Souleymane, fils de feu Mamadou Boiro parle : « Mon papa a été largué d’un avion en plein vol…ce n’était le tortionnaire »
KOUNDARA-Le camp Boiro a marqué l’histoire de la Guinée indépendante. Sous le régime de feu Ahmed Sékou Touré, ce camp de gendarmerie créé au temps de la colonisation française, a été transformé en camp d’internement militaire, de torture et de mise à mort.
Avant de porter le nom « Boiro », l’endroit s’appelait camp Camayenne. C’est en 1969 que le président de l’époque le baptisa Camp Boiro, en hommage à l’inspecteur de Police Mamadou Boiro, largué dans un avion alors qu’il convoyait des prisonniers pour la Capitale Conakry. 55 ans après le tragique décès de cet ancien fonctionnaire de police, nous avons retrouvé un des ses fils à Koundara, dans sa localité d’origine.
Souleymane Boiro, militaire béret rouge et lieutenant-colonel a bien voulu nous accorder un entretien pour parler de son père dont le nom est associé à jamais au tristement célèbre camp Boiro dont les traces ont été presque toutes rayées de nos jours.
AFRICAGUINEE.COM : Bonjour ! Vous êtes Souleymane, fils de feu Mamadou Boiro, mort en 1969 après avoir été largué dans un avion. Avez-vous des souvenirs de votre papa ?
SOULEYMANE BOIRO : Mon papa était quelqu’un de très généreux, qui aimait sa famille très bien. C’était un monsieur qui aimait sa patrie, sa nation et son service. Seulement, ce que je regrette, c’est le fait qu’il y ait des quartiers qui portaient son nom, des écoles et des hôtels, qu’on a enlevé pour les remplacer par d’autres noms. J’ai ce regret-là. Et deuxièmement, le nom Camp Camayenne, on l’a attribué en son nom, camp Boiro. C’était un lieu de violence, je le regrette aussi.
Pouvez-vous nous retracer un peu le parcours scolaire et professionnel de votre papa ?
En ce qui concerne l’histoire et le parcours de mon papa, on a déjà entamé un écrit sur ça avec ma sœur, qui est au ministère de la Sécurité et de la Protection civile. Elle est conseillère là-bas. Elle s’appelle Fatoumata Boiro, c’est elle qui a le document. Donc, je ne peux pas vous dévoiler maintenant son contenu.
Au décès de votre papa, vous aviez quel âge ?
Le papa est décédé en 1969. Je suis de 1961. Donc, quand je perdais mon papa j’avais entre 7 à 8 ans.
Qu’est-ce qu’on vous a expliqué par rapport aux circonstances de sa mort ?
Oui ! Mon papa a été largué dans un avion, vivant. On l’a projeté (dans le vide). Il était venu ici (à Koundara) en congé voir la grande famille, à son retour il est passé par Labé. Donc, c’est à partir de Labé que sa mission a changé, parce qu’il a trouvé un de ses collègues qui était venu pour une mission. C’était l’arrestation de certains malfaiteurs. Comme c’était son ami, son promotionnaire, ils ont un peu échangé, il a dit à ce dernier de le laisser l’accompagner puisqu’il partait à Conakry. Donc, qu’il aille avec ces gens-là (présumés malfrats). C’est au cours de ce voyage qu’il a été victime de ce qui lui a coûté la vie.
Qu’est-ce qui s’était passé ?
C’était une mission d’État. Ces gens-là (qu’ils envoyaient) étaient des commandos parachutistes qui devaient être entendus à Conakry. Donc, ils les envoyaient pour ça. Maintenant, ce qui s’est passé dans l’avion, je ne peux pas vous révéler car comme je vous l’ai dit, nous sommes en train de faire un écrit sur son histoire. Ma sœur qui est à Conakry pourrait vous donner la suite au moment venu.
Votre papa, était-ce un militaire ?
Non, c’était un policier, c’est la première promotion de la police après l’indépendance de notre pays.
Il avait quel grade à l’époque ?
Il était inspecteur de police à l’époque.
Est-ce que le corps avait été ramené à Koundara ?
Non, pratiquement son corps n’avait même pas été retrouvé. Il y avait eu des recherches un peu partout, en vain. Il a été largué dans la zone de Maleya. Donc on avait recherché le corps sans succès.
Comment vivez-vous cette absence ?
Vous savez, naturellement entre le papa et le fils, il y a un sentiment d’amour qui est là et qui est naturel. Je regrette beaucoup, puisqu’on a grandi après lui, avec notre maman, qui était une dame très brave. J’ai ce remord-là, des fois, quand je vois mes amis avec leur papa alors que le mien n’est plus là. Je ne sais même pas comment dire cela. J’aurais voulu être avec mon vieux aussi, jusqu’à mon âge-là. Mais c’est Dieu qui ne l’a pas voulu. J’ai ce remord-là, vraiment (pleures…).
Après sa disparition, le président d’alors a baptisé le camp Camayenne en son nom (Camp Boiro) pour lui rendre hommage. Ce camp était une sorte de prison où beaucoup de détenus ont perdu la vie. Aujourd’hui encore, des rescapés ou ceux qui ont perdu des proches parlent du (tristement) célèbre Camp Boiro qui porte le nom de votre papa. Comment vous vivez cela quand vous écoutez ces gens ?
Vous savez, pour certains, la nouvelle génération, ne connaissent pas. Dès qu’ils entendent Camp Boiro, pour eux, c’est Boiro Mamadou qui a construit ce camp, ou bien c’est lui qui était là-bas comme commissaire. Or, mon papa n’a même pas servi là-bas, c’était le Camp Camayenne. Après sa mort, le feu président Ahmed Sékou Touré a changé, a donné le nom de Camp Boiro pour ne pas qu’on l’oublie. C’est toute l’histoire sinon mon papa n’a jamais servi au Camp Boiro. Mais les gens, certains, par ignorance, voient ça autrement.
Pour eux, Camp Boiro, c’est Mamadou Boiro même qui était le commissaire, c’est lui qui torturait, alors que c’est tout le contraire. Mon vieux n’a jamais servi là-bas. Mon vieux, c’est après Kindia qu’il est venu à Conakry. Il était à la Sûreté. Et à partir de là-bas, il a eu cet accident. Donc, il n’a jamais servi au camp Boiro.
Sa mort vous attriste, mais vous avez comme lui, opté pour servir sous le drapeau. Est-ce pour lui rendre hommage ou c’est juste un choix personnel ?
Disons que c’est tous les deux. Ma sœur est déjà policière. Comme elle est policière, moi aussi, je ne pouvais pas être policier. J’ai préféré venir dans l’armée. Je suis un béret rouge. J’ai le grade lieutenant-colonel.
Votre papa a trouvé la mort alors que vous étiez enfant, mais est-ce que vous vous souvenez si les autorités d’alors avaient dépêché une délégation pour venir présenter les condoléances à la famille, à Koundara ?
Il y avait eu une importante délégation qui était venue de Conakry jusqu’ici. Je me souviens de ça. Ils étaient venus pour présenter les condoléances… à mon grand-père et à ma grand-mère. A l’époque, ils vivaient… Il y a eu une forte mobilisation à Koundara ici. Je me rappelle, la délégation était composée de différents ministres mais aussi de hautes personnalités qui sont venues jusqu’ici. Je me souviens de ça.
En voyant tout ce monde, quel était votre sentiment ?
J’étais triste, (pleures). Ainsi va la vie. A l’instant, j’aimerais voir mon papa vivant. Mais Dieu ne l’a pas voulu. Je le digère ainsi, et je l’accepte (Pleures).
Si vous avez un message à lancer à l’endroit des autorités actuelles mais aussi à ces personnes qui ne connaissent pas l’homme (Inspecteur Mamadou Boiro) et qui pensent autrement de lui, que leur diriez-vous ?
Je demande vraiment aux autorités de faire face à la famille de Mamadou Boiro. Parce que… Mon père a donné sa vie pour cette patrie, la nation et le peuple de Guinée. Le premier régime a beaucoup fait pour nous. Mais je demande aussi au régime actuel de faire mieux. J’ai ma sœur qui est conseillère au ministère de la Sécurité et de la protection civile. Moi, je suis militaire Béret Rouge, lieutenant-colonel. Je suis là en mission. Dieu a fait que c’est chez moi. C’est ma ville natale. Si les autorités pouvaient penser à nous, nous faire oublier un peu notre chagrin, nous satisfaire un peu, ça allait soulager la famille. Parce que notre vieux est mort à cause de cette patrie. L’administration, c’est une continuité. C’est la même patrie qui continue jusqu’à présent. Donc, c’est ça.
Merci beaucoup, lieutenant-colonel.
Je vous remercie aussi, infiniment. Je suis très satisfait et content de m’avoir donné l’opportunité de parler de mon père.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 23 décembre 2024 09:36Nous vous proposons aussi
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