Rebondissement dans le dossier des atrocités de 2009 : Les révélations de Me Zézé Kalivogui sur l’inculpation du colonel Bienvenue Lamah…

CONAKRY-Inculpé pour des faits présumés de « complicité d’assassinat, d’enlèvement, de meurtre, de viol de coups et blessures volontaires », dans le dossier des atrocités de 2009, le colonel Bienvenue Lamah va comparaître désormais devant le tribunal criminel de Dixinn. Une ordonnance de renvoi pour son jugement a été émise par un juge à cet effet.

Bien qu’aucune date n’a été pour le moment fixée pour l’ouverture du procès, son avocat affûte ses armes pour cette nouvelle bataille judiciaire. Pour parler de ce nouveau rebondissement dans le dossier du massacre du 28 septembre 2009, nous avons interrogé Me Zézé Kalivogui, avocat de cet officier de la gendarmerie nationale. Il fait des révélations croustillantes sur cette procédure. Entretien exclusif !!!

AFRICAGUINEE.COM : Votre client, le colonel Bienvenue Lamah a été renvoyé devant le tribunal criminel de Dixinn pour son procès. Comment en est-on arrivé là ?

MAÎTRE ZÉZÉ KALIVOGUI : Nous avons reçu une notification tout récemment, pour indiquer que notre client est renvoyé devant le tribunal criminel de Dixinn. Pour mémoire, il s’agit d’une procédure qui a été introduite par le parquet de Dixinn sur ce qu’ils ont appelé charges nouvelles. Il vous souviendra qu’en 2011 déjà, le colonel Bienvenue Lamah a fait l’objet de jugement devant le pool des juges d’instruction. Il avait bénéficié à l’époque d’un non-lieu. Ce non-lieu a été confirmé à la cour d’appel. De la cour d’appel, le dossier est allé à la cour suprême. Le non-lieu a été confirmé. Donc, il y a eu un arrêt qui a été rendu au niveau de la cour suprême. Ce qui a permis l’ouverture du procès du 28 septembre. A ce niveau, on a considéré que l’instruction est close. Les personnes qui étaient indiquées dans l’ordonnance de renvoi étaient celles-là qui devaient faire l’objet de jugement. Dans ce procédé, il y a eu deux personnes qui avaient bénéficié d’un non-lieu. Il s’agit bien évidemment du colonel Bienvenue Lamah et le général Mathurin Bangoura qui était à l’époque le gouverneur de la ville de Conakry.

Colonel Bienvenu Lamah

Que reproche-t-on à votre client ?

Selon ce qui est dit, il lui est reproché d’être complice des infractions qui sont reprochées à ceux-là qui ont été jugés (en première instance) pour le massacre du stade du 28 septembre. Donc, il s’agit des faits qui sont reprochés à des personnes qui ont comparu devant le tribunal criminel dans le cadre du procès du 28 septembre. Il est considéré comme complice en estimant qu’il a été le directeur du centre de Kaléa d’où les recrues seraient venues pour perpétrer le massacre au stade.

C’est suite aux dénonciations du commandant Toumba Diakité que votre client a été interpellé. Est-ce qu’il y a une confrontation entre lui et son accusateur ?

Justement, il n’y a jamais eu de confrontation, malgré la convocation du juge. Parce que le juge a convoqué les témoins à l’effet de comparer pour la confrontation. Ils ont refusé de venir. Maintenant, en l’espèce, si on veut être équitable, un témoin qui tient des déclarations aussi graves que les faits que nous sommes en train de parler, et qui refuse de répondre à la convocation du juge, la loi a aménagé cela. Quand un témoin refuse de venir, la loi le contraint à venir répondre, c’est-à-dire soutenir les déclarations ou les témoignages qu’il a contre Paul. C’est la loi qui le dit.

Mais pourquoi on veut appliquer la loi d’un côté ? Lorsqu’il s’agit du côté de M. Toumba, c’est comme si c’était un super accusé. Tout ce qu’il dit, on dit que c’est vrai. Tout ce que les autres disent, si c’est contraire à ce que M. Toumba dit, on dit que c’est faux. Donc le juge ne prend que ce que Toumba déclare. J’en ai pour preuve le contenu de l’ordonnance de renvoi qui vient de nous être communiquée. On fait référence aux déclarations de M. Toumba, lequel a refusé de venir à la confrontation. On fait référence aux déclarations de M. Soumaoro, lequel a refusé également de venir à la confrontation. Mais où est la justice ? La justice doit être transversale, c’est-à-dire doit être pour tout le monde. Mais en l’espèce, c’est comme s’il y a des personnes qui sont ciblées qu’il faut absolument atteindre quelle que soit la procédure qu’on met sur pied. Donc nous estimons que jusque-là franchement, on n’est pas en train d’assister à une justice, à un procès équitable.

Quelles ont été les conséquences de ce refus de confrontation pour votre client ?

Le juge n’a fait que clôturer le dossier.  C’est ce qui n’est quand même pas normal. Et dans son raisonnement, il ne s’est appuyé principalement que sur ce que les autres ont dit. Même sur ce que mon client a déclaré, malheureusement, n’a pas été pris en compte. Parce qu’il a expliqué qu’en l’espèce, et ça c’est fondamental, il y a eu deux camps, deux centres. Il y a le centre de Kaléa et il y a le centre de kilomètre 66. Il vous souviendra que monsieur Toumba, dans sa première intervention, avait parlé et avait accordé une interview à RFI. Nous avons tous entendu. Il a dit que des militaires, des recrues seraient venus de Siam. Alors, si vous réécoutez son interview là, il dit clairement que les personnes qui sont allées au stade, sont venues de Siam. Et Siam, c’est kilomètre 66. Maintenant, on a fait la diversion. Progressivement, on a abandonné la version de kilomètre 66 pour venir à Kaléa. Imaginez à Kaléa, les recrues ne sont arrivées là-bas qu’au mois d’août. Ils étaient en regroupement. Ils étaient en regroupement jusqu’à l’événement du 28 septembre. Et maintenant, dans les déclarations, dans les témoignages, on parle des commandos qui seraient venus de Kaléa. Comment pouvez-vous comprendre que des personnes, des recrues qui n’ont même pas commencé la formation, dans leur rang, on peut sortir des commandos bien formés, comme on l’a dit, qu’on équipe, à qui on donne des armes pour venir perpétrer le massacre ?

Contrairement aux recrues de Km 66 qui, eux, déjà avaient fait, je crois, quelque chose de huit mois, qui avaient déjà été immatriculés, et qui étaient déjà opérationnels. Et vous vous souviendrez qu’il y a eu une liste qui a été produite où M. Toumba a pris 26 personnes, 26 militaires de kilomètre 66. Et toutes ces preuves ont été produites à l’instruction, devant les juges d’instruction, mais il n’en a jamais fait cas.

Le procès devrait s’ouvrir bientôt. Comment préparez-vous sa défense ?

Vous savez, en matière correctionnelle c’est simple déjà. Le dossier se prépare dès sa réception. Surtout que nous sommes en matière criminelle. Même si le procès était programmé pour aujourd’hui, nous sommes suffisamment prêts, parce que vous avez en face de vous une personne innocente à qui on veut forcément rattacher une infraction. Parce que c’est bien en sa qualité, selon eux, de directeur du centre de Kaléa d’où seraient venues les recrues. C’est en vertu de cette qualité qu’il aurait donné des instructions alors qu’il n’en est absolument rien, parce qu’il n’a jamais été directeur du centre, il n’a jamais été directeur de stage… Vous savez, il y a ces trois paliers qu’il faut franchir pour être dans le rôle, pour être à même de donner des instructions. Il n’a été qu’un simple formateur, un simple instructeur à qui on donne un programme pour exécuter.

Quel est son moral ?

Colonel Bienvenue Lamah, est un peu singulier. Imaginez, depuis le 21 novembre 2022, il est en prison. Il ne m’a jamais dit que, maître, je ne me sens pas bien. Vous savez, la liberté, c’est dans la tête. C’est un monsieur innocent, donc lui, il est innocent dans sa tête. Sa seule préoccupation aujourd’hui, c’est de montrer aux yeux de tous qu’il est innocent. C’est un monsieur qui ne peut pas faire du mal, il ne peut même pas tuer une mouche. Il ne peut pas faire du mal à quelqu’un. Peut-être que la population de Mamou, puisqu’il y était il y a fait huit ans comme gouverneur, ils peuvent témoigner de façon honnête. Parce que la population guinéenne, malheureusement, parfois, certains citoyens ne cherchent pas à raisonner. Ils se positionnent, ils approuvent ce que Paul dit, selon que ce que Pierre dit, est de leur convenance. Ils ne cherchent pas à discerner et à décanter le faux du vrai. Donc, ils peuvent témoigner qui est ce monsieur ! C’est un cadre bien formé. Je vous informe qu’il a une médaille de la République française dans son dossier. Il y a des recommandations spéciales qui font qu’il ne peut évoluer que dans la formation. Donc, un monsieur comme ça, ne peut pas faire du mal à un citoyen.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du tribunal criminel de Dixinn ?

Eh bien, nous sommes comme cette femme enceinte qui a déjà perdu plusieurs grossesses, mais qui continue à croire que la grossesse qu’elle porte sera la bonne. L’espoir est permis. L’espoir est toujours permis ! Vous savez, la procédure avait déjà été annulée par l’une des chambres de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel de Conakry. Ces magistrats ont pris leur courage en deux, mais ils n’ont eu que pour source la loi et le serment. Nous pensons que cette femme qui est enceinte pense que l’accouchement sera concluant. Et que l’enfant qui va en sortir va avoir longue vie, va survivre. Donc, nous disons que devant le tribunal criminel, il va prouver son innocence aux yeux de la population, aux yeux des personnes qui le connaissent, qui l’ont côtoyé, aux yeux des personnes qui n’ont fait qu’entendre des choses sur lui et qui croient à ce genre d’accusation fortuite. Et vous savez, nous devons avoir peur du péché. C’est extrêmement important. On est humain. Le juge qui rend la décision, certes, la loi lui a permis de juger ses semblables, mais il ne faut pas qu’il oublie qu’il est jugé aussi par l’histoire et par Dieu.

Imaginez, en tant que même profane, que vous avez bénéficié d’un non-lieu, ce sont des décisions qui émanent de nos juridictions jusqu’à la Cour suprême. Et que sur la base de simples déclarations, on vient, on vous reprend pour les mêmes faits et on vous pose les mêmes questions que vous avez déjà répondues, et sur la base desquelles vous avez bénéficié d’un non-lieu. Et qu’au moment où le juge organise la confrontation, ceux-là qui ont fait ces accusations refusent de venir. En tant que juge à sa place, je considère ces déclarations comme des déclarations fortuites, des accusations, j’en tire toutes les conséquences. Dans ce dossier, M. Soumaoro qui s’est fait entendre sous anonymat comme témoin, sur la base d’ailleurs d’une procédure totalement irrégulière, parce que pour procéder à l’audition d’un témoin sous anonymat, il faut l’autorisation d’un juge saisi de cette demande par le procureur, parce qu’il n’y a seulement que le procureur qui peut engager, en fait qui peut requérir une telle procédure. Mais cela n’est pas fait. C’est le procureur en tant que partie principale, qui s’assoit dans son bureau, qui fait un document, qui signe lui seul, et sur la base de ça, on dit, ce sont les charges nouvelles, on engage une procédure, on prend le citoyen, on le met en détention. Cela s’est fait sur la base d’une procédure totalement irrégulière.

Mais ce que les gens oublient aujourd’hui, c’est que c’est l’ouverture de l’insécurité judiciaire. Parce que désormais, vous avez une ordonnance de non-lieu, jusqu’à la cour suprême, vous n’êtes pas à l’abri. Si vous avez des comptes à rendre avec le procureur sur quelques domaines, il peut se retirer encore dans son bureau pour faire un document, et vous poursuivre pour les mêmes faits. Ça veut dire qu’on est en train d’opposer la chose jugée et ce qu’on appelle les charges nouvelles, c’est-à-dire la reprise de l’information sur les charges nouvelles.

Ça veut dire qu’avec cette procédure, on pourra revenir éternellement sur des procédés qui sont déjà liquidés. Un autre aspect, sur le plan technique, imaginez que M. Toumba a fait des accusations, il a fait des déclarations à la barre, en audience publique, sur la base de ça, Colonel Bienvenue Lamah a été mis en prison. Les mêmes questions qu’on pose en audience publique, ce sont les mêmes questions qui sont discutées devant les juges d’instruction, où la procédure est secrète.

Techniquement déjà, ça ne va pas, parce que d’un côté, le secret de l’instruction est violé, parce que les faits sont discutés publiquement à la barre, de l’autre côté, il y a l’instruction qui est là, où la procédure est secrète. Voyez-vous que ça ne marche pas comme ça en matière de procédure pénale. C’est si lors de l’ouverture du procès du 28 septembre, qu’on se rende compte que l’ordonnance est incomplète, c’est-à-dire qu’il y a des personnes qui devaient être entendues, qui n’ont pas été, il reviendrait au procureur, ou à toute partie, de requérir un supplément d’information. Dans ce cas, c’est le dossier même qui quitte la barre pour revenir au cabinet d’instruction pour qu’il y ait ce complément d’information. Parce qu’on ne peut pas discuter en même temps. On publie le même dossier et l’instruit au cabinet d’instruction. Il fallait attendre après le supplément d’information que le dossier retourne à la barre devant les juges du jugement, statuer en matière criminelle. Mais dans le cas d’espèce, ce n’est pas ce qui a été fait.

Pour preuve, il y a déjà un premier jugement qui est fait, et le dossier est en appel. Pendant ce temps, il y aura encore l’ouverture d’un autre procès pour le même cas, ce qui n’est pas cohérent en matière de procédure pénale.

Êtes-vous confiant ?

Oui nous estimons que devant les juges criminels, le droit sera dit. Le problème, on ne peut pas aller ailleurs que devant nos juges. Donc, il revient à nos juges d’être suffisamment responsables et d’être suffisamment compétents, d’être suffisamment indépendants pour rendre justice, étant entendu que l’indépendance du juge se trouve dans sa tête. Et en l’espèce, les textes leur donnent cette indépendance. En plus des textes, l’entraînement a sensiblement été amélioré. Il n’y a plus place à invoquer un quelconque prétexte pour ne pas dire le droit, étant bien entendu que, depuis que je suis là, je n’ai jamais vu un président ou un chef d’État qui a convoqué un magistrat, parce que ce magistrat a rendu telle ou telle décision. Mais justement, quand on veut faire du mal aux justiciables, aux citoyens, on accuse l’autorité. Mais si la loi vous a donné votre indépendance, pour accompagner cette indépendance, vous êtes le mieux traité parmi les fonctionnaires guinéens. Quelle autre indépendance ou quel autre élément devez-vous chercher pour rendre saine justice ? Tout dépend de vous désormais. Nous disons qu’au-delà de ce dossier, Dieu existe !

Entretien réalisé par Dansa Camara DC 

Pour Africaguinee.com

Créé le 21 janvier 2025 12:51

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