Tout sur la crise cardiaque, une urgence de santé publique en forte progression chez les jeunes : Les conseils du Pr Dadhi Baldé, spécialiste en cardiologie…

CONAKRY- La crise cardiaque, également connue sous le nom d’infarctus du myocarde, est en forte progression en Guinée. Selon une étude menée par le service de cardiologie en 2024, les statistiques révèlent qu’environ 17% des cas consultés concernent des crises cardiaques. Un chiffre alarmant qui place cette maladie parmi les urgences de santé publique majeures du pays.
Dans une interview accordée à Africaguinee.com, le Pr Agrégé Mamadou Dadhi Baldé, spécialiste en cardiologie, a expliqué les causes, les symptômes, les traitements et les stratégies préventives pour lutter contre cette pathologie qui, en plus des personnes âgées, touche de plus en plus les jeunes. (Interview)
AFRICAGUINEE.COM : Professeur, parlez-nous de la crise cardiaque…
Pr Agrégé MAMADOU DADHI BALDÉ : La crise cardiaque, on peut dire que c’est la première urgence cardiologique. Elle survient quand il y a un blocage du sang au niveau d’une des artères du cœur. Si ce blocage persiste, il entraîne une destruction des cellules du cœur. On parle de nécrose myocardique, si on peut parler en termes techniques. On parle d’infarctus myocardique et si on veut utiliser le terme récent, on parle de syndrome coronarien aigu. Donc, c’est vraiment une urgence cardiologique.
Quelles sont les causes de cette maladie ?
Cette maladie a des causes multifactorielles. Les facteurs qui peuvent favoriser la survie d’une crise cardiaque, c’est d’abord l’hypertension artérielle. Ensuite, le diabète, l’excès de cholestérol, l’excès de poids, le tabagisme actif et la consommation excessive d’alcool. Ce sont ces facteurs qui favorisent le développement de ce qu’on appelle l’athérosclérose, c’est-à-dire qu’il y a un dépôt de graisse au niveau des artères du cœur, entraînant le rétrécissement. Parfois, c’est un caillot sanguin qui se forme, qui se détache et qui obstrue l’artère. Ce sont des facteurs favorisants.
Quelles sont les symptômes d’une crise cardiaque ?
La crise cardiaque, c’est d’abord la douleur au niveau de la poitrine. Quelqu’un qui fait une crise cardiaque, il a mal à la poitrine. C’est une douleur qui est intense, qui est prolongée, qui irradie au niveau de la mâchoire, au niveau des membres, au niveau du ventre. C’est la forme la plus classique. C’est une douleur qui résiste même à la morphine. Vous savez que la morphine, c’est l’antalgique le plus puissant. Ça ne marche pas avec la morphine. Ça, c’est la forme classique.
Mais il y a parfois des formes qui sont trompeuses. Des gens qui viennent, ils ont mal plutôt à l’estomac. Et souvent, c’est des gens, il y en a aussi qui ont fait un traitement. Chez certaines personnes, notamment les diabétiques, les femmes ou les sujets âgés, la douleur est moins intense. Donc, on ne pense pas en premier lieu à la crise cardiaque. De sorte que, devant toute douleur, surtout si elle survient chez quelqu’un qui est hyper tendu, qui est diabétique, qui a un excès de poids, un excès de cholestérol, il faut rapidement conduire cette personne au niveau de l’hôpital. Parce que souvent, on dit que c’est la gastrite et le malade arrive trop tard. Donc, il faut l’amener à l’hôpital.
Une fois à l’hôpital, on va se faire examiner et on va faire ce qu’on appelle un électrocardiogramme qui enregistre l’activité électrique du cœur et qui permet de poser le diagnostic, de situer à peu près l’artère qui est bouchée et éventuellement de retrouver des complications si elles sont déjà installées. C’est un examen simple qui permet de le faire.
Quelle est la différence entre la crise cardiaque et l’arrêt cardiaque ?
Quand on parle de crise cardiaque, c’est l’obstruction des vaisseaux. Il y a un vaisseau qui est obstrué, de sorte que le sang n’arrive pas suffisamment au cœur, ce qui entraîne, comme j’ai dit, la destruction des cellules du cœur. Maintenant la complication, si la personne n’est pas prise en charge rapidement, il se produit ce qu’on appelle un arrêt cardiaque. En fait, le terme qui est le plus approprié, on parle d’arrêt cardio-respiratoire. Parce qu’en fait là, le cœur ne bat plus, il tremble. Parce que la cadence est très rapide de sorte qu’il n’y a pas de sang qui arrive au niveau du cœur, au niveau du cerveau, au niveau de tous les organes vitaux. Donc c’est un arrêt de la circulation sanguine au niveau de tous les organes vitaux.
Cette personne, vous la trouvez, elle est inerte, elle est inconsciente, elle ne respire plus. Vous regardez, vous trouvez qu’il n’y a pas de pulsation au niveau des artères, il n’y a pas de respiration. C’est également une extrême urgence, il faut rapidement se mettre devant cette personne-là, il faut essayer de faire, si on est ailleurs, c’est d’appeler rapidement les secours, en attendant de faire ce qu’on appelle un massage cardiaque extrême, avant l’arrivée des secours.
Pour faire simple, quand on parle de crise cardiaque, c’est un problème de vaisseau bouché. La conséquence de ce vaisseau bouché, c’est l’arrêt cardiaque. L’arrêt, c’est l’arrêt de la circulation, de la respiration. Tous les arrêts cardiaques ne sont pas dus à des problèmes cardiaques. Quand il y a une noyade, quand il y a une électrocution, quand il y a une intoxication à certains médicaments, quand il y a une hypothermie grave, quand il y a une hémorragie importante, ils peuvent aboutir à un arrêt cardiaque. C’est la principale cause de l’arrêt cardiaque, mais il y a des arrêts cardiaques qui sont d’origine extracardiaque.
Existe-t-il un moyen de traitement ?
Bien sûr ! Quand une personne fait une crise cardiaque, il faut rapidement l’amener à l’hôpital, faire un électrocardiogramme et d’autres examens. Une fois le diagnostic posé, il faut l’hospitaliser. Là, il y a deux possibilités. On peut détruire le caillot par des médicaments, c’est la voie médicamenteuse. On donne ces médicaments-là, il y en a qu’on donne rapidement si la personne arrive dans les six premières heures, ça permet de lever l’obstacle. Ensuite, il y a une suite du traitement.
De plus en plus, quand ces personnes arrivent à l’hôpital, on fait ce qu’on appelle une coronarographie. C’est la radio des artères du cœur. Si on fait cette radio, ça permet de situer le niveau de la lésion et on peut déboucher l’artère. Ça s’appelle une angioplastie coronaire. C’était une technique qui n’était pas possible dans notre pays, mais de plus en plus elle se fait ici, il y a un centre au niveau de la caisse on peut faire ce type de gestes.
Quelle est la tranche d’âge la plus touchée ?
Au début, c’est un sujet un peu âgé. Après la cinquantaine, ce sont les personnes les plus touchées. Mais vous savez, de plus en plus, les gens fument très tôt. Les gens consomment des substances illicites. Donc il y a de plus en plus de jeunes qui font des crises cardiaques. On a réalisé un travail il y a quelques années. C’était ce type de crise chez les sujets de moins de 50 ans. On a trouvé qu’il y avait 19% de sujets qui avaient moins de 50 ans. On avait trouvé qu’il y avait 22% de femmes. Donc, ça peut atteindre tout le monde. Et c’est surtout les sujets, après 50 ans, qui sont les plus touchés.
Quelles sont les moyens de prévention de cette maladie ?
Il faut prévenir les facteurs qui favorisent. Traiter correctement l’hypertension artérielle, traiter correctement le diabète, l’excès de cholestérol, arrêter de fumer, pour ceux qui fument, perdre du poids, pour ceux qui ont un excès de poids, avoir une activité physique régulière. En fait, vivre sainement et avoir une alimentation riche et équilibrée.
Quand on est atteint de cette maladie, on peut observer le jeûne de Ramadan ?
Ça dépend, comme je l’ai dit. Parce qu’en fait, si vous avez un traitement pour lequel il faut prendre des médicaments matin, midi et soir, il va sans dire que vous ne pouvez pas jeûner parce qu’il faut les prendre. Et ceux qui dérogent à cette règle-là, qui disent non, non, non, moi je tiens à faire le Ramadan, c’est sûr qu’ils puissent avoir des complications pendant cette période-là. Sinon, si on les prend, si vous avez des médicaments à prendre matin et soir, vous les prenez, ça va être comme tout autre sujet qui fait le Ramadan. Il n’y aura pas de conséquences.
Est-ce qu’il y a des statistiques chez nous ?
Oui, bien sûr. Quand le service de cardiologie a été ouvert, depuis les années 1980, c’était moins de 1% des personnes qui venaient, qui avaient ce problème de crise cardiaque. On a réalisé une étude au début des années 1990. On a trouvé qu’on était déjà à 4%. Et les statistiques de 2024, on est à 17%, ça, c’est ceux qui viennent à l’hôpital. Et assez souvent, on apprend qu’une personne qu’on avait vu la veille, elle ne s’est pas réveillée. On dit souvent qu’elle a fait une crise cardiaque, il y a beaucoup de personnes qui meurent avant d’arriver à l’hôpital.
Le message à faire passer, c’est que quand quelqu’un a mal à la poitrine, quand quelqu’un a mal à l’estomac, et que la prise de médicaments classiques, tout ce qui est oméprazole et autres ne marche pas, il faut amener cette personne à l’hôpital d’autant plus que cette personne a un certain âge, cette personne a de l’hypertension, a du diabète, a un excès de poids, il faut l’amener à l’hôpital pour ne pas passer à côté de cette maladie. Il se dit que non-traité rapidement, elle aboutit à l’arrêt cardiaque.
Vous savez quand quelqu’un meurt, dans l’heure qui suit le début des symptômes, on parle de mort subite. Ça, c’est le terme qui sied. Maintenant, 90% des morts subites sont d’origine cardiovasculaire. Sauf que les gens prennent un raccourci et disent que c’est une crise cardiaque. Il peut y avoir d’autres causes.
Malheureusement, chez nous, on ne fait pas d’autopsie. Sinon, en faisant une autopsie, on aurait pu se rendre compte. Mais c’est quand même un problème. Ceci, parce que les gens négligent. Vous avez vu, -et c’est dommage-, des gens qui font des publicités pour dire qu’ils peuvent guérir l’hypertension, qu’ils peuvent guérir le diabète, alors que même dans les pays les plus avancés c’est un traitement à vie. C’est des maladies qui sont souvent asymptomatiques. Donc, on peut vous dire, ‘’non, moi ma tension, quand elle monte, je me rends compte’’. Donc, on abandonne son traitement. ‘’Non, ma glycémie moi, j’ai vu quelqu’un qui m’a donné tel médicament je prends, je n’ai plus besoin, je ne suis pas diabétique’’. De sorte que les gens négligent et développent des complications à bas-bruit parmi lesquelles cette crise cardiaque.
Donc, à partir du moment où vous avez certaines maladies, il faut suivre ce que les standards internationaux préconisent, c’est-à-dire un traitement à vie.
Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui font recours aux médicaments traditionnels ?
On ne nie pas que notre médecine traditionnelle est vertueuse. Le problème, c’est que ce n’est pas codifié. Tout ce que nous, nous savons, c’est que le Centre de recherche des plantes médicinales de Dubréka, en collaboration avec les services de cardiologie, de neurologie, de néphrologie a mis au point des médicaments. Ces médicaments, il y a un qui traite l’hypertension artérielle qu’on a appelé Guinex HTA, extrait de plante qui a été testé en Guinée et ailleurs et qui a prouvé son efficacité vis-à-vis de l’hypertension artérielle.
Il se peut que des médicaments issus de notre pharmacopée traite l’hypertension, mais ils ne peuvent pas guérir l’hypertension. Ce qu’on peut conseiller, c’est de se mettre à disposition, parce qu’en fait, ce produit qui a été fait au centre de Dubréka, c’est sur la base d’enquêtes ethnobotaniques. On a vu, parmi les propositions, celles qui pouvaient faire baisser la pression artérielle. Donc, il faut se mettre à disposition pour qu’on essaie de valoriser notre flore. Mais sans études préalables, on ne peut pas conseiller à quelqu’un de prendre tel médicament, surtout pour guérir. On peut peut-être prendre pour faire baisser, mais il faut savoir que si vous décidez de le faire, il faut le prendre tous les jours.
Je veux dire que les maladies cardio-vasculaires sont en forte progression dans notre pays. Elles le sont parce que nous avons changé notre mode de vie et notre régime alimentaire. Vous prenez le village le plus reculé de notre pays, les gens, ils mangent le riz importé. Alors qu’avant, on mangeait ce que nous produisions. Vous avez vu que les gens, de plus en plus avant, il fallait faire 500 mètres pour aller prendre le taxi. Maintenant, c’est devant votre porte que le taxi motard vient vous prendre et vous ramène.
Il n’y a pas d’exercice physique. Vous avez vu qu’on fume de plus en plus jeune. Vous avez vu que la consommation d’alcool, on est dans un pays certes musulman, mais elle devient galopante. Vous avez vu que nous sommes tous stressés parce que nous voulons avoir tout et tout de suite. Donc tous ces facteurs font qu’on développe ces maladies chroniques-là qui font le lit de l’hypertension.
Donc il faut qu’on essaie de revenir à des pratiques plus saines, que l’on mange ce que nous produisons, que l’on mange plus sainement et c’est avec ça qu’on pourra venir à bout de ces maladies cardiovasculaires. Sinon ça va être vraiment la pandémie de ce siècle avec toutes les conséquences qui en découlent. Donc on peut les prévenir en changeant notre mode de vie et en changeant nos habitudes alimentaires.
Interview réalisée par Yayé Aicha Barry
Pour Africaguinee.com
Créé le 12 mars 2025 06:55Nous vous proposons aussi
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