Célébration des acquis du CNRD dans l’éducation : « Il y a des priorités plus urgentes », selon les enseignants recalés

CONAKRY-Le Mouvement National des Enseignants de Guinée a organisé ce lundi 21 avril, une cérémonie en l’honneur des acquis du CNRD dans le secteur éducatif. Cette démarche est critiquée par certains enseignants contractuels communautaires non-retenus. Pour eux, cette initiative est « inopportune ». Porte-parole de ce collectif, M. Mamadou Diaka Sow que nous avons interrogé à propos, dénonce une instrumentalisation de l’image de l’enseignant et interpelle les autorités sur la précarité de plus de 4 000 enseignants dans l’attente d’un engagement à la fonction publique.
AFRICAGUINEE.COM : Le Mouvement National des Enseignants de Guinée a organisé, ce lundi 21 avril 2025, une cérémonie grandiose au Palais du Peuple pour célébrer les acquis du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) dans le domaine de l’éducation. Nous avons appris que vous y (porte-parole des contractuels communautaires non retenus) étiez présent. Qu’en est-il ?
MAMADOU DIAKA SOW : Ah non ! Ce ne sont pas tous les contractuels qui ont participé. Ceux qui y étaient l’ont fait à titre individuel. D’ailleurs, la grande majorité d’entre nous, même à l’intérieur du pays, n’ont pas été associés. Nous avons jugé nécessaire que, tant que notre situation n’est pas régularisée, nous ne sommes pas en mesure de soutenir qui que ce soit — ni une entité, ni un mouvement de soutien. Nous ne sommes engagés auprès de personne, car l’éducation doit rester un domaine neutre.
Mais au-delà de tout cela, il faut dire qu’il règne une frustration profonde chez plus de 4 000 enseignants contractuels à travers le pays. S’associer à de telles initiatives sans aucune garantie, c’est courir un grand risque. Dès qu’on s’affiche publiquement, on s’expose à des conséquences irréversibles. C’est pourquoi, de façon collective, nous avons décidé de nous abstenir de toute forme de soutien — que ce soit au CNRD ou à toute autre structure — jusqu’à ce que la situation soit clarifiée.
Que pensez-vous justement de cette initiative de célébrer les acquis du CNRD dans l’éducation ?
À mon avis, ce n’est pas opportun. Il y a des priorités plus urgentes. La première, c’est la qualification du système éducatif guinéen. Et cela passe forcément par la prise en charge des enseignants contractuels non retenus. Il ne faut pas oublier que nous avons été recrutés sur la base de besoins réels, poste par poste. Même si 10 000 enseignants ont été intégrés, il reste encore un déficit criant. Et les inspections menées récemment dans les zones reculées ont été biaisées : dès que le mot « contrôle » a été lancé, certains directeurs ou Directeurs sous préfectoraux de l’éducation ont rappelé des enseignants fictifs, moyennant des arrangements. Ils venaient juste signer un acte de présence, puis repartaient. Résultat : nos postes restent vacants, alors que nous sommes disponibles.
La priorité des priorités, pour la refondation du système éducatif, c’est notre prise en charge. Ensuite, il faut réformer tout le système, en commençant par la formation des formateurs, aussi bien pour les enseignants titulaires que pour ceux qui ne le sont pas encore. Voilà les véritables urgences, bien avant toute célébration.
Pensez-vous que ceux qui soutiennent le CNRD le font de manière désintéressée ?
Je ne le pense pas. Le Président n’a d’ailleurs jamais demandé à être soutenu. Ceux qui s’engagent dans cette voie veulent surtout préserver leurs postes ou saisir certaines opportunités politiques. Pour notre part, nous ne sommes pas contre le CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement), ni contre notre département de tutelle. Mais nous demandons simplement qu’ils s’attaquent en priorité aux véritables défis du secteur.
Il faut rénover les écoles, revoir les programmes éducatifs qui sont restés inchangés depuis plus d’une décennie, alors que le monde évolue à grande vitesse. Regardez les pays voisins : ils adaptent régulièrement leurs programmes. Nous aussi, nous devons aller vers une digitalisation des structures scolaires et une innovation pédagogique tournée vers le progrès. C’est dans cette dynamique de réforme et de modernisation qu’on pourra réellement soutenir le CNRD. Et d’ailleurs, nous l’avons déjà fait, indirectement, en allant enseigner dans les zones reculées, sans même percevoir un seul franc guinéen.
Si vous étiez effectivement engagés à la fonction publique, vous tiendriez toujours ce même discours ?
Si nous étions engagés ? Vous savez, cette question revient souvent. Mais je pense que le débat ne se situe pas à ce niveau. Nous, nous restons fidèles à notre idéologie. Nous sommes des enseignants, et dans ce secteur, l’enseignant doit rester neutre. À l’école, on retrouve une diversité de cultures, de croyances, d’opinions. Lorsque l’enseignant commence à prendre position politiquement, il cesse d’être perçu comme un éducateur. Il n’est plus écouté pour ses compétences pédagogiques, mais pour son influence politique. Et cela serait très préjudiciable pour la formation des futurs cadres de ce pays.
Donc, oui, dans des conditions normales, l’enseignant doit rester neutre. Maintenant, si nous étions officiellement engagés, peut-être que nous envisagerions une autre forme de contribution, mais toujours dans la qualification du système éducatif, et non dans des mouvements de soutien qui, à mon sens, ridiculisent la fonction enseignante en Guinée.
Quel message, selon vous, renvoie cette mobilisation des enseignants ?
À mon avis, cela traduit une forme de pression. Même à Coyah, il y a eu un communiqué récemment, démentant une implication forcée. Cela prouve qu’il y a eu des contraintes. Cette démarche donne une mauvaise image de notre pays, en particulier du système éducatif guinéen. Elle ternit également l’image de l’enseignant, qui devait incarner la rigueur et la neutralité. Plus grave encore, l’image du monde syndical est écornée. Ce sont des structures qui devraient être critiques, proposer des alternatives, non pas se fondre dans des logiques de soutien politique.
Or, on a vu que l’intersyndicale était présente à cet événement. Même si c’est sur invitation, ils auraient dû refuser, ou à tout le moins, dénoncer. Un syndicat ne soutient pas un régime : il exerce une force de veille, de proposition, et de partenariat stratégique avec le gouvernement dans l’intérêt du pays.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en début de semaine, nous avons tenu une réunion au sein de la FSPE (fédération syndicale professionnelle de l’éducation). Il a été décidé que nous ne devions pas dévier de cette ligne. Voilà pourquoi nous n’avons pas participé à la cérémonie. Si nous y étions allés, cela aurait été en tant qu’enseignants, pas en tant que porte-paroles ou représentants syndicaux.
Quelle est votre situation actuelle ?
Aujourd’hui, nous sommes des fonctionnaires en attente. Nous avons validé toutes les étapes du processus de recrutement. Il ne reste plus que la signature de nos arrêtés et la prise en charge effective. Mardi dernier, je pense que vous avez vu les images circuler sur les réseaux sociaux. Avec le soutien du général Amadou Diallo de la CNTG, nous avons été reçus par le ministre du Travail et de la Fonction publique, M. François Bourouno. Nous avons échangé sur notre situation. Une issue est envisagée d’ici la fin du mois. Donc, nous attendons.
Nous espérons vivement que les autorités tiendront leurs engagements. Dans les jours à venir, nous comptons rencontrer d’autres responsables et membres du gouvernement. Avant-hier encore, nous avons reçu une réponse officielle du Premier ministre, qui a salué notre démarche et exprimé son soutien total aux enseignants contractuels non retenus. Cependant, il nous a précisé que la prise en charge relève désormais du MEPU-A et du ministère de la Fonction publique. Donc, la balle est dans leur camp. En tout cas, le Premier ministre est favorable à notre intégration dans la fonction publique.
Quel est votre appel à l’endroit des autorités ?
J’aimerais m’adresser d’abord au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Paul Cédy, qui dirige actuellement ce département. Il se présente comme un technocrate, non un homme politique. Si tel est vraiment le cas, alors il doit agir en conséquence.
Il a lui-même exprimé un besoin de 8 000 à 10 000 enseignants. Il ne suffit pas de le dire : il faut maintenant passer à l’acte, collaborer avec ses homologues et concrétiser cet engagement. Nous, nous avons fait nos preuves. Nos résultats sont disponibles dans les DPE (Directions préfectorales de l’Éducation). Il n’y a donc aucune excuse pour ne pas nous intégrer.
Nous appelons les autorités à prendre en charge les 4 000 enseignants contractuels non retenus. C’est une nécessité pour sauver l’école guinéenne, notamment à l’intérieur du pays, où l’enseignement est pratiquement à l’arrêt. La réalité, c’est que ça n’étudie pas. Nous vivons dans une souffrance quotidienne. Nous sommes de jeunes diplômés, des pères et des mères de famille, et nous avons trop enduré. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Il est temps de mettre fin à cette précarité.
Pour éviter d’en arriver à d’autres formes de revendications, nous demandons que notre situation soit réglée par la signature d’un arrêté d’engagement. J’en appelle aussi à l’attention du chef de l’État, en tant que garant moral et institutionnel de la nation. Il doit se pencher sérieusement sur notre cas, afin que plus jamais une telle injustice ne se reproduise.
Quand on parle de concours, il doit s’agir des méritants. Et nous faisons partie de ceux-là. Nous espérons sincèrement que notre cri de cœur sera entendu dans les jours à venir.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 22 avril 2025 12:00Nous vous proposons aussi
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