Audiences foraines, insécurité…trafic d’enfants : Les confidences de Patrice Koma Koïvogui, procureur près le TPI de Koundara…

A Koundara, ville située à près de 500 kilomètres de Conakry, le travail n’est pas aisé pour les magistrats. En plus de l’absence d’un tribunal digne de nom, cette préfecture transfrontalière ne dispose pas de prison. Le représentant du ministère public ne dispose même pas de véhicule service. Autant de facteurs qui rendent l’accomplissement de sa mission difficile. Or, cette agglomération connaît de nos jours une croissance démographique à cause de sa position géographique. Une situation qui a engendré ces dernières années une hausse de la criminalité et d’autres formes de banditisme. Pour aborder les problèmes qui assaillent la justice à Koundara dans la région administrative de Boké, Africaguinee.com a interrogé le procureur de la République près le tribunal de première instance de cette ville.

AFRICAGUINEE.COM : Comment les audiences foraines se passent-elles à Koundara ?

PATRICE KOMA KOIVOGUI : Merci pour l’opportunité que vous nous offrez pour pouvoir parler de certains sujets liés aux activités de notre juridiction. Par rapport à la question liée aux audiences foraines, je peux dire que tout se passe très bien. Depuis qu’on a commencé, le 30 décembre 2024, deux équipes ont été mises en place au niveau du Tribunal de Première Instance de Koundara. La première équipe est dirigée par le président du tribunal. Dans cette composition, moi-même, j’y suis avec le chef de greffe. La deuxième équipe est dirigée par le juge-président, Daouda Camara, accompagné par le substitut du procureur et un greffier. Au jour d’aujourd’hui déjà, nous avons pu sillonner plusieurs localités.

La première équipe a pu tenir les audiences au niveau de la commune urbaine. Je veux parler du centre. Et la deuxième équipe a également fini avec la sous-préfecture de Youkounkoun. Et aujourd’hui, nous rentrons également de deuxième zone. Nous étions à Terméssé, où pratiquement on a fait les quatre jours. La deuxième équipe était à Sambaïlo, où elle a également fait les quatre jours.

Donc dans l’ensemble, ça se passe bien. Il y a une mobilisation des populations à tous les niveaux. Les autorités locales n’ont pas manqué de mobiliser leurs citoyens, qui vraiment, à travers l’engouement que nous avons vu sur le terrain, prouvent à suffisance qu’ils sont vraiment intéressés par ces audiences foraines.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté dans l’organisation de ces audiences foraines ?

Alors, les difficultés, premièrement, c’est par rapport aux moyens logistiques. Comme vous le savez, les audiences foraines sont des audiences qui nécessitent le déplacement du tribunal pour aller vers les citoyens. Et cela dans le souci de rapprocher davantage le tribunal d’un futur bénéficiaire de ses actes.

Alors, comme vous le savez très bien, au niveau de la justice, il n’y a pratiquement pas de moyens de déplacement. Cela pose problème. Vous imaginez, quand nous prenons les localités comme Terméssé situé à 75 kilomètres du centre-ville de Koundara, pour s’y rendre avec l’état des routes, ce n’est pas facile.

Néanmoins, nous avons trouvé des solutions palliatives en empruntant la voiture du commissariat central qui accompagne l’équipe et la ramène dès après les audiences. Au-delà de ces problèmes logistiques, il y a le fait que les audiences ont commencé de façon brusque. C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de préparation en amont qui a permis aux gens d’être largement informés.

Cette surprise a créé par endroit beaucoup de désagréments. Cependant, avec l’appui des jeunes qu’on trouve sur le terrain, on parvient à trouver une solution. Ce qui fait qu’aujourd’hui, par exemple, on a pu au moins atteindre les 65 % du jugement qu’on devrait délivrer à Guingan. Et à Sambaïlo, l’équipe a pu atteindre les 75%. Donc, globalement, ça va et le reste sera corrigé.

A ce rythme, pensez-vous que vous serez dans le délai ?

Oui, nous serons dans le délai puisque la campagne continue jusqu’au 13 janvier. A date, pour la première équipe, il nous reste une (CR) Commune Rurale, c’est celle de Guingan. Et pour la deuxième équipe, il reste deux CR. Les deux Communes Rurales sont : Sareboido et Kamabi. Ces deux communes rurales font huit jours. J’espère qu’avant le 13 janvier, les huit jours vont être atteints.

Parlons à présent de sécurité. A un moment donné, la commune urbaine de Koundara avait connu une montée de la criminalité. Quelle est la situation à date ?

Alors, par rapport à la situation liée à la criminalité au jour d’aujourd’hui, nous disons Dieu merci, il y a eu une nette baisse.

Il y a eu des cas d’assassinats de deux dames ici, dans la commune urbaine de Koundara. Le premier, c’était le 1er mai 2023, et une semaine plus tard une seconde victime. Quelle a été la suite de ces dossiers ?

Par rapport aux cas d’assassinats dont vous avez évoqué, qui ont eu lieu pratiquement en 2022 et 2023, jusqu’à présent ce sont deux cas pour lesquels nous n’avons pas pu interpeller les auteurs. Pour les autres cas quand même, les auteurs ont pu être interpellés, jugés, condamnés et transférés à la maison centrale de Labé. Pour les deux autres cas, c’est-à-dire en ce qui concerne les deux femmes, pour le moment, les enquêtes n’ont pas abouti à grand-chose, parce qu’on n’a pas encore pu interpeller les auteurs de ces faits. Qu’à cela ne tienne, nous continuons à rechercher les auteurs, puisque nous avons encore dix ans devant nous, avant que les faits ne tombent dans la prescription.

Qu’en est-il des cas de vols ?

Il est constaté qu’entre 2021 et 2022 pratiquement, tous les jours que Dieu faisait, les boutiques au marché faisaient l’objet d’attaques et de casses.  Mais depuis qu’on a eu la chance d’interpeller les groupes liés à ces cas de vol, qui ont été sanctionnés à des peines dissuasives et automatiquement et les auteurs ont été transférés à la prison civile de Labé. Maintenant là il y a eu une nette baisse des cas de vol. Je ne veux pas dire que c’est fini ou pratiquement que tout est terminé, mais l’ampleur qu’il y avait avant par rapport à aujourd’hui, nous disons Dieu merci.

Cela ne veut pas dire que les gardes ont baissé. À date déjà, les patrouilles ont commencé avec l’ensemble des forces de sécurité pour prévenir d’autres actes parce qu’il faut se dire certaines choses, depuis la condamnation du premier groupe, aujourd’hui il y a certains groupes de voleurs qui ne sont pas résidents de Koundara, qui viennent parfois des localités de Labé ou de Kounsitel (sous-préfecture relevant de Gaoual).  Et parfois quand ils arrivent, ils commencent à voler pour se retourner.  Donc la patrouille est là pour pouvoir freiner l’arrivée de ces délinquants chez nous. Globalement aujourd’hui, nous disons Dieu merci. Le vol a diminué à Koundara.

Ces personnes qui avaient été interpellées en octobre 2023 dans le cadre de ces vols, quelles ont été leurs peines ?

Le premier groupe qui avait été interpellé, qui était dirigé par un certain Baila, avait été condamné à trois ans de prison ferme. Au moment où je vous parle, je crois qu’ils sont en train de purger déjà une année. Par la suite, il y a d’autres qui ont été interpellés, mais cette fois-ci de façon individuelle, qui ont écopé de peines de quatre ans de prison ferme. Et leur transfèrement a été ordonné à la maison centrale de Labé. Au moment où je vous parle, il y a un autre qui a été condamné, qui attend son transfert dans les jours à venir.

En tout, ils sont combien à être reconnus coupables et condamnés ?

Alors, en tout, pour un premier temps, le tribunal avait condamné cinq personnes. Ensuite, il y en a eu deux. Et tout récemment, il y en a eu un qui a été condamné. Celui-là ne date pas encore de plus d’un mois.

Alors, pensez-vous réellement que les peines de prison ont un peu dissuadé certains, ou bien vous êtes en train d’observer ?

Naturellement, nous, on peut dire que les peines qui ont été prononcées, ont été des peines dissuasives. Parce que très souvent, comme on le dit, les délinquants observent ce qui sera infligé à leurs collègues pour pouvoir dire s’ils peuvent récidiver ou pas. Avec les peines de trois ans, quatre ans, voire cinq ans qui ont été prononcées contre les autres, vraiment, cela les a dissuadés. Certains ont même préféré quitter la localité pour traverser les frontières. Donc, pour nous, les peines ont contribué globalement à la dissuasion. Mais aussi, le dynamisme des forces de sécurité contribue. La vigilance également des populations, qui, à longueur de journée, dès qu’ils voient une personne suspecte, ne tardent pas à informer les services de sécurité.

Alors, à présent, on va parler du trafic d’enfants. Koundara, est une zone transfrontalière où, généralement, des gens peuvent prendre des enfants ailleurs pour les faire traverser par ici pour d’autres pays de la sous-région. Comment gérez-vous ces cas ?

Oui, Koundara de par sa position frontalière, surtout avec le Sénégal, nous sommes très souvent confrontés à ce problème. Comme vous le savez, il y a des écoles coraniques qui seraient implantées vers le Sénégal ou la Mauritanie qui sont beaucoup plus convoitées par nos compatriotes. Alors, généralement, vous pouvez voir quelqu’un qui voyage avec 10, 15 enfants sans aucune documentation.

Alors, ces faits, généralement, nous les assimilons à des faits de traite d’êtres humains. Aujourd’hui, avec la section de l’OPROGEM (l’office de protection du genre et des mœurs) au commissariat central et également la police aux frontières, nous essayons de décanter tous ces cas de trafic. Et à chaque fois que c’est porté à notre connaissance, leur voyage est complètement annulé, les parents sont appelés et les enfants sont mis à leur disposition. Les personnes qui se permettent de voyager avec ces enfants sans aucun acte les autorisant font objet de poursuite et sont jugées.

Au jour d’aujourd’hui, c’est vrai, ça existe, mais à des moments donnés, on se demande est-ce qu’il n’y a pas parfois l’ignorance qui est à la base. Les parents qui donnent leurs enfants, parfois ils sont appelés, vous leur demandez, ils disent oui, c’est nous qui avons donné l’autorisation, mais ils oublient qu’en donnant l’autorisation, il faudrait que ce soit accompagné par un écrit. C’est pourquoi actuellement, au niveau de l’OPROGEM, il y a eu certaines facilités que les autorités accordent. Généralement, lorsque les enfants sont accompagnés par d’autres personnes qui ne sont pas leurs propres parents, une fois qu’ils arrivent, la police se rassure effectivement que ce sont les parents qui ont donné le feu vert, on leur délivre un acte qui leur permet de traverser la frontière. Si ces actes ne sont pas délivrés, ces enfants font objet de refoulements au niveau de la frontière, on ne les laisse pas passer.

Est-ce qu’il y a vraiment des cas où vous pensez que c’est vraiment du trafic ?

À ma connaissance ici, les cas que nous avons connus, ce sont des enfants qui voyagent dans le cadre des études coraniques. Ça, il faut le dire.

Les cas de traite d’êtres humains proprement parlant, c’est-à-dire où les gens sont prêts pour aller être exploités comme tels, on n’en connaît pas assez ici. Les enfants qui, souvent, passent ici sont des enfants âgés parfois entre 5 ans, 12 ans et plus. Mais dès que vous demandez à leurs parents, ils vous disent qu’ils vont pour les études coraniques, en Mauritanie ou au Sénégal.

Alors, on va parler d’infrastructures. On sait qu’il y avait un chantier de construction du tribunal qui avait été lancé. Peut-on savoir aujourd’hui quelle est la situation réelle de ce chantier ?

Alors, par rapport au délai qui avait été imparti pour que ce chantier soit rendu à la justice, il faut dire que ce délai est largement dépassé. Ce n’est que le 27 décembre 2024 si je me permets de le dire, que le chantier a encore repris.

Nous tenons à le voir cette fois-ci vraiment, c’est la bonne occasion pour que ce chantier puisse être achevé pour le bonheur des magistrats que nous sommes. Parce que là, il faut se le dire, nous travaillons dans des conditions assez difficiles. Nous occupons un bâtiment qui nous a été prêté par la commune. Le nombre de bureaux est insuffisant. Les endroits ne sont vraiment pas adaptés. Ça ne donne pas l’image d’une justice qui se trouve à la frontière d’un pays qui doit être la vitrine pour le pays. Nous espérons vraiment que cette fois-ci, l’entrepreneur et le département vont mettre les bouchées doubles pour que ce chantier soit achevé.

Koundara ne dispose pas de prison depuis des années. Est-ce que ce projet inclut une maison d’arrêt ?

La prison ne fait pas encore pour le moment objet de projet. Nous avons reçu une mission qui est venue visiter. Mais pour le moment, on n’a pas encore reçu de façon concrète une mission pour nous dire que cette prison va faire objet de reconstruction. Cette prison, il faut le rappeler, se trouve dans un état de dégradation assez poussé au point qu’on ne peut pas y détenir des prisonniers dangereux. Ce qui fait d’ailleurs que la plupart de nos prisonniers sont transférés à la prison civile de Labé cela nous cause énormément de problèmes surtout qu’on n’a même pas de moyens de déplacement.

Parlant de ces problèmes logistiques, vous avez souligné tout à l’heure que dans le cadre de ces audiences foraines, il a fallu que vous utilisiez le véhicule du commissariat central. L’État guinéen ne vous a-t-il pas doté de moyens de déplacement ?

Nous n’avons pas de moyens de déplacement que l’Etat a mis à notre disposition comme on le fait pour certains services comme la DPE (Direction Préfectorale de l’Education), la santé, la préfecture, la gendarmerie, la police, qui ont tous des véhicules (de service). Il n’y a que la justice qui n’a pas de véhicule. Voyez-vous, si un procureur de la République doit se rendre dans les sous-préfectures pour au moins contrôler les services de police, pour s’assurer que les citoyens ne sont pas victimes de violations de leurs droits, si ce procureur n’a pas de véhicule pour se déplacer, (vous voyez que cela cause problème).

Et par rapport à la maison d’arrêt, pour le jugement des détenus, on est obligé de transporter ces détenus sur des motos. Ce n’est pas du correct, ce n’est pas sécurisé. Ce n’est même pas recommandé. Lorsque nous avons à faire avec des groupes un peu nombreux, on se rabat encore sur la police ou la gendarmerie pour nous aider à transporter ces détenus. Normalement, la maison centrale devrait au moins avoir une fourgonnette pour transporter ces détenus-là. Mais pour le moment, nous n’en avons pas.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 13 janvier 2025 07:20

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