Enquête-Habitat : Pourquoi il est difficile de se loger à Conakry ?
CONAKRY- Selon les données de la Banque mondiale, la Guinée a un déficit de logement estimé à 1,4 million d’unités, avec une demande annuelle de 100 000 unités. L’étude réalisée par l’institution de Bretton Wood à travers la SFI (Société Financière Internationale) est intitulée “Analyse du marché du logement en Guinée”. Selon cette étude, la pénurie actuelle d’offre de logements et le manque de financement peuvent être attribués à des dysfonctionnements de l’écosystème clairement identifiables et pouvant être rectifiés.
La région métropolitaine de Conakry qui abrite un sixième de la population du pays connaît une croissance de 6,3 % par an concentre la majeure partie de ce déficit. Sous la pression de l’urbanisation et porté par l’absence d’offre de logements formelle, l’habitat informel s’est développé de manière exponentielle à Conakry, indique la Banque Mondiale.
Dans cette seconde partie de notre dossier axé sur les difficultés des citoyens à trouver un abri décent à Conakry, nous pointons le curseur sur les causes de ce casse-tête mais aussi le plan envisagé par les autorités pour abréger la « souffrance » des populations.
L’arnaque
A Conakry, les citoyens ont d’énormes difficultés à se faire loger. De la cherté du loyer entraînée par des spéculateurs mercantiles, à la stigmatisation, les démarches ennuyeuses ne manquent pas. Pour [facilement] se trouver un logement à Conakry, ils sont nombreux à faire recours comme M.S. Sow aux pages Facebook des nombreuses agences immobilières basées dans la capitale. Cependant, ce moyen est risqué selon certains parce qu’il n’offre aucune garantie.
“Le 14 août 2024, mon jeune frère a vu un appartement en location sur une page Facebook. L’appartement situé au deuxième étage comprend une chambre avec une douche interne, un salon et une cuisine. Étant dans le besoin, il a immédiatement contacté l’agent immobilier. Une fois sur les lieux, il trouve l’endroit convenable. Le démarcheur et 3 de ses collègues lui ont présenté quelqu’un comme étant le gestionnaire de l’immeuble. Tout de suite, celui-ci indique que l’immeuble appartient à son frère. Les trois autres démarcheurs connaissaient, selon eux, le gestionnaire des lieux. On lui fait visiter l’appartement. Il m’appelle pour m’informer qu’il a eu un bon endroit et m’envoie les photos que j’ai appréciées moi-même. Le démarcheur dit : si vous êtes prêts à prendre l’appartement, vous devez impérativement payer une avance aujourd’hui. Si vous ne payez pas, ils vont le donner à une autre personne prête payer cash. »
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Sur le champ, mon frère n’avait pas d’argent. Il a dû demander à un de ses amis de lui faire un dépôt pour payer les commissions des démarcheurs. Après cela, ils ont exigé une avance pour cinq mois afin de garder la maison. Mon frère leur a demandé d’attendre mon retour du travail le soir afin que je puisse voir et payer moi-même l’avance. Ils ont accepté. A mon retour aux environs de 18 heures, je suis allé sur les lieux avec mon jeune frère et un de ses amis. Le soi-disant gestionnaire a de nouveau ouvert les portes de l’appartement. Sur place, nous avons payé une somme de 5 millions de francs guinéens, équivalent de 5 mois de loyer. C’est ainsi qu’on a fait un écrit et il a promis de faire un contrat qu’on allait signer avant de recevoir les clés”, témoigne M.Sow.
Les jours suivants se sont révélés cauchemardesques pour M.S. Sow et son frère : “Le démarcheur appelle mon frère et lui a restitue la commission d’un million qu’il avait reçue en lui disant, comme vous avez versé la somme en guise d’avance à mon absence, je vous retourne votre argent. Mon jeune frère a immédiatement eu des doutes. Il est sorti sans m’avertir pour aller voir l’appartement. Arrivé, il a trouvé les travailleurs qui lui ont dit que le gestionnaire a fui avec notre argent, ainsi que celui de plusieurs autres personnes.”
A ces risques cités ci-haut dans la quête du logement, s’ajoutent les discriminations et la cherté des frais de loyer qui varient, selon les zones d’emplacement.
Le plan du Gouvernement pour résoudre la problématique du logement à Conakry
Le gouvernement compte faire face aux préoccupations des citoyens relatives à la problématique du logement en Guinée, à en croire l’Agence Guinéenne pour le Financement des Logements (AGUIFIL) . La démarche consiste à trouver des solutions efficaces au déficit de logements dans tout le pays. Pour réussir ce pari, il mise sur l’Agence Guinéenne pour le Financement des Logements (AGUIFIL) chargée de construire des logements sociaux. Déjà, le 18 janvier 2023, cette agence a livré les premiers logements sociaux dédiés à 32 fonctionnaires guinéens. Certes ce nombre parait petit aux yeux de certains, mais cette première livraison a permis à l’AGUIFIL de maîtriser le process de constructions des logements sociaux. Cette expertise acquise contribuera à livrer des logements sociaux en grands nombres les prochaines années, explique un travailleur de ce service de l’Etat.
“Nous nous apprêtons à recevoir très prochainement 280 logements construits sur le site de Sonfonia Lac. Ajoutés à cela, nous avons fait la réception technique de 10 villas de type f4 construit sur le même site de Sonfonia. Il faut dire qu’à ce niveau, l’Etat a été un peu laxiste par le passé concernant le secteur du logement. Cependant, nous essayons de rectifier le tir comme on le dit. Nous sommes en train de travailler avec le ministère de l’Urbanisme de l’habitat et de l’aménagement du territoire sur des textes de lois qui vont réglementer le secteur de l’habitat en République de Guinée”, explique Mamadou Sadialiou Diallo, responsable communication et relations publiques à AGUIFIL.
Mettre l’ordre dans le secteur du logement
“Dans les autres pays, il y a une réglementation en la matière. C’est ce qui nous a poussés récemment à élaborer un avant-projet de loi sur la professionnalisation du métier d’agent immobilier, qui fera que désormais, toute transaction immobilière ne peut plus se faire en dehors des services de l’habitat”, explique le ministre de l’Urbanisme, de l’habitat, chargé de la récupération des domaines spoliés de l’Etat.
Mory Condé ajoute que son département cherche à déconnecter totalement les techniciens de l’habitat. “L’habitat dispose désormais des chefs section domaine et cadastre au niveau des services de l’habitat, des services administratifs. Cela nous a amenés à la création récemment des guichets uniques du foncier, où les citoyens viendront en un seul endroit, faire toutes les démarches administratives sans être en contact avec un agent de service technique. Et, une fois le dossier déposé, il reviendra à ce service de faire l’interaction à l’interne pour pouvoir s’octroyer l’ensemble des documents (plans de masse, titres fonciers ou d’autres documents de propriété…)”.
Vers des réformes du secteur
Le ministre de l’Urbanisme et de l’habitat, chargé de la récupération des domaines spoliés de l’Etat, déplore la désuétude des textes relatifs au secteur de l’habitat. Selon Mory Condé, les textes de loi les plus récents dans le secteur de l’Urbanisme en Guinée, datent de 1992. Or, fait-il remarquer, les textes de loi sont faits pour une durée bien déterminée.
“En Guinée, 90% des dossiers pendants devant les juridictions, sont liés aux conflits fonciers et aux conflits domaniaux. C’est ce qui nous a amenés à nous atteler à des réformes institutionnelles, en élaborant une politique nationale foncière (ayant le code de gestion des problèmes liés au foncier en République de Guinée)”, explique-t-il.
Mory Condé évoque quatre composantes : la politique foncière agricole ; la politique foncière urbaine ; la politique foncière minière et la politique foncière industrielle.
“Aujourd’hui, il n’y a pas de différence entre les terres agricoles et les zones urbaines devant être réservées pour les habitations. Conséquences, les citoyens se lèvent, ils vont faire des lotissements des domaines agricoles ; on vient construire dans ces domaines ; deux ans, trois ans après, les petits enfants, les enfants de ces personnes n’ayant pas été associés à la cession de leurs domaines agricoles, viennent pour récupérer. Cela crée des conflits”, explique le ministre.
Comment mettre fin aux nombreux conflits ?
“La politique nationale urbaine permettra de différencier les terres urbaines des domaines agricoles. Elle permettra également de définir les terres destinées à l’installation des citoyens et les zones minières. Elle permettra également de faire un parallèle entre les zones industrielles et là où les habitants sont censés être installés. Mais à côté de cela, vous avez un schéma national d’aménagement du territoire qui date de 1991, qui n’a pas connu d’évolution. Donc, il faut élaborer le schéma national d’aménagement du territoire. C’est ce qui permet au ministère des travaux publics de dire, voici là où les routes nationales doivent passer et au ministère des télécommunications, de dire voici comment le réseau des postes et télécommunication doit être installé et guidé sur le territoire national”, précise M. Condé.
Selon la Banque mondiale, des investissements clés et le renforcement de capacités de certains acteurs fondamentaux pourraient permettre à la Guinée de démarrer une expansion rapide de sa production de logements abordables.
Enquête réalisée par Dansa Camara DC
Pour Africaguinee.com
Créé le 17 septembre 2024 11:15Nous vous proposons aussi
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