Revendications syndicales et soutien à Mamadi Doumbouya : l’interview “vérité” d’Aboubacar Soumah, leader du SLECG

CONAKRY – Pour l’une des rares fois, le monde syndical et les enseignants de Guinée se sont mobilisés pour saluer les acquis d’un régime en place dans le domaine de l’éducation. L’inter-centrale syndicale, qui a pris activement part à l’événement, le 21 avril 2025 en a profité pour exposer ses préoccupations au gouvernement de transition. Mais derrière ce soutien affiché au Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), l’approche du syndicat suscite de nombreuses critiques. Dans cet entretien exclusif accordé à un journaliste d’Africaguinee.com jeudi 24 avril, Aboubacar Soumah, président du Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG) apporte des précisions et répond aux détracteurs de l’inter-centrale. 

AFRICAGUINEE.COM : Le 21 avril dernier l’inter-centrale syndicale de l’Éducation a présenté au gouvernement une kyrielle de revendications. Parmi elles, le déblocage des salaires de certains enseignants. Comment cette situation est-elle née ?

ABOUBACAR SOUMAH : Il y a certains enseignants dont les salaires sont bloqués depuis un certain temps. Nous avons engagé des démarches, mais elles n’ont pas abouti. Pourtant, ces enseignants sont bien en situation de classe, c’est-à-dire qu’ils travaillent. Cette situation est née à la suite du recensement biométrique des enseignants. Certains d’entre eux disposaient de pièces justificatives, mais comportant des erreurs. C’est à propos de ces cas que nous demandons aujourd’hui une régularisation, car ils ont droit à leur salaire. Nous demandons donc au gouvernement de procéder au déblocage de leurs salaires.

Vous avez également évoqué la construction de logements pour les enseignants. Combien de logements avez-vous estimé nécessaires ?

Concernant la construction de logements, c’est une revendication ancienne. Cela fait longtemps que nous sommes dans cette démarche. Un terrain a été octroyé au syndicat de l’éducation, et la construction devait y commencer. Les travaux ont effectivement débuté, mais le projet n’a pas encore abouti. Nous voulons maintenant que les choses avancent concrètement. Plusieurs sociétés sont venues nous proposer des partenariats. Avec certaines, nous avons eu des discussions avancées, notamment sur la création de coopératives. Une entreprise en particulier, avec laquelle nous avons longuement échangé, n’a pas encore concrétisé les promesses faites. Les logements tardent à sortir de terre. C’est pourquoi nous demandons aujourd’hui au gouvernement de relancer et concrétiser ce projet de logements sociaux pour les enseignants. Cela permettrait de réduire considérablement la précarité liée au logement chez les enseignants.

Est-ce que ce projet concerne uniquement Conakry ?

Non, ce n’est pas limité à Conakry. Depuis l’époque du président Lansana Conté, des terrains ont été délimités dans toutes les préfectures du pays pour y construire des logements sociaux destinés aux enseignants. Donc, ce projet est national. Si on construit à Conakry, le même effort sera fourni dans les autres régions. Il n’y aura pas de différence.

Vous avez évoqué la révision du statut particulier des enseignants d’ici fin 2025. Où en est-on dans ce dossier ?

Ce point figure clairement dans la plateforme revendicative déposée par le SLECG. Il s’agit de la révision du statut particulier des enseignants relevant du ministère de l’Éducation. Il faut d’ailleurs noter que ce processus a déjà connu un début d’exécution. Le ministre de la Fonction publique a adressé des courriers à ses homologues de l’Éducation et de la Santé, les invitant à prendre des dispositions pour que ces statuts soient effectivement révisés dans leurs secteurs respectifs.

Des commissions ont été mises en place, et les travaux ont commencé. C’est d’ailleurs pour cette raison que, lorsqu’un de nos camarades a proposé de boycotter les examens nationaux, nous avons refusé. Le gouvernement, notre interlocuteur, a commencé à prendre des dispositions.

À l’image du statut de l’enseignement supérieur qui a déjà été révisé, nous demandons que celui de l’enseignement technique et de l’enseignement pré-universitaire le soit également. Historiquement, notre statut était le même que celui de l’enseignement supérieur. Nous nous sommes battus pour cela depuis 2006, et le document avait été signé à l’époque pour couvrir tous les cycles.

Aujourd’hui que l’enseignement supérieur a obtenu une mise à jour, il est impensable pour nous de rester en retrait. Notre statut est devenu caduc, et nous demandons sa révision. Nous sommes pleinement engagés dans cette dynamique. Par ailleurs, ce dossier est également intégré au pacte de stabilité qui doit être signé prochainement. Ce pacte, validé lors de la dernière rencontre, stipule clairement que la révision du statut particulier de l’éducation est une condition essentielle. Voilà pourquoi cette question est au cœur de nos préoccupations.

Qu’est-ce que la signature de ce nouveau statut changerait pour les enseignants ?

C’est fondamental. Ce statut définit le plan de carrière des enseignants, il encadre toutes les rémunérations, les primes, les indemnités. Il permet d’améliorer les conditions de travail et de revaloriser la profession. Grâce à lui, les grades et les échelons peuvent évoluer en fonction de l’ancienneté et des qualifications. C’est donc un outil de motivation et de justice sociale pour tous les enseignants. Le statut est vraiment capital.

Vous avez aussi parlé du recrutement des enseignants contractuels de Conakry et des non-retenus. Quelle est leur particularité ?

Il faut savoir qu’il y a un déficit d’enseignants à Conakry. Depuis 2018, ces enseignants contractuels sont en classe, ils assurent les cours. Leur situation a été soulevée lors des négociations de 2023. On nous avait alors répondu que l’État commencerait par recruter les enseignants de l’intérieur du pays, avant de s’occuper de ceux de Conakry. Mais, contre toute attente, certains syndicalistes ont signé un protocole additionnel. Celui-ci a permis le lancement d’un concours, à l’issue duquel seuls 10 000 enseignants ont été retenus. Pourtant, l’accord initial prévoyait que tous les enseignants en situation de classe, qu’ils soient à Conakry ou à l’intérieur, soient intégrés dans la fonction publique s’ils répondaient aux critères.

Personnellement, j’ai été surpris par cette signature unilatérale. Oui, nous étions d’accord pour un concours – car c’est un passage obligatoire pour entrer dans la fonction publique – mais nous avions demandé qu’il tienne compte de la réalité du terrain : tous ceux qui enseignent effectivement devaient être pris en compte. Aujourd’hui encore, malgré l’intégration de plus de 12 000 enseignants contractuels, le manque d’enseignants persiste, aussi bien à Conakry qu’à l’intérieur du pays. C’est pourquoi nous demandons que ces enseignants toujours en classe soient intégrés.

Espérez-vous que les revendications salariales soient satisfaites avant la fin de l’année ?

Nous avons clairement exprimé nos attentes, et les autorités, y compris le ministre lui-même, nous ont assurés qu’elles seront prises en compte. Ils ont pris acte de nos préoccupations et se sont engagés à tout mettre en œuvre pour y répondre. Nous croyons en leur parole, car jusqu’à présent, ils ont respecté leurs engagements. Et si, un jour, ce n’était plus le cas, nous avons toujours notre ultime recours : le droit de grève. Mais avec ce régime, nous n’avons jamais eu besoin de l’utiliser. Ils ne nous ont jamais poussés à cette extrémité, car ils ont toujours su écouter. Et à voir les premières dispositions déjà prises, nous restons confiants quant à la satisfaction prochaine de nos revendications.

Certains critiquent la posture des enseignants qui, cette fois-ci, ont affiché leur soutien au pouvoir en place. Que répondez-vous à ces critiques ?

Vous savez, entre le syndicalisme et la politique, il n’y a qu’un fil. Mais nous, au SLECG, nous ne nous sommes jamais impliqués politiquement. Depuis l’avènement du pluralisme syndical sous la Deuxième République, nous avons toujours été des syndicats libres, sans affiliation politique. Que ce soit sous le régime du Général Conté ou sous celui du président Alpha Condé, nous n’avons jamais soutenu un pouvoir par principe. Ce n’est qu’après analyse objective des faits que nous agissons. Par exemple, sous ce régime nous étions au Palais du peuple avec tous les enseignants, non pas pour soutenir un régime, mais parce que nous avons constaté que ce gouvernement s’était montré plus ouvert au dialogue avec les travailleurs que les précédents.

Depuis 2022, nous avons engagé des négociations annuelles avec ce gouvernement. Et les résultats sont là : des problèmes restés longtemps en suspens trouvent peu à peu des solutions. Des salles de classe ont été construites, ce qui a permis de désengorger les établissements, et d’améliorer les conditions d’enseignement et d’apprentissage. Le syndicalisme, c’est avant tout le dialogue. Et depuis leur arrivée, ce gouvernement n’a jamais fermé la porte aux discussions. À chaque problème, nous avons été conviés à la table des négociations, et cela a souvent abouti à des solutions concrètes. C’est donc en toute logique que nous avons décidé, enseignants et syndicats, de soutenir ce gouvernement. Pourquoi ? Parce que c’est notre employeur, et s’il répond à nos revendications, il est normal de le reconnaître. Ce n’est pas un soutien politique, c’est un soutien fondé sur des résultats tangibles.

Mais certains estiment que cela ternit l’image de l’enseignant, censé rester neutre. Qu’en pensez-vous ?

Chacun est libre de son interprétation, et nous respectons les critiques. Mais la réalité, c’est que ce régime nous tend la main. Il dialogue, il écoute, il agit. À l’inverse, souvenez-vous du gouvernement précédent. En 2018, le Premier ministre de l’époque avait dit clairement qu’il n’y aurait pas d’augmentation salariale en 2018, ni en 2019, ni en 2020. Et malgré nos revendications légitimes, ils ont bloqué nos salaires. Certains de nos camarades en sont morts, d’autres ont vu leur vie familiale disloquée.

Dans ce contexte, il est évident que nous ne pouvions pas soutenir un régime qui refusait toute écoute, toute négociation. Nous ne sommes pas des ennemis des gouvernements, ce sont nos partenaires. Ils sont nos employeurs. Et tant qu’ils répondent à nos revendications, nous les soutenons.

Nous sommes un syndicat de participation, pas un syndicat d’opposition. Nous travaillons à contribuer au développement économique et social du pays. Nous ne sommes pas manipulables, ni par les partis, ni par les idéologies. Nous sommes des intellectuels. Nous savons analyser les situations. Ce régime répond à nos attentes ? Alors oui, nous le soutenons. Voilà la vérité. 

Est-ce que vous ne craignez pas qu’on vous accuse d’avoir politisé l’éducation ?

Non, en aucun cas. Nous n’avons jamais politisé l’éducation. Ce sont plutôt d’autres organisations qui l’ont fait, en nommant à des postes de responsabilité des personnes issues de partis politiques. Nous, nous ne sommes affiliés à aucun parti. Personnellement, je ne milite dans aucune formation politique. Ma seule mission, c’est de défendre les travailleurs. C’est là ma vocation. Je ne me bats ni pour des intérêts politiques ni personnels, mais pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, en particulier des enseignants. Si un régime facilite ce combat, sans poser d’obstacles, alors je le soutiendrai. Ce que nous recherchons, c’est l’amélioration de la situation des travailleurs. Point.

Un vote pour Doumbouya ?

Non, ce n’est pas ce que nous avons dit. Nous ne sommes pas dans une phase électorale, et nous n’avons appelé personne à voter pour qui que ce soit. Ce que nous avons fait, c’est reconnaître les acquis de ce gouvernement en matière d’éducation. C’est cela que nous avons magnifié et célébré. Si certains enseignants, en leur âme et conscience, estiment que ce régime leur a été favorable, ils sont libres de leur choix. Mais nous n’avons jamais dit : « Votez pour Mamadi Doumbouya. » Nous avons simplement salué ce qui a été accompli dans le secteur de l’éducation. C’est tout.

Certains disent que vous aviez la mine fermée ce jour-là dans la salle. Étiez-vous mécontent ?

Je ne comprends pas bien cette remarque. Moi, avoir la mine serrée ? Non. C’est peut-être ma nature, mon apparence. Parfois, je suis comme ça. Mais si j’étais vraiment contrarié, je ne me serais pas levé pour danser. Ce jour-là, j’ai dansé avec ma collègue Kadiatou Bah, secrétaire générale du SLECG, et tout le monde nous a vus. Nous avons célébré les acquis. Personne ne m’a obligé à être là, personne ne peut me forcer à faire quelque chose que je ne veux pas faire. Je respecte les principes fondamentaux du syndicalisme. J’ai décidé de venir de mon propre chef, pour reconnaître ce qui a été accompli. Ce n’est pas mon genre de venir quelque part et de faire la tête. Encore une fois, c’est juste ma façon d’être.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 25 avril 2025 12:30

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