Un ex détenu de la maison centrale de Conakry témoigne : « Ce qui tue les gens en prison… »
CONAKRY-Construite il y a près d'un siècle (1933) par les colons français, la maison d'arrêt de Conakry renvoie une image peu enviable. C'est un euphémisme de dire qu'elle est aujourd'hui surpeuplée. Près de 1 700 personnes sont incarcérées dans ce centre de détention bâti pour accueillir seulement 300 détenus. Au lendemain de l'élection présidentielle, émaillée par des violences, la population carcérale est montée crescendo dans cette prison située au quartier insalubre de Coronthie (Kaloum).
Le ministère de la justice s'est souvent défendu quant au respect de la diginité et des droits des personnes en conflit avec la Loi, mais ces derniers sont confrontés à des difficultés de tout genre : promiscuité, maladies… Trois personnes y ont trouvé la mort ces derniers temps dans des circonstances non encore élucidées. Le dernier cas en date concerne Roger Bamba, militant de l'Union des Forces Démocratiques de Guinée. Les Etats-Unis, l'Union Européenne ont interpelé les autorités guinéennes face à ces décès.
Alors que l'opinion s'interroge sur ce qui tue réellement les prisonniers à la maison centrale, un ancien pensionnaire de cette prison a accepté de témoigner sur les conditions de détention. Ibrahima Sory Camara qui a passé près d'un an dans ce centre de détention fait des révélations poignantes dans une interview qu'il nous a accordée. Extrait.
"Permettez-moi de présenter mes sincères condoléances à la famille de notre regretté Roger Bamba, à sa femme, ses enfants, sa famille de Lola et à sa famille politique, l’UFDG. C’est une triste nouvelle, mais comme on le dit, l’homme propose, Dieu dispose. J’étais régulièrement en contact avec Roger Bamba à qui je rendais régulièrement visite à la Maison centrale. Compte tenu de mon expérience, parce que j’ai fait 8 mois à la Maison centrale, je connais un peu l’environnement qui s’y trouve.
A chaque fois que je venais vers lui, je lui disais : mon ami, la prison n’est pas faite pour nous, mais elle est aussi faite pour les grands hommes. Si tu veux être un grand homme, mets-toi en tête que tu vas sortir, ne laisse jamais ton moral tomber bas parce que si le moral tombe en prison ce n’est pas bon pour un détenu. Dès que tu tombes malade, si tu n’as pas le moral c’est très compliqué.
Trois jours avant qu’on ne m’annonce son décès, j’étais parti lui rendre visite à la Maison centrale. On a échangé sur des questions politiques et personnelles dans la salle de visite. C’est après 3 jours de cela que j’ai appris qu’il a été évacué à l’hôpital Ignace Deen. J’étais à Coyah, je me préparais pour rentrer à Conakry afin de pouvoir lui rendre visite le matin. C’est à 1h du matin qu’on m’a appelé pour m’annoncer la triste nouvelle.
La Maison centrale n’est pas bonne, il faut qu’on se dise la vérité. J’y étais emprisonné, je connais la souffrance qui y en existe. Actuellement même, il y a un petit changement, notamment au niveau de l'hygiène, l’environnement des locaux. Dans une cellule de 8 à 10 mètres carrés, vous trouvez 15 ou 20 détenus. Les toilettes sont uniques pour tout le monde. Par exemple, on utilise deux ou trois pots pour tout ce monde pendant la nuit, si quelqu’un a la diarrhée ou une autre maladie, c’est les mêmes objets qui sont utilisés. C’est pour cela que la contamination est très rapide en prison. La maison centrale était construite pour 300 personnes, mais aujourd’hui il y a plus de 1 000 qui y sont détenues. Vous pouvez voir 15 ou 50 personnes dans une cellule. Dans certaines calles même, c’est des seaux qui sont utilisés entre les personnes de la même cellule. Et c’est à 17h qu’on enferme les détenus, et à partir de cette heure, ce sont les seaux là qu’on alterne.
C’est pourquoi je lance un appel à l’endroit du président Alpha Condé, de libérer les détenus politiques parce que ça au moins c’est possible. Il y a des détenus politiques aujourd’hui comme feu Roger Bamba, un monsieur très connu, qui était d’ailleurs travailleur parlementaire, il y a aussi les Ousmane Gaoual, Etienne Soropogui et autres. Il y a également des enfants qui ont été arrêtés en marge des manifestations organisées par le FNDC (Front national pour la défense de la constitution, Ndlr). Il faut aller voir dans quelles conditions ils sont détenus. Certains mêmes, leurs parents ne savent pas où ils sont. C’est terrible ce qui se passe à la Maison centrale.
Le manger qu’on prépare là-bas, c’est terrible. Quand tu tombes malade, l’infirmerie qui est prise en charge par certaines ONGs manque de médicaments. Je pense qu’il faut mener une enquête sur ça. Quand un détenu tombe malade, la prise en charge est assurée par sa famille. Mais l’Etat qui emprisonne quelqu’un est incapable de le prendre en charge, moi j’ai vécu tout ça. Mes ordonnances, je les envoyais au parti ou à la famille pour me les acheter alors que j'étais un détenu politique de l’Etat. Si Alpha Condé qui a porté plainte contre moi et m’a mis en prison, c’est lui qui devait me prendre en charge. Le manger qui est servi là-bas et financé par certaines ONGs volontaires. Durant tout le temps que j’ai été à la Maison centrale, je n’ai mangé aucun repas leur appartenant. Le manger qu’on nous donne, c’est inconsommable. Le matin c’est la bouillie, et ça aussi les conditions de préparation laissent à désirer. Dans l’après-midi, c’est le riz qu’on prépare avec de la patte d’arachide, mais ça aussi il faut aller voir les conditions dans lesquelles, c’est préparé c’est juste indescriptible. Ces ONGs qui envoient des dons à la Maison centrale, je les invite à venir faire l’état des lieux, la santé des détenus et le manger qui y est préparé.
Parce que c’est là-bas où j’ai vu, on envoie des poissons pour qu’on prépare pour les détenus, ils soustraient et donnent à un des détenus qui a le plus de sous. Si c’est de la viande aussi c’est la même pratique, on ne prépare pas de la viande pour les détenus. Tout poisson ou viande qui y arrive, ceux qui n’ont pas les moyens notamment les plus petits et pauvres ne peuvent pas en avoir. C’est comme ça que ça se passe. C’est scandaleux ce qui se passe à la Maison centrale. J’ai vu des enfants là-bas, il fallait voir comment ils sont traités à la cale des mineurs. Plus de 60 personnes couchées à terre, sans de matelas ni rien. Tout ce monde passe la nuit à terre, c’est comme ça tous les jours. Il y a des gens qui ont passé là-bas plus de 7ans à 10 ans sans être jugés une seul fois. Ce qui fait qu’il y a la contamination, la galle, les tics etc.
J’étais resté isolé durant 3 mois, je ne pouvais voir et parler à personne. Je n’écoutais pas la radio, ne regardait pas la télé. Tout ça pour me casser le moral. Trois mois, il a été interdit aux autres détenus de me parler. Alors que je suis quelqu'un de très social, je fréquente les gens et vice-versa, je mène une vie très animée avec la politique. L’objectif de mon isolement, c’était pour m’anéantir moralement, mais Dieu merci j’ai réussi à surmonter et c’est ce qui m’a sauvé.
Alors, je voudrais adresser mes encouragements à tous ces détenus, Madic100 frontières, Souleymane Condé, Abdoulaye Bah, Etienne Soropogui, à tous ces détenus dont certains ont été déportés à Soronkoni, je pense à eux et je demande au président Alpha Condé de les libérer".
A suivre…
Abdoul Malik Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 28 décembre 2020 10:58Nous vous proposons aussi
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