D’autres partis en revanche ont été mis en observation, quelle analyse faites-vous de cette démarche ?

Nous ne croyons pas à cette catégorisation. L’issue sera toujours la même. Tous les partis qui dérangeront tant soit peu l’agenda de confiscation du pouvoir par le CNRD passeront à la trappe, avec un bel habillage légal. Vous avez vu comment les médias indépendants ont été supprimés. Reste la voix unique de la pensée unique, du parti unique, la RTG.

Propos recueillis par Sidy Koundara DIALLO

Pour Africaguinee.com

Créé le 1 novembre 2024 09:55

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