Autopsie de l’avant-projet constitutionnel : Le juriste Dr Sadou Diallo fait des observations pertinentes… « entretien »
CONAKRY-Alors que l’avant-projet de la constitution présenté aux Guinéens par le CNT (conseil national de la transition) continue de faire débat, l’Universitaire Dr Sadou Diallo, vient de faire des observations pertinentes sur le texte. Dans un entretien accordé à Africaguinee.com, ce Docteur en droit public soulève des pièges contenus dans l’avant-projet et pointe des lacunes et des insuffisances. Après avoir passé au « scanner » l’avant-projet constitutionnel, cet enseignant-chercheur a formulé des recommandations au CNT. (Interview)
AFRICAGUINEE.COM : Quelles sont vos observations par rapport à l’avant-projet de Constitution présenté par le CNT ?
DR. SADOU DIALLO : J’ai parcouru le texte du début à la fin. D’abord, je tiens à féliciter et à remercier ceux qui ont participé à sa rédaction. Ce texte nécessite un toilettage, d’ailleurs c’est pour cela qu’on l’a nommé avant-projet parce qu’il n’est pas encore définitif. C’est un texte qui est riche dans son contenu. C’est vrai qu’il y a certains avantages mais il comporte aussi certaines insuffisances et des lacunes.
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ces insuffisances et ces lacunes ?
Parlant des lacunes, je vais juste m’appesantir sur la fonction du président de la république. D’abord, c’est un texte qui nous envoie dans un régime parlementaire. En parlant du régime parlementaire, on parle de responsabilité politique du gouvernement. A mon avis, dans ce régime, (si ce texte est adopté tel qu’il est), on aura un super président qui détient les manettes. Donc, c’est ce qui dénature un peu ce régime parlementaire. J’aurais voulu qu’on concentre tous les pouvoirs du président au niveau du premier ministre et avoir un président à titre honorifique à l’image de l’Angleterre ou de l’Allemagne.
Ce régime qu’on nous propose est à l’image de l’actuel régime français où c’est le gouvernement qui a la responsabilité politique et non le président mais nous voyons la crise dans laquelle ils (LES FRANÇAIS) se trouvent après les élections législatives passées où le président détient les manettes. Donc, avec ce type de régime, on risque de répéter la même chose avec l’actuel régime parlementaire français à mon avis. Il peut y avoir un risque d’avoir un puissant président de la république qui détient toutes les manettes pour contrôler tout. Nous voyons en France, Emanuel Macron a les commandes et jusqu’à présent il tarde à mettre en place le gouvernement issu des élections législatives. Donc, c’est le même cas qui risque d’arriver à la Guinée si on maintient ce régime.
Quelles sont vos impressions par rapport à la création Sénat ?
C’est une institution à saluer notamment par rapport à ses fonctions. Parce que si vous prenez sur la nomination des cadres civils, il faut l’assentiment du sénat et ça c’est une avancée notable. Aussi, quant vous prenez sur les questions de paix, le règlement pacifique des différends, le Sénat dévient un gardien de nos coutumes. Donc, à ce niveau on peut dire que c’est une avancée notable qu’il faut saluer.
Par contre, je me dis qu’il peut y avoir quelques problèmes notamment sur sa composition. Parce que quand on regarde sa composition conformément à ce document de l’avant-projet de la constitution, le président de la république a le droit de choisir 1/3 (un tiers) et les deux autres tiers sont élus à travers les élections notamment par les conseillers communaux. Alors, le fait que le président a la main mise sur cette institution en nommant lui-même des personnes, à mon avis, ça risque de causer des problèmes à l’avenir surtout sur le choix des décideurs puisque c’est le sénat qui confirme la nomination des hauts cadres (ministres, directeurs et autres). Imaginons si le président lui seul nomme 1/3 (un tiers) de ses membres, il risque de peser sur la décision du sénat. Donc, c’est une des difficultés qu’il faut corriger. Je pense que le président n’a pas le droit de s’ingérer puisqu’on parle ici de l’indépendance ou bien de la séparation des pouvoirs. Il faut une véritable séparation des pouvoirs à ce niveau sans ingérence du président dans les affaires du sénat.
Que préconisez-vous ?
Il faut une élection, il faut au moins le suffrage universel direct que toute la population sache qu’ils sont en fonctions parce qu’ils ont été élus et qu’ils sont à leurs différentes fonctions pour les représenter. Ceci dit, ils doivent faire ce que la population veut.
Les forces vives de Guinée ont aussitôt rejeté l’avant-projet de la nouvelle constitution sous prétexte qu’il ne reconduit pas certains articles de la charte de la transition qui empêchent toute candidature du président de la transition, des membres du gouvernement, du CNRD et du CNT aux futures élections. Que pensez-vous de ces griefs ?
C’est légitime, ils sont dans leurs droits d’apporter des revendications et de contester des décisions. Puisqu’à lire la charte de la transition et à lire l’avant-projet de la constitution, on constate qu’il y a un piège constitutionnel légal qui va permettre aux membres du CNRD et aux membres du gouvernement de se présenter aux prochaines élections (présidentielles, législatives et communales). Donc, c’est normal que les politiques contestent. Parce qu’en se présentant, les membres du CNRD et du gouvernement n’auront pas respecté leur parole donnée de ne pas être candidats aux prochaines élections devant permettre le retour à l’ordre constitutionnel. Nous sommes dans un Etat démocratique et si quelque chose ne me plait pas j’ai le droit de contester.
Les dirigeants de la transition ont pris un engagement. C’est comme si c’est un serment. On sait que le serment est sacré et il doit être respecté. Et ils sont allés même jusqu’à dire que ‘’cette disposition ne doit pas faire l’objet de révision’’. Effectivement ils doivent respecter la parole donnée.
Maintenant, si cette nouvelle constitution rentrait en vigueur, tel qu’elle se présente sur cet avant-projet, les membres du CNRD et du gouvernement auront la possibilité de se présenter aux futures élections puisque, non seulement la transition a une fin mais aussi la charte de la transition a une fin. Lorsque la charte de la transition cesse de produire des effets, toutes ces dispositions n’auront plus d’effets juridiques. Et à partir de là, c’est les dispositions de la nouvelle constitution qui vont produire d’effets pour l’avenir. Maintenant, il se trouve que certaines dispositions de la charte qui ne devraient pas faire l’objet de révision n’ont pas été reconduites dans la nouvelle constitution ou dans le nouveau projet constitutionnel.
A mon avis il y a un problème qui est là parce que si cet avant-projet de la constitution rentrait en vigueur, les membres du CNRD et du gouvernement auront la latitude de se présenter légalement aux élections. Les Conseillers Nationaux auraient dû, pour une marque de confiance ou de transparence, reconduire ces mêmes dispositions puisqu’il y a un engagement pris auparavant.
Mais le président du CNT dit ‘’qu’une loi est impersonnelle et ne saurait être un instrument d’exclusion d’un citoyen’’. Partagez-vous son avis en tant que juriste ?
Effectivement, le caractère général et impersonnel a fait de débats. Mais à mon avis en tant que spécialiste du droit, le président du CNT (Dansa Kourouma) aurait laissé aux spécialistes de se prononcer sur le caractère général et impersonnel de la loi parce que ce n’est pas son domaine. Je pense qu’il a une équipe de juristes qui devait intervenir sur cette question et même sur la vulgarisation actuelle de l’avant-projet. Je ne suis pas du tout d’accord avec lui par rapport à cette question parce qu’il n’est pas spécialiste et il est profane du domaine. Les gens font souvent l’amalgame quand on parle du caractère général de la loi, du caractère impersonnel de la loi ou encore du caractère obligatoire de la loi.
Parce que vous pouvez prendre une loi et dans cette loi vous pouvez avoir des normes qui ont un caractère général et des normes qui ont un caractère individuel. C’est notamment le cas de l’avant-projet de la nouvelle constitution. Il y a de ces normes qui ont un caractère général qui s’appliquent à tout le monde et il y a de ces normes qui ne s’appliquent à des individus, à une certaine catégorie des personnes. Donc, il faut relativiser les choses, à mon avis.
Puisque la question d’interprétation des textes juridiques, si on n’est pas juriste, il est très difficile de comprendre. Exemple, quand vous prenez les questions des droits fondamentaux dans l’avant-projet, il est dit dans certains articles ‘‘toute personne’’, il y a un caractère général qui est là ou ‘‘tous les citoyens’’, il y a un caractère un peu particulier qui est là parce que ce n’est pas tout le monde qui est citoyen du pays aussi. On dit aussi ‘‘tous les individus sont égaux, personne ne doit être discriminé’’. Là il y a un caractère général.
Un peu plus bas, je pense quand vous prenez les articles 26 sur l’enfant, est-ce qu’il y a un caractère Général ? Non, ici il y a un caractère spécifique individualisé et personnalisé. Quand vous prenez sur les personnes âgées, les handicapés et d’ailleurs même quand vous prenez le poste du président de la république, effectivement il n’y a pas un caractère impersonnel qui s’applique là mais un caractère individuel puisque ce n’est pas tout le monde qui peut être président. Et les normes qui régissent pour être président sont des normes individuelles, ils n’ont pas des normes générales.
Que pensez-vous de l’applicabilité de cette future constitution ?
L’applicabilité ? Il faut d’abord l’accepter. Est-ce que si on arrive à organiser le référendum, la constitution sera avantageuse pour la population ? A mon avis, il faut relativiser. Il y a des avantages et des nouveautés dedans qu’on peut apprécier, mais aussi il y a beaucoup d’insuffisances et beaucoup de lacunes. Donc, je pense bien qu’il faut corriger ces lacunes avant d’aller au référendum, après, c’est au peuple de décider si oui il accepte cette constitution ou non il n’accepte pas cette constitution. Mais d’abord il faut une vulgarisation, faire connaitre le contenu de ces dispositions à la population notamment à ceux qui ne comprennent pas le français. Il ne suffit pas juste d’aller prendre quelques membres de la société civile non, il faut une représentativité générale et une question d’information générale. Puisqu’ils ont constitutionalisé la vulgarisation de nos langues, donc c’est dès maintenant qu’il faut commencer ‘’dans la constitution il y a ça et ça, est-ce que vous êtes d’accord ?’’.
C’est au peuple de choisir, de voir si elle est applicable. Ensuite, ceux qui ne sont pas pour son applicabilité de faire la promotion de ne pas voter puisqu’il faut corriger certaines choses dedans. Encore, ceux qui veulent son applicabilité vont dire ‘’il faut voter parce qu’il y a ça et ça’’. Il y aura toujours une question d’antagonisme. C’est-à-dire de combat d’idées pour son applicabilité.
A regarder les réactions de certains acteurs politiques, on a l’impression que la majorité rejette déjà ce texte. Ne faut-il pas craindre une crise ?
Bien sûr ! Il y a un problème de légitimité qui se prose. Parce que la légitimité, c’est l’adhésion et la volonté populaire sur un projet et maintenant si la majorité de la population est derrière ‘’certains candidats’’ alors il peut y avoir un problème de légitimité populaire qui peut aller jusqu’à rejeter la constitution à travers bien sûr le référendum. Donc, c’est à ceux qui ne sont pas d’accord avec les dispositions de l’avant-projet de la constitution de faire leur campagne de rejet et au pouvoir de faire leur campagne de l’acceptation pour légitimer cette constitution.
Que pensez-vous des intangibilités prévues dans cet avant-projet de la constitution ?
Il faut que les gens comprennent que la constitution est un texte juridique. La constitution est adaptée en fonction de la réalité actuelle. Alors, s’il y a un changement futur pourquoi ne pas la changer ? C’est faisable. À tout moment, il peut y avoir des changements que ce soit démocratiques ou antidémocratiques. Il suffit juste d’avoir la culture et la coutume démocratique. C’est-à-dire, quand un président vient, il respecte toutes les dispositions de la constitution et au terme de ses deux mandats, il quitte et un autre vient. Celui-ci dira ‘’mon prédécesseur avait respecté la constitution donc à mon tour je ne vais pas la violer’’ c’est seulement avec ça qu’on peut respecter nos constitutions. Sinon on a vu la situation de l’ex président (Alpha Condé) qui a fait un changement ‘’démocratique’’ et il y eu un autre changement non démocratique qui est venu remettre son changement en cause et c’est ce qui nous conduit à cette situation.
Donc, pour qu’il y ait une stabilité à ce niveau, il faudra une question de volonté personnelle de nos dirigeants qui viendront pour essayer de respecter ces dispositions. Sinon j’ai vu dans l’une des dispositions de cet avant-projet de la constitution où on dit ‘’cette constitution ne pourra être révisé qu’avant 30 ans’’, ça c’est de l’utopie je pense. Les personnes qui viendront demain passeront toujours par des voies démocratiques soit, par référendum ou soit, par leur majorité à l’assemblée pour réviser la constitution.
D’après vous qu’est-ce qui doit être amélioré dans cet avant-projet ?
Je demande au CNT de vulgariser ce texte dans toutes les langues nationales et faire en sorte que cette vulgarisation soit faite par des juristes pour plus de compréhension. Parce que c’est seulement ces juristes qui sont capables d’interpréter une disposition de la loi en donnant le véritable sens à la norme juridique au peuple.
Personnellement, j’aime le respect de la parole donnée, je demande aussi au CNT de reconduire les dispositions des articles 46 et 55 de la charte de la transition dans la nouvelle constitution. Parce qu’on ne peut pas être juge et partie à la fois. J’organise la transition, j’organise les élections et je suis candidat à ces élections mais voyez vous-même la finalité. Donc, à mon avis il faut reconduire ces dispositions pour avoir plus de sérénité et avoir une transition apaisée parce qu’il peut y avoir un risque. Les constitutions sont souvent sources de conflits. Donc, pour éviter cela, il faut respecter la parole donnée et reconduire ces dispositions, organiser bien les élections et permettre à des nouvelles personnes de venir diriger le pays.
En plus, il faut arracher les pouvoirs du président de la république et les remettre au premier ministre, que le premier ministre soit issu des partis politiques majoritaires à l’assemblée nationale, qui ne soit pas nommé par le président. Puisque si nous sommes toujours dans l’intention de nommer des personnes, ces personnes nous seront toujours redevables et on aura toujours un contrôle sur ces personnes. Donc, pour avoir un véritable régime parlementaire et non un régime parlementariste parque là nous sommes dans une dénaturation du régime parlementaire, nous ne sommes pas dans un véritable régime parlementaire. Pour que nous ayons un vrai régime parlementaire, il faudrait que nous ayons un président qui a un titre honorifique comme le roi d’Angleterre qui ne prend pas de décisions politiques et avoir un premier ministre qui aura tous les pouvoirs et qui aura la responsabilité politique du gouvernement.
Dans ce régime, il y aura l’alternance entre les partis politiques à l’image toujours de l’Angleterre où à chaque fois, s’il y a des élections législatives anticipées, il y a un nouveau premier ministre issu entre les travaillistes et les autres formations politiques. Je pense que des fois il faut copier les autres, s’inspirer des biens faits des autres pour appliquer ça chez nous.
Interview réalisée par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 666 134 023
Créé le 26 août 2024 09:42Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Constitution, Constitution guinéenne