Dr. Abass Diakité : « Le retrait de l’aide américaine aura un impact direct sur la lutte contre le Sida en Guinée »

CONAKRY-Le Dr. Abass Diakité, figure clé de la lutte contre le VIH-Sida en Guinée, dresse un état des lieux nuancé des avancées du pays face à cette pandémie. Alors que la Guinée a réussi à stabiliser la prévalence du virus et à réduire les nouvelles infections, l’annonce du retrait de l’aide américaine, notamment via l’USAID et l’OnuSida, menace de compromettre des années d’efforts. Dans cet entretien le Secrétaire exécutif du Comité national de lutte contre le Sida (CNLS) alerte sur les conséquences sanitaires et financières de ce désengagement et appelle à une mobilisation accrue du gouvernement et des acteurs locaux pour compenser ce manque à gagner. Il souligne également l’importance d’une nouvelle loi visant à renforcer la prévention, le dépistage et à lutter contre la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Interview !!!
AFRICAGUINEE.COM : Parlez nous de votre institution?
DR. ABASS DIAKITÉ : Vous savez, la question du Sida a commencé à être connue dans le monde, beaucoup plus vers les années 80. C’était au départ un nombre très restreint, qui était infecté. Mais avec l’évolution du temps, on a compris que l’ampleur de la problématique du Sida était très considérable. Et malheureusement, il y a même des pays ou des villages qui ont totalement disparu à cause du Sida. Et ça a été constaté que cette maladie, c’est vrai que ça prend tout le monde, mais c’est surtout des bras valides. Donc, on a constaté que le problème du Sida n’est plus une question simplement de santé. Mais, si l’humanité ne fait rien, ça va compromettre le développement des nations. C’est pourquoi, les Nations Unies ont convoqué une assemblée extraordinaire où il y avait la présence de 189 pays membres pour statuer uniquement de la problématique du Sida.
Lors de cette rencontre, il a été compris que le secteur de la santé seul ne peut pas freiner la propagation du Sida. Il faut impliquer tout le monde. Et en impliquant tout le monde, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut créer des structures multisectorielles. Lors de cette assemblée générale des Nations Unies, tous les pays membres des Nations Unies, il a été recommandé, au retour de leur pays, de créer des structures multisectorielles du Sida. Et ces structures multisectorielles, les appellations variaient d’un pays à un autre. Dans certains pays, on parle du Comité national de lutte contre le Sida (CNLS), avec un secrétariat exécutif ou de Commission nationale de lutte contre le Sida. Dans d’autres pays, c’est le Conseil national de lutte contre le Sida. Et certains disent Secrétariat exécutif, et d’autres aussi disent Secrétariat permanent.
Donc, au retour de la délégation guinéenne, pour appliquer cette recommandation hautement importante, les spécialistes, les experts guinéens se sont retrouvés pour préparer les documents de création du Comité national de lutte contre le Sida. C’est ainsi qu’un décret du président de l’époque a été pris. D’abord, pour créer le Comité national de lutte contre le Sida, en 2002. Et dans ce décret de création, il a été dit que le Premier ministre doit prendre un acte pour parler des statuts de ce comité qui vient d’être créé, sa composition, ses attributions, etc. Effectivement, l’acte là a été pris. Et il a été aussi prévu qu’il y ait un secrétariat exécutif qui doit aussi mettre en œuvre toutes les recommandations, et aussi contribuer à la mobilisation et aux plaidoyers pour la mobilisation des ressources. Mais à l’époque, la gestion du Sida était très coûteuse. Un seul produit pouvait coûter plus d’un million. Donc, un guinéen ne pouvait pas. C’est pourquoi, il a été recommandé encore de rendre gratuit tout ce qui est lié à la lutte contre le Sida.
Quand je dis tout ce qui est lié à la lutte contre le Sida, souvent, on parle de quoi ? Premièrement, quelqu’un qui a le Sida, il doit être pris en charge gratuitement. C’est-à-dire recevoir ses médicaments gratuitement. C’est le premier élément. Le deuxième élément, un citoyen lambda, comme vous, comme moi, pour ne pas vivre avec le doute de connaître son statut chirurgique, est-ce que j’ai le Sida, est-ce que je n’ai pas le Sida, il doit avoir accès aux tests de dépistage gratuitement. Donc, tout le monde peut connaître ce qu’on appelle dépistage volontaire et anonyme. Parce que les agents de santé sont assermentés (…)
Quel est l’état des lieux actuel du VIH-Sida en Guinée ?
Nous pouvons dire que notre pays évolue bien en matière de lutte contre le Sida. Pourquoi ? Premièrement, nous sommes parvenus à stabiliser et même diminuer la prévalence du Sida au sein de la population. Alors que dans certains pays, la prévalence augmente. Et quand ça augmente, c’est un risque. Les nouvelles infections parviennent à diminuer au sein de notre pays. Et aussi les morts attribuables au Sida…, ça c’est extrêmement important. Parce qu’avant, dès qu’on dit qu’une personne a le Sida, c’est de croiser les bras, attendre la mort venir. Il n’y a rien à faire. Mais maintenant, c’est quand on veut que le Sida puisse te tuer. Sinon, le Sida ne peut plus tuer quelqu’un. Et le Sida ne peut plus empêcher quelqu’un de faire son travail, de vivre une vie positive normale. C’est-à-dire que si la personne prend correctement ses médicaments et attend, les médicaments sont disponibles, il n’y a pas de problème maintenant. Donc dans notre pays aujourd’hui, on a ce pouvoir.
Des difficultés? il y en a beaucoup. Parce que tout ce qu’on dit là, quand on dit que tout est gratuit, c’est que quelqu’un paye quelque part. C’est le gouvernement et ses partenaires qui se lèvent pour mobiliser les ressources et payer tout ce qu’il faut, former les agents de santé, construire et rénover les structures où la population peut venir pour prendre son médicament, la population peut venir pour faire son test, la femme enceinte peut être suivie pour ne pas qu’elle contamine l’enfant. S’il n’y a pas d’agents pour faire tout ça là, c’est un peu compliqué. Aujourd’hui, les ressources se raréfient non seulement à l’échelle nationale, mais surtout à l’échelle internationale.
Le 26 février 2025, l’administration Trump a annoncé une réduction massive de l’aide internationale américaine, notamment avec la suppression de 92 % des financements de l’USAID pour les programmes à l’étranger. Cette décision intervient-elle à un moment critique pour le programme national de lutte contre le Sida ?
Il y a beaucoup de structures qui vont être fermées. Par exemple, je regrette de vous dire qu’en Guinée, d’ici fin septembre, le bureau de l’OnuSida va être totalement fermé. Et l’OnuSida nous a apporté beaucoup financièrement, techniquement. Et sur tous les plans. Donc ça a une conséquence directe. Et même l’USAID, l’agence américaine pour le développement, moi j’ai travaillé là-bas avant d’être ici (au CNLS). Mais nos collègues qui sont là-bas aujourd’hui sont menacés parce qu’on va fermer le bureau. Et l’USAID intervenait dans beaucoup de domaines, mais surtout le domaine de la santé, il faisait beaucoup. Donc si le bureau est fermé, ça veut dire que le gouvernement fait beaucoup, mais doit encore augmenter ce qu’il fait. Parce que si la population a besoin du gouvernement, on est obligé de passer par mille moyens pour satisfaire la population. On évolue vers ça aussi.
Oui mais, quand vous dites que le gouvernement doit faire beaucoup, c’est en débloquant de fortes sommes pour financer?
Bien sûr que oui. C’est que, ce qui aidait beaucoup le gouvernement, quand il mettait quelque chose dans le panier, les partenaires eux il mettaient beaucoup plus dans le panier. Mais malheureusement, si ces partenaires n’en n’ont plus et se retirent, non seulement le gouvernement va faire face à ce qu’il avait l’habitude de faire, mais aussi ajouter ce que les partenaires faisaient au quotidien pour nous accompagner. Parce qu’il n’y aura pas d’accompagnement maintenant, on sera à nous-mêmes. Par exemple, aujourd’hui, l’un des plus gros bailleurs en matière de lutte contre le Sida, c’est le Fonds mondial. Mais le Fonds mondial aussi, c’est une institution qui est financée par différents pays, mais parmi les grands pays donateurs, on ne peut pas dire que les Etats-Unis sont à la tête, mais ils occupent une place très importante.
Donc, si les Etats-Unis se retirent du Fonds mondial, l’apport de l’institution surtout au niveau de la Guinée, va diminuer. Et il faut compenser obligatoirement parce que, quand un malade commence le traitement, c’est à vie. Il ne peut plus arrêter parce que les Etats-Unis ne donnent plus de financement. Cela veut dire qu’on met l’Etat devant une situation compliquée, difficile et qu’il faut se préparer dès maintenant pour faire face.
Docteur Diakité, à vous entendre, on a l’impression que vous êtes en train de dire que le gel de l’aide américaine va fortement impacter vos activités à Guinée?
Bien sûr! Cela a même commencé.
A quelles conséquences sanitaire faut-il s’attendre suite à cette décision ?
En matière de lutte contre le Sida les Etats-Unis intervenaient non seulement dans le traitement, dans la sensibilisation, aussi dans la prévention, ainsi de suite. Donc, avec leur retrait, ces appuis, ces apports vont considérablement diminuer parce que même aujourd’hui, l’Organisation mondiale de la santé est menacée. Alors que c’est une structure que les Nations Unies ont mise en place pour s’occuper de tout ce qui est santé dans le monde. Donc, l’impact, c’est à tous les niveaux.
Y a-t-il déjà des ruptures de services constatées sur le terrain ?
Comme la décision vient d’être prise, on ne peut pas dire à chaud qu’il y a une rupture. Mais ça va venir. Parce qu’on est organisé. Par exemple, si je prends le Fonds mondial, il y a un accord entre cette institution et la Guinée, depuis trois ans. Et nous sommes à un cycle dont les trois ans vont finir en 2026. Donc, on ne saura pas l’impact jusqu’en fin 2026. En ce qui concerne, par exemple, les apports de nos patients, tout est planifié, tout est calé, ainsi de suite. Mais pour la nouvelle planification, le bailleur s’est retiré. Donc, par exemple, si on avait 100 millions de dollars pour ce cycle-là, peut-être qu’au lieu d’avoir 100 millions de dollars, on n’aura que 60 millions ou bien 50 millions. Il n’y aura un manquant à gagner. Ce manque à gagner-là, c’est le gouvernement qui va venir encore pour compléter.
Est-ce que vous pensez que le gouvernement pourrait être prêt à prendre ces dépenses en charge?
Bon, tout ce que je peux dire, en toute honnêteté, le gouvernement nous écoute, le gouvernement nous soutient, le gouvernement nous accompagne. Mais dans la mesure du possible. C’est comme un père de familles, il y a beaucoup d’enfants, il y a beaucoup de besoins. Donc, tu vas satisfaire chaque enfant selon les moyens que tu as. On ne doute donc pas vraiment de l’accompagnement du gouvernement. Ce n’est pas pour rien, l’ancrage institutionnel du Comité national de lutte contre le Sida a été placé à la primature. C’est pour que le gouvernement ait un oeil direct sur ce qui est lutte contre le Sida. Dans certains pays aussi, c’est à la présidence même l’ancrage institutionnel se trouve. Donc, on a l’espoir que le gouvernement va assumer ses responsabilités dans la mesure du possible.
Quel était le niveau de dépendance du Comité national vis-à-vis des financements américains ?
Tout au départ, presque la lutte contre le Sida était financée par les bailleurs internationaux, les partenaires. Mais ces derniers temps, nous avons sensibilisé le gouvernement pour dire que justement, c’est une bombe que les bailleurs sont à 100% ceux qui financent la lutte contre le Sida. Parce que le jour où ils seront prêts pour plier les bagages, ils ne devront pas devoir à quelqu’un et ne pas les empêcher.
Ils sont indépendants. Et si ça trouve qu’ils ne sont pas préparés, c’est compliqué. Heureusement que cette sensibilisation a été comprise. Donc, de 1% à 2%, on est à près de 20% aujourd’hui comme la contribution du gouvernement à la lutte contre le Sida. Et cette contribution va augmenter au double ou au triple si les partenaires, se retirent. C’est pourquoi nous avons fait un tour dans toutes les régions administratives du pays pour sensibiliser. Parce qu’il y a la potentialité dans les régions. Quand tu prends un gouverneur, ils ont d’abord un budget annuel et ce budget-là est conçu sur la base des lignes des budgets. Donc on les a fait savoir que le financement institutionnel a beaucoup diminué et ça risque même de disparaître. Commencez à y penser.
Mettez dans votre ligne budgétaire pour lutter, financer contre le Sida. Vous allez voir, par exemple, certaines régions, il y a plus de 20 sociétés, des sociétés minières qui ont beaucoup d’argent mais rien n’est prévu pour la lutte contre le Sida. Mais si le gouverneur intervient, le préfet intervient, le maire intervient, ces sociétés-là vont prévoir la lutte contre le Sida. Et ça va diminuer la tâche, parce que localement, ça va être trop financé. Il y a aussi les opérateurs économiques, les grands ressortissants, ainsi de suite. Donc aujourd’hui, on a sensibilisé toutes les régions et ils sont prêts vraiment à mettre du paquet pour accompagner aussi le gouvernement.
Ceci, c’est la contribution du gouvernement local. Le secteur privé pensait aussi qu’il n’y avait rien à faire dans la lutte contre le Sida. On les a sensibilisés, ils sont prêts aussi à nous accompagner. Alors, si tout cela se fait, on ne va pas trop sentir le départ des partenaires.
Quel message souhaitez-vous adresser dans ce contexte ?
Bon, le message que j’ai à passer, d’abord, la question du Sida est toujours une question d’actualité. Il ne faut pas que les hommes pensent que c’est fini. Et les hommes doivent continuer à changer de comportement. Les gens se rencontrent, ils se marient, il n’y a pas de protection, rien. Et la personne que tu as rencontrée il y a quelques jours, dans une mine, tu ne connais pas son statut, la femme ne connaît pas le statut de l’homme, et vice-versa… Après la séparation, c’est l’implosion du Sida. Ceux qui sont sous traitement, qu’ils acceptent de continuer leur traitement, qu’ils n’abandonnent pas et qu’ils prennent correctement leur médicament. Et que la population aussi accepte d’aller se faire dépister. Parce que quand tu es dépisté à temps, le Sida ne te fera rien. Mais si tu attends la dernière minute, que c’est le Sida qui t’amène à l’hôpital, parfois ça trouve que c’est trop tard.
Il y a un élément aussi extrêmement important qu’il faut faire connaître par la population. Depuis deux ans, trois ans, nous nous sommes battus pour travailler, recruter des consultants pour que notre pays ait une loi en matière de lutte contre le Sida. Quelle est l’importance de cette loi ? Parce qu’avant la loi, chacun faisait ce qu’il voulait. Les personnes qui sont contaminées par le Sida, certains volontairement contaminent la population saine. Et ceux qui sont contaminés aussi, guéris ou pas guéris, on les empêche de travailler et sont stigmatisés, ainsi de suite par le fait de leur statut.
Aujourd’hui, je tiens à informer tous les guinéens qu’il y a une loi qui a d’abord été adoptée par le CNT. C’était en 2024. Et après l’adoption, le président de la république a promulgué la loi. Donc ça existe, nous sommes en train de faire la diffusion. C’est là que je veux dire, particulièrement où cette loi est là, personne ne peut transmettre le Sida de façon criminelle à une personne saine. Sinon, tu iras en prison et tu vas payer beaucoup d’amendes. Et aussi, si un patron arrive à discriminer, son travailleur parce qu’il a le virus du Sida, la structure risque même d’être fermée, et le patron ira en prison et va payer l’amende, à cause de la stigmatisation.
Tu peux avoir le Sida, vivre sans problème, si tu prends ton médicament et contribuer au développement du pays. Mais si on te dit, ah lui, il a le Sida, il ne doit pas loger dans ma maison. Il ne doit pas faire ça… Quand ces cas là sont connus, c’est la prison.
Entretien réalisé par Dansa Camara DC
Pour Africaguinee.com
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