Verdict du procès 28 septembre 2009 : Le Premier ministre Bah Oury parle… « exclusif »
CONAKRY-Ce samedi 3 août 2024, Africaguinee.com a été reçu par le Premier Ministre guinéen Amadou Oury Bah dans le cadre d’une interview. Dans cette première partie de l’entretien qui sera diffusé en plusieurs séquences, nous avons abordé avec le Chef du Gouvernement, le verdict du procès 28 septembre 2009. Au moment des faits, Bah Oury était le Président du comité d’organisation de la manifestation qui avait viré en « bain de sang ». Il avait comparu lors du procès à la fois en tant que victime et témoins. Dans cette entrevue, le locataire du petit palais de la Colombe fait une lecture pointue quant à l’issue de ce jugement qualifié d’historique tant en Guinée qu’à l’internationale. Interview exclusive !!!
AFRICAGUINEE.COM : Le procès 28 septembre vient de connaitre son épilogue. Comment avez-vous accueilli ce verdict en tant que victime et président du comité d’organisation de la manifestation ?
AMADOU OURY BAH : Le plus important dans le procès du massacre du 28 septembre 2009, c’est le fait que la Guinée ait pu l’organiser elle-même. Ce qui n’était pas une chose facile parce qu’il fallait du courage et de la détermination pour pouvoir organiser le procès. C’est une première dans l’histoire de la Guinée et même c’est un fait inédit sur l’ensemble du continent africain. Le fait d’avoir eu ce courage est un aspect historique. Le CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement) et le Chef de l’État, le Général Mamadi Doumbouya, ont de ce point de vue, apporté à la Guinée ce qu’elle attendait depuis très longtemps.
La deuxième chose, c’est le fait que ce procès ait pu se dérouler dans le respect des procédures. Et il a pu montrer les capacités de nos magistrats à mener avec professionnalisme, un procès aussi compliqué et aussi difficile. C’est le deuxième enseignement. La troisième chose, ce procès a pu faire ressortir pour la Guinée et pour l’ensemble des africains de manière générale les coulisses de la gestion du Pouvoir avec parfois, ses combines, ses trahisons, ses reniements et aussi avec une certaine aisance à utiliser et à exploiter la violence d’Etat.
C’est un enseignement au-delà de la Guinée, que les États africains doivent tirer pour avoir des mécanismes de contrôle de plus en plus poussé de l’ensemble des forces sécuritaires d’un pays. Donc, la Guinée de ce point de vue-là, en dehors du procès proprement dit, devrait mener des réflexions pour tirer tous les enseignements et tous les mécanismes qu’il faudra mettre en œuvre pour que des choses aussi barbares ne puissent pas se répéter. Cet aspect est très important pour notre pays pour qualifier encore davantage l’ensemble des institutions de la République.
La dernière chose que je dois dire à ce niveau-là, ce procès avait suscité des hantises. La tenue du procès va-t-elle faire resurgir certains antagonismes au plan ethnique ? Il y en a eu à un moment donné des tentatives de certaines forces d’aller dans cette direction, mais grâce à Dieu, ceci a pu être contenu. Au-delà du procès lui-même, ce qu’il fallait faire ressortir, ce n’est pas un procès contre une communauté, quelle qu’elle soit.
C’est un procès pour juger les responsables au plus haut niveau de l’Etat qui ont enfreint des principes fondamentaux concernant la gestion du Pouvoir et le respect de la vie humaine. C’est cela qui est mis en exergue. Ce n’est pas un procès contre une communauté en faveur ou au détriment d’une autre. C’est un procès de responsables qui ont eu en charge la gestion du pays et qui n’ont pas été en conformité avec les exigences de leur mission. De ce point de vue, le fait que nous en soyons là aujourd’hui, il faut saluer cette forte maturité des populations guinéennes qui ont suivi avec patience et résilience, l’évolution du procès.
La dernière chose, c’est un exemple pour le reste du continent africain. C’est aussi un pari, un engagement pour que plus jamais de telles choses ne se répètent.
Vous savez, il y a plusieurs manières de sanctionner des faits afin que cela ne puisse plus se répéter. L’une des manières, c’est par un procès le plus équitable possible qui permettra de faire rentrer dans la conscience collective que l’impunité ne peut plus être tolérée. Les défaillances institutionnelles sont possibles, mais, quel que soit le temps, la justice finira toujours par triompher.
Selon vous quelles répercussions l’issue de ce procès pourrait-elle avoir dans le processus de la réconciliation nationale qui est l’une des priorités des autorités actuelles ?
La tenue de ce procès et d’autres (procès) font partie des recommandations pertinentes des assises nationales qui ont été organisées à partir de 2022. Les commissions chargées de la mise en œuvre sont en train de poursuivre leur travail. La démarche pour faire prospérer une stratégie nationale de réconciliation est toujours en vigueur. Nous passons un cap qui était relativement difficile, nous allons maintenant dans une autre phase qui consiste à faire ressortir que le procès n’est pas un règlement de compte, il n’est pas contre qui que ce soit. Ce procès, c’est pour une meilleure gouvernance du pays. Il y a des lignes rouges qui ont ainsi été sanctionnées. La réconciliation nationale, dans la phase actuelle, est la plus opportune pour cicatriser les blessures et permettre de faire ressortir que le temps de la gestion politique de l’après-procès est engagé.
Certaines victimes expriment tout de même des inquiétudes de ne pas pouvoir entrer en possession des mesures de dédommagement prononcées en leur faveur, dès lors que ce sont les condamnés qui les paieront. Que leur dites-vous ?
L’État guinéen est en train de réfléchir et d’envisager la meilleure approche qui permettra de résoudre ce problème. Je dois indiquer qu’en dehors même du procès proprement dit, les recommandations des assises nationales qui ont été validées par le Général Mamadi Doumbouya et le CNRD mettent en place des politiques de réparation et de compensation pour les victimes. Donc, en dehors du procès, il y a une indispensable nécessité pour la puissance publique d’inscrire dans son action les démarches de réparation et de compensation. Le plus rapidement possible, nous allons examiner les voies et moyens pour que cela puisse être concrétisé après les procès et les verdicts qui seront définitifs. A partir de ce moment-là, en toute connaissance de cause, de procéder à des réparations et à des compensations dans un cadre général et global vis-à-vis de toutes les victimes qui ont été enregistrées dans l’histoire récente de la République de Guinée.
En attendant quel appel auriez-vous à lancer à l’endroit des guinéens après ce verdict ?
Une société évolue à travers des épreuves. Le massacre du 28 septembre 2009 était une épreuve, la Guinée a connu d’autres épreuves tragiques, la tenue du procès était une autre épreuve que l’Etat avec l’ensemble des institutions et la société guinéenne a pu gérer. Donc, nous passons à une autre phase de l’histoire de ce pays qui permettra d’ajuster, de corriger et de prendre en compte de nouvelles dimensions qui permettront de rassurer les uns et les autres que la conscience collective prendra en compte les leçons qui ont été enregistrées, aussi bien par le massacre que par la tenue du procès.
Donc, c’est un pari pour l’avenir à travers une pédagogie, le reste c’est un travail collectif qu’il ne faudra pas négliger de la part des institutions tout comme de la part des citoyens pour que nous puissions progresser et tourner la page définitivement à une certaine forme d’impunité et de banalisation de la vie humaine. Je dois rappeler qu’à ce niveau-là, dans l’avant-projet de la constitution, il y a un aspect essentiel qui a été souligné : la sacralité de la vie humaine. C’est un point fondamental. Ce n’est pas un vain mot. C’est un aspect extrêmement important dans un environnement où des fois la vie humaine a été fortement banalisée.
A suivre !
Entretien réalisé par Boubacar 1 DIALLO
Pour Africaguinee.com
Créé le 3 août 2024 18:28Nous vous proposons aussi
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