Recrudescence du viol en Guinée : Les causes et les moyens de prévention, selon un criminologue

Manifestassions en Guinée contre le viol, image d’archives

CONAKRY-Le viol devient récurrent en Guinée. C’est même devenu un fléau. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce phénomène ? Comment y remédier ? Africaguuinee.com a interrogé M. Nourdine Bangoura, professeur de criminologie, chargé de cours sur les cas de viol à l’université générale Lansana Conté. L’universitaire dit tout sur le viol en Guinée. Entretien exclusif !!!

AFRICAGUINEE.COM: Ces derniers temps, nous assistons à une recrudescence des cas de viol en Guinée. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?

Professeur NOURDINE BANGOURA : Je confirme que c’est un constat réel. Ces dernières années, le phénomène de viol connait une récurrence totale en Guinée et plus particulièrement dans les communes de Conakry. C’est un phénomène qui constitue une véritable préoccupation à tous les niveaux. Le plus grand paradoxe est que le viol devient de plus en plus une réalité vécue, acceptée et même cachée par bon nombre de personnes dans les quartiers plutôt qu’il soit un fléau à combattre complètement.

Ce phénomène s’explique par facteurs dont entre autres : l’inefficacité des sanctions pénales, l’exploitation des jeunes filles dans le petit commerce qui les expose, le silence total des victimes ou de leurs parents mêmes pour éviter la marginalisation sociale de leurs filles ou familles, l’absence totale de comités de lutte contre le viol dans les écoles, l’analphabétisme ou la déscolarisation des jeunes filles, le manque d’éducation sexuelle dans les programmes scolaires,  la prolifération et l’utilisation excessives des drogues et stupéfiants, le manque de centre de prise en charge psychologique en vue du traitement des agresseurs sexuels, l’exagération et le manque de réglementation des centres de loisirs, des activités ludiques.

A ces nombreux facteurs s’ajoutent le manque de politique de sensibilisation de la part des autorités, le manque de suivi des filles dans les quartiers, le mode vestimentaire extravagante et la fréquentation de lieux risqués ou criminogènes par certaines filles.

De notre constat, la plupart des violeurs sont des adultes. Selon vous, qu’est-ce qui les y pousse ?

Retenez bien qu’il n’est pas aisé de déterminer la tranche d’âge la plus représentée dans le viol dans nos communes urbaines. Donc, on ne peut pas dire aussi facilement que les adultes représentent le plus grand pourcentage d’auteurs de viol si on ne veut pas spéculer ou supposer la constatation. En effet, dans l’étude de la délinquance sexuelle, le viol en particulier, l’âge est considéré comme un facteur influent. Tout comme chez les victimes, il y’a quatre (4) tranches d’âge d’agresseurs :

– Les mineurs de 12 à 17 ans ;

– Les jeunes de 18 à 39 ans ;

– Les adultes de 40 à 59 ans ;

– Les vieux de 60 ans et plus.

Ainsi, l’influence des tranches d’âge varie selon les deux aspects du phénomène (viol caché et viol déclaré). En effet, dans l’évolution des viols déclarés, les mineurs de 12 à 17 ans sont bien représentés avec un taux de 15,67% et les vieux de 60 ans et plus représentent un faible taux (1,69%). Alors que dans l’évolution des viols cachés, les mineurs de 12 à 17 ans ne participent pas du tout et les vieux de 60 ans et plus représentent un taux important de 31,80%. Ce qui veut dire que les tranches d’âge des agresseurs sont plus influentes dans le viol déclaré que dans le viol caché. Cela fait qu’il y a une différence entre l’âge criminogène dans l’évolution des viols déclarés (les agresseurs âgés de 12 à 59 ans) et l’âge criminogène dans l’évolution des viols non déclarés ou cachés (les agresseurs de 18 à 59 ans).

Néanmoins, les résultats de notre étude montrent que « les jeunes de 18 à 39 ans » sont les plus représentés parmi les agresseurs, soit un taux de 67,37% dans l’évolution des viols déclarés et 43,60% dans celle des viols non déclarés. Cette tranche d’âge constitue « l’âge criminogène critique » des agresseurs de l’évolution des viols déclarés ou non déclarés.

Ainsi, le taux très élevé de l’âge criminogène critique (18 à 39 ans) des auteurs de viol, s’explique par la force et la vigueur caractérisées par l’usage de la violence lors du passage à l’acte. Or, dans la plupart des cas de viol, le délinquant sexuel use de la violence pour agresser sa victime. Cela est expliqué par la théorie du noyau central de la personnalité criminelle de Jean Pinatel : la violence ou l’agressivité est l’élément ultime qui déclenche le passage à l’acte criminel. Donc, les agresseurs de 18 à 39 ans sont plus représentés dans le processus de l’évolution du viol parce qu’ils sont forts et rigoureux. Par conséquent, ils sont plus disposés à user de la violence.

Un autre facteur qui explique l’influence de la tranche d’âge (18 à 39 ans) dans l’évolution du viol, est que cette tranche d’âge est beaucoup plus favorable à l’agression du fait qu’elle correspond à la période de célibat : une étape de vie caractérisée par  l’irresponsabilité sociale et conjugale et la carence de relations sexuelles normales qui ne servent pas de barrière aux agresseurs célibataires alors que ces situations empêchent souvent les agresseurs mariés et divorcés par leur statut et par rôle social.

Cette dernière analyse résulte de notre étude statistique sur la situation matrimoniale des auteurs de viol. Selon cette étude, les agresseurs célibataires représentent 46,99%, les agresseurs mariés 32,70% et ceux qui ont divorcé 20,34%. Vous pouvez le constater dans mon mémoire de Master  » L’évolution de la délinquance sexuelle en milieu urbain. Cas du viol dans la Commune de Ratoma de 2016 à 2020  » Bibliothèque de l’UGLCS-C, juillet 2022.

Certains auteurs de viol tuent même leurs victimes. Pourquoi le font-t-ils selon vous ?

C’est effectivement un constat que certains agresseurs tentent d’assassiner leurs victimes. En effet, dans notre étude sur le viol en milieu urbain, nous avons traité la fréquence des formes de viol souvent rencontrées dans les quartiers de Conakry. Ces formes sont entre autres selon leur pourcentage :

– Viol simple (20,94%); – Viol et séquestration (2,37%); – Viol sur mineure (28,06%); – Viol et blessure (16,20%); – Viol collectif (2,37%); – Viol du groupe de victimes (1,18%); – Viol (25,29%); – Viol et meurtre (1,18%); – Autre forme de viol (2,37%).

Comme on peut le constater dans cette analyse stratégique, le viol suivi de meurtre représente un taux de 1,18 %. Parmi les facteurs qui expliquent le viol suivi de meurtre, on peut citer le fait que l’auteur de ce viol pense que sa victime peut le dénoncer et préfère donc de la réduire en silence en l’assassinant. Cela pour empêcher la victime de le dénoncer.

Selon vous que faut-il faire pour éradiquer le viol en Guinée ?

Pour remédier à ces cas de viol dans notre pays il suffit de lutter contre les facteurs que nous avons cités ci-haut. C’est une stratégie d’actions préventives que nous appelons dans notre étude, la prévention sociale. C’est une approche qui consiste à réduire les facteurs de risque ou facteurs criminogènes sans pour autant négliger les mesures médico-psychologiques qui consistent le traitement de la personnalité délinquante des agresseurs sexuels. En plus, il faut appuyer et développer l’enseignement de la criminologie dans les universités guinéennes pour favoriser une compréhension scientifique du phénomène, favoriser l’étude sur le viol et multiplier les structures de collecte de données sur le viol.

Entretien Réalisé par Mamadou Yaya Bah 

Pour Africaguinee.com

Créé le 24 décembre 2024 12:37

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