Guinée: “la longévité au pouvoir n’a jamais servi le peuple”, selon Dr Faya

Faya Milimono, leader du BL

CONAKRY – De cinq ans, la future loi fondamentale prévoit désormais un mandat présidentiel de sept ans, renouvelable une seule fois. Le président du CNT (Conseil National de la Transition) Dr Dansa Kourouma qui l’a annoncé dimanche 29 juin 2025, a tenté de justifier ce changement par la nécessité d’accorder davantage de stabilité au futur dirigeant, afin qu’il puisse mener à bien ses projets et programmes. Nous avons recueilli la réaction du Dr Faya Lansana Millimouno, président du Bloc Libéral. Entretien.

AFRICAGUINEE.COM : Le président du CNT, Dr Dansa Kourouma, a annoncé que la durée du mandat présidentiel passe désormais de cinq à sept ans. Quelle est votre réaction ?

Dr FAYA LANSANA MILLIMOUNO : On dirait que les gens oublient notre propre histoire. Nous étions déjà dans le septennat en Guinée. En 2001, il y a eu un coup d’État constitutionnel qui a consisté à modifier certaines dispositions de la Constitution, notamment en supprimant la limitation des mandats, et en passant de cinq à sept ans. Mais cela, on semble l’avoir oublié.

Pendant la transition dirigée par le CNDD, nous avons décidé de ramener le mandat à cinq ans. Parce que, par principe, ce n’est pas le nombre d’années au pouvoir d’un président qui fait le bonheur d’un peuple. Il y a beaucoup de pays qui avaient des mandats de sept ans. La France, que nous avons souvent copiée, en est un exemple : le dernier président à avoir exercé un mandat de sept ans, c’est Jacques Chirac. Il a commencé par un septennat, mais son second mandat a été ramené à cinq ans.

Le Sénégal, notre voisin, avait aussi des mandats de sept ans. Mais ils les ont ramenés à cinq ans. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce n’est pas en restant dix ans au pouvoir qu’on assure le bonheur d’un peuple.

On dit parfois que si quelqu’un a de bonnes idées, cinq ans c’est peu. Mais si c’est un dictateur, sept ans, c’est trop ! Donc, c’est un faux débat. On aurait simplement dû maintenir le mandat à cinq ans.

En tout cas, je n’ai vu ni parti politique ni organisation sérieuse proposer que la durée du mandat passe de cinq à sept

Dans le cadre du programme Simandou 2040, ne pensez-vous pas qu’un mandat de 7 ans soit raisonnable pour permettre au futur dirigeant d’aller au bout de cette initiative ?

Ce n’est pas justifiable. Même dans les cas où des régimes dictatoriaux sont restés au pouvoir pendant plus de vingt ans, cela n’a pas nécessairement apporté le bonheur aux Guinéens. Le premier président a gouverné pendant vingt-six ans.

Aujourd’hui, le simple fait d’évoquer le nom de Sékou Touré divise encore les Guinéens, plusieurs décennies après. Lansana Conté, lui, a dirigé pendant vingt-quatre ans. Est-ce que cette longévité a fait le bonheur du peuple ? Je ne le pense pas. Cela ne se justifie en aucune façon, en réalité.

D’ailleurs, les exemples autour de nous montrent que la tendance est plutôt à la réduction de la durée des mandats. Des pays qui avaient des mandats de 7 ans sont passés à 5 ans. Même en Guinée, nous sommes passés de cinq à sept ans à un moment donné, avant de revenir à cinq ans.

Je ne vois pas ce qui pourrait justifier aujourd’hui qu’on reparte vers une présidence plus longue, alors même que la longévité n’a jamais été synonyme de progrès pour notre peuple.

Pensez-vous que le CNT a été influencé dans cette décision ?

C’est clair. Je peux vous dire ici que, la dernière fois, lorsque j’ai réagi dans vos colonnes, j’ai déclaré que je n’allais pas répondre à l’invitation de la Présidence au Palais Mohamed V, parce que le projet de Constitution ne comportait pas de limitation des mandats. Je savais très bien ce que je disais.

Le matin même du dépôt du projet, il y a eu une plénière au CNT, justement pour revenir sur ce point. Il y a eu clairement de l’influence. Et cette influence est allée jusqu’à des menaces envers certains conseillers. Je sais de quoi je parle.

C’est-à-dire ?

Je vais vous donner un exemple. Lorsque l’avant-projet a été publié, il n’était pas question de supprimer les dispositions de la Charte interdisant aux membres du CNT, du CNRD et du gouvernement de se présenter à l’élection présidentielle. Mais le jour où cette question a été débattue, l’atmosphère était électrique.

Oui, il y avait une tension palpable. Et lors du débat sur la suppression de la limitation des mandats, il y a également eu beaucoup de menaces. Nous savons donc que les travaux du CNT se déroulent sous pression.

Nous avons heureusement des représentants qui tiennent bon. Au Bloc Libéral, nous donnons des consignes claires à notre représentante : quelles que soient les pressions, elle doit rester fidèle à la ligne du parti. Et elle s’y tient. Mais nous suivons de très près tout ce qui se passe au sein du CNT. L’influence est énorme. Et nous, nous restons fermes sur notre position.

Alors, Docteur, qui menace qui, exactement ?

Dr. Faya Milimouno

Il est clair que c’est par le forcing que beaucoup de choses ont été adoptées au sein du CNT. Je sais de quoi je parle. Mais je tiens à rappeler ceci : Alpha Condé n’a pas respecté son serment. Les deux fois où il a été élu, il a juré de respecter la Constitution de 2010, affirmant qu’il ne prétendrait jamais à un troisième mandat. Il n’a pas tenu parole. Et cela a débouché sur un coup d’État.

De la même manière, à son arrivée au pouvoir, le président Mamadi Doumbouya a déclaré clairement qu’il ne serait pas candidat, et que ni les membres du CNRD, ni ceux du gouvernement, ni ceux du CNT ne le seraient non plus.

C’est un serment qu’il a prêté devant le peuple. Et s’il ne le respecte pas, ce serait exactement ce qu’Alpha Condé a fait. Alpha a eu besoin de changer de Constitution pour contourner les dispositions de celle de 2010, qui comportait des clauses d’intangibilité, notamment la limitation des mandats. En faisant adopter une nouvelle Constitution, il a dit : « C’est le premier mandat de la nouvelle République. » C’était clairement un coup d’État constitutionnel. Et c’est d’ailleurs ce qui avait motivé le coup d’État du CNRD.

Donc, si aujourd’hui, les dispositions de la Charte de la transition — qui fait office de Constitution provisoire — ne sont pas reconduites dans la nouvelle Constitution, cela signifie clairement que nous sommes à nouveau dans un processus de coup d’État constitutionnel. La vie politique en Guinée ne peut pas être une succession de coups d’État militaires, suivis de coups d’État constitutionnels, et ainsi de suite. Il faut que cela cesse. Il faut y mettre un terme.

Monsieur le Président du Bloc Libéral, d’après ce que vous avez pu lire à travers vos collaborateurs, êtes-vous prêt à appeler à voter “oui” pour l’adoption de cette Constitution, le 21 septembre prochain ?

Nous attendons d’abord de faire une lecture complète du projet de Constitution qui vient d’être déposé, car certaines choses peuvent avoir été modifiées à la dernière minute. Nous allons prendre le temps nécessaire, parce qu’il s’agit de l’avenir de la Guinée. On ne peut pas réduire l’avenir d’un pays aux ambitions d’un groupe. Ça, c’est clair.

Il faut que cela soit bien compris : la Guinée ne peut plus continuer à subir ce qu’elle a subi par le passé. Nous prendrons donc une décision en toute responsabilité, après avoir attentivement examiné toutes les dispositions de ce texte. Car en Guinée, il y a des précédents qui exigent aujourd’hui une vigilance extrême. On a vu Alpha Condé, non seulement changer de Constitution en 2020, mais après le vote, il a encore modifié près de 30 dispositions. Comme si ce pays pouvait être traité avec autant de légèreté. Nous, nous veillerons au grain. Et notre position, nous la prendrons en toute responsabilité.

D’après les informations dont vous disposez à ce jour sur ce projet de nouvelle Constitution, quelles pourraient être les conséquences s’il était adopté tel quel ?

La première conséquence, si ce projet est adopté sans reconduire certaines dispositions essentielles de la Charte de la transition, c’est l’ouverture à un coup d’État constitutionnel. Cela reviendrait à constitutionnaliser le non-respect du serment. Et si l’on en arrive à cela, on parle d’un État qui institutionnalise le parjure. Ce n’est pas anodin, c’est très grave.

Quelqu’un l’a déjà fait : il y a eu un coup d’État. Donc il ne faut pas que la Guinée entre dans un cycle sans fin de coups d’État — militaires ou constitutionnels. On en a assez. Ce pays a besoin de stabilité. Et c’est cette stabilité-là que le CNRD nous avait promise. Il avait été dit qu’on allait dépolitiser l’administration. Or, aujourd’hui, elle est plus politisée qu’elle ne l’a jamais été depuis l’indépendance.

Posez la question à n’importe qui dans les institutions de la transition : il n’y en aura pas 2 % qui vous diront que leur candidat n’est pas Mamadi Doumbouya. Pas un sur cinquante ! Et on va jusqu’à prétendre qu’on peut construire la paix en confiant l’organisation des élections à des gens qui, de fait, sont des directeurs de campagne pour Mamadi Doumbouya.

Directeur de campagne au sein de l’administration publique ? À qui faites-vous allusion ?

Aujourd’hui, tous ceux qui composent l’administration publique sont déjà, de facto, des directeurs de campagne. Il suffit d’écouter les discours tenus à Kankan, Kindia, Mamou, Boké, ou ailleurs. L’administration publique est devenue une machine de campagne pour Mamadi Doumbouya.

Et ça, ce n’est pas acceptable. On ne peut pas confier l’organisation des élections à un organe qui agit déjà comme une équipe de campagne. Cela ne se fait nulle part.

Certains osent comparer avec le Sénégal, où l’administration territoriale organise les élections. Oui, mais au Sénégal, il y a un État digne de ce nom.

On ne peut pas comparer la Guinée au Sénégal. Ce sont deux réalités totalement différentes. Là-bas, on a une administration publique compétente et professionnelle. Ici, ce sont des militants. À chaque changement de régime, les fonctionnaires deviennent des militants zélés du pouvoir en place. On ne devient pas préfet au Sénégal n’importe comment. Il faut passer par une école d’administration publique. Ce n’est pas le cas chez nous.

Avez-vous des preuves de dérives dans le processus électoral à venir ?

Oui, nous savons par exemple comment les kits d’enrôlement biométrique ont été distribués. Et le moment venu, nous ferons une communication détaillée à ce sujet, avec des preuves à l’appui. Nous voulons la paix dans ce pays. Nous y tenons profondément. Mais tout acte qui porte en lui des germes de crise ou de bouleversement doit être dénoncé à temps. Et c’est exactement ce que nous allons continuer à faire.

Après le référendum prévu le 21 septembre 2025, le CNT poursuivra ses travaux pour l’élaboration des lois organiques. Quel message avez-vous à adresser aux conseillers ?

Je pense que ce n’est pas aux conseillers qu’il faut s’adresser. Dans une telle situation, l’élaboration des lois organiques devrait se faire autour d’une table de dialogue, afin d’aboutir à un consensus national.

Ces conseillers ne sont pas des élus. Que ce soit les membres du CNRD, du gouvernement ou du CNT, aucun d’eux n’a été élu par le peuple. Ils n’ont donc pas la légitimité nécessaire pour décider seuls et encore moins pour faire les choses dans l’opacité ou l’arbitraire.

L’élaboration de ces lois doit se faire sur la base d’un consensus, dans un esprit d’ouverture. Mais si on continue à fonctionner de manière fermée, à faire les choses en catimini — ce que j’appelle du koutou koutou — alors, on ne prépare pas un avenir radieux pour la Guinée. Bien au contraire.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo 

Pour Africaguinee.com

Créé le 30 juin 2025 08:51

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