L’avocat des victimes du régime d’Alpha Condé parle : « pourquoi nous avons saisi le Général Doumbouya… »

CONAKRY-La procédure judiciaire concernant le dossier des victimes sous le régime d’Alpha Condé est à l’arrêt. C’est ce qu’a déclaré Maître Thierno Souleymane Baldé, avocat à la Cour, président de l’Institut de recherche de l’état de droit et conseil de l’Association des parents victimes d’injustices pendant le régime déchu. Cette semaine, il a interpellé les plus hautes autorités du pays. Dans cet entretien accordé à Africaguinee.com, l’avocat donne ses raisons. Il prévient que quelque soit les obstacles, ils iront jusqu’au bout.
AFRICAGUINEE.COM: Tout récemment, vous avez alerté sur la procédure concernant les victimes du régime d’Alpha Condé. Pourquoi ?
MAÎTRE THIERNO SOULEYMANE BALDÉ : Nous avons cette alerte tout simplement parce que, depuis que les enquêtes préliminaires ont été initiées le 20 janvier 2023, jusqu’à maintenant, il y a eu beaucoup de parties civiles et d’accusés qui ont été auditionnés. Malheureusement, depuis un certain temps, il n’y a absolument aucun acte qui a été posé. Donc, face à une telle réalité, nous ne pouvions pas rester les bras croisés. Il fallait interpeller les autorités au plus haut niveau. Et nous savons que, devant cette réalité, c’est la présidence de la Transition qui peut décider si quoi que ce soit peut-être fait. Nous savons également que, dans ce dossier, il faut nécessairement qu’il y ait une volonté politique. C’est la raison pour laquelle nous l’avons interpellé, mais aussi le Premier ministre, chef du Gouvernement, le Ministre de la Justice et le Parquet Général près de la Cour d’appel de Conakry.
Combien de victimes sont-elles parties civiles dans cette affaire ?
Nous ne pouvons pas vous communiquer le nombre exact, mais il reste clair qu’il y a des centaines de parties civiles qui ont été auditionnées. Sur la liste des 26 personnes qui avait été transmise au niveau du Parquet de Dixinn, la plupart ont été auditionnées, sauf celle qui était à la Maison Centrale. Donc, nous attendions qu’il y ait un déplacement au niveau des officiers de police judiciaire afin de les entendre, pour permettre que le dossier soit transféré au niveau du tribunal de Dixinn afin d’ouvrir l’information judiciaire. Cela n’a pas été fait à ce stade et nous espérons que cela va vraiment se faire puisque c’est ce qui va permettre l’évolution normale de la procédure judiciaire.
La nomination de certaines personnes soupçonnées d’avoir commis certains actes constitue-t-elle un frein dans cette procédure ?
Non, pas du tout. Vous savez, nous ne nous faisons pas d’illusions. Dans ce genre de dossier, ce n’est pas juste au niveau de la Guinée. Rappelez-vous, aucune personne n’aurait pu imaginer que Hissène Habré puisse faire face à la justice. Un jour, c’était fait. Au-delà de lui, il y a d’autres cas ; rappelez-vous le procès de Klaus Barbie en France. Nous savons très bien qu’il faut beaucoup d’efforts et beaucoup de lutte pour permettre que les personnes concernées puissent être traduites devant la justice. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mais nous sommes prêts à mener ce combat. Quel que soit le sacrifice qu’il faudra faire, aussi longtemps que nous serons en vie, nous mènerons ce combat. Au niveau de la commune de Ratoma, il y a quelques mois, personnellement, j’ai déposé plus de 260 plaintes pour des cas d’assassinat. Les personnes étaient enterrées devant moi. J’étais à côté de leurs parents lors de chaque identification avant l’enterrement.
Ce sont des images que je ne pourrai jamais oublier. Les personnes qui ont soit commandité, qui ont soit tué ces personnes-là, il faudrait qu’elles puissent répondre devant la justice. Pas seulement pour ces victimes, mais pour éviter justement que l’impunité soit garantie dans notre pays, puisque c’est cela justement qui est le terreau de tous les crimes et délits que nous connaissons. Si nous voulons avoir une société apaisée, où les citoyens vivent dans la paix et dans la crédibilité sociale, il faut absolument lutter contre l’impunité. Il faut que la justice fasse son travail. Et c’est cela notre combat.
Souhaitez-vous qu’un mandat d’arrêt soit émis contre l’ancien président Alpha Condé ?
Mais bien sûr, il faut que cela se fasse. C’est la raison pour laquelle nous voulons que le dossier soit transféré au tribunal de Dixinn et qu’il y ait une information judiciaire. Si effectivement il y a un mandat d’arrêt qui doit être émis, il faudrait que ce soit avec un juge d’instruction. Donc, c’est la suite de la procédure qui va permettre que cela soit fait. Mais nous n’avons pas de sentiments. Les parents des victimes, qui sont encore là en train de mourir à petit feu, d’autres qui sont déjà morts, et on n’en parle pas. Nous luttons pour ces personnes-là.
Vous savez, le fait d’être au pouvoir ne vous garantit pas l’impunité totale. Non. Nous avons vécu ici le procès du dossier du 28 septembre 2009. On sait que ce sont ces personnes-là, hier, qui étaient au pouvoir. Ce n’est pas qu’au niveau de la Guinée. Donc, quiconque, une fois arrivé au pouvoir, pense qu’il va se maintenir en utilisant la violence et la répression, doit s’attendre un jour à répondre de ses actes devant la justice. Et nous, nous allons mener ce combat jusqu’au bout.
Quel est l’état d’esprit des victimes et des parents des victimes aujourd’hui ?
C’est la détermination, nous n’avons pas le choix. Il n’y a pas d’autre option. Non, il n’y a pas d’illusion. Nous savons très bien que ce n’est pas un combat facile. Nous en sommes conscients. Mais nous nous battons depuis des années. Ce n’est pas maintenant que nous allons baisser les bras. Nous nous battrons le temps qu’il faudra, aussi longtemps que nous serons en vie. Et si nous venons à mourir, d’autres personnes prendront la relève. Mais tant qu’il n’y aura pas de justice, le combat ne sera jamais abandonné. Ça, je vous le garantis.
Au-delà de tout cela, quel appel avez-vous à lancer aux autorités ?
Vous savez, une fois de plus, nous estimons que ceux qui sont au pouvoir doivent penser aux citoyens ordinaires, quel que soit leur statut social. Il faudrait que nous cultivions l’esprit du respect de la loi. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, s’ils veillent effectivement à ce que la justice fonctionne normalement, cela sera aussi à leur avantage. Nous voyons justement certains membres du gouvernement de M. Alpha Condé qui nous disaient publiquement qu’ils préféraient l’ordre à la loi. Ils disaient qu’il fallait envoyer l’armée à Bambéto pour mater leurs propres citoyens. Et nous savons aujourd’hui où ils sont. Ce n’est que le début, puisqu’ils sont actuellement poursuivis pour des crimes économiques. Nous les poursuivons également pour des crimes de sang. Je vous le dis, ils ne vont pas nous échapper. Ils devront répondre. Donc, quiconque est conscient de sa responsabilité devrait se dire qu’aucune personne n’est au-dessus de la loi indéfiniment.
Peut-être pour une certaine période, mais pas indéfiniment. Donc, tout ce que nous demandons, c’est que la justice soit rendue aux victimes, rien d’autre ; et dans un procès juste et équitable, nous ne voulons pas l’arbitraire. Lorsqu’il y a une audition de certaines personnes mises en cause, nous avons insisté dès le début pour que les avocats soient présents. Nous ne voulons pas d’une vendetta d’État. Nous voulons une justice au service des citoyens. Une justice équitable. Et c’est cela qui va nous permettre de tourner la page, de permettre aux parents des victimes de faire leur deuil. C’est cela le sens de notre combat.
Entretien réalisé par Mamadou Yaya Bah
Pour Africaguinee.com
Créé le 10 mai 2025 12:01Nous vous proposons aussi
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