Pénurie de ciment en Guinée: un patron d’usine brise le silence (interview)

CONAKRY – Depuis plusieurs jours, un manque criant de ciment perturbe les activités du secteur BTP en Guinée, notamment à Conakry. Des magasins sont vides, des chantiers tournent au ralenti, et de nombreux ouvriers se retrouvent temporairement sans emploi. Pour comprendre les causes de cette pénurie, Africaguinee.com est allé à la rencontre d’El Hadj Mamadou Bailo Sow, responsable de l’usine « Syli Ciment », ce vendredi 30 mai 2025. Dans cet entretien, il revient sur les origines de la crise et propose des pistes de solution. Exclusif. 

AFRICAGUINEE.COM : Depuis plusieurs semaines, le ciment manque dans le pays. En tant que responsable d’une usine de ciment, quelle est la cause de cette crise ?

ELHADJ BAILO SOW : La crise est due à une augmentation du prix du clinker à l’international. Comme vous le savez, les États-Unis ont levé l’embargo contre la Syrie, et la reconstruction du pays a été lancée. En raison de ce vaste chantier, les usines de clinker, notamment celles installées en Algérie, ciblent désormais le marché syrien. Or, ce sont ces mêmes usines qui ravitaillent le marché africain. C’est la première raison.

La deuxième raison, c’est qu’en raison de la forte augmentation de la demande, l’Algérie affirme qu’elle ne peut plus recevoir autant de bateaux. Actuellement, il y a un embouteillage au niveau des côtes algériennes, alors que l’Algérie est le principal fournisseur de clinker pour la République de Guinée.

Nous, personnellement, n’avions pas de contrat ferme de fourniture de clinker avec des entreprises, parce qu’on avait constaté qu’à un certain moment, les prix ne cessaient de baisser presque chaque jour. C’était un avantage, mais comme nous n’avions pas de contrat ferme, la plupart de nos fournisseurs se sont tournés vers d’autres marchés. Nous étions donc à la recherche de nouveaux fournisseurs. Heureusement, nous en avons trouvé. Notre bateau doit arriver le 4 juin prochain. Si ce délai est respecté, la production dans notre usine reprendra entre le 5 et le 10 juin.

Quand nous avons manqué de clinker, Wining et les grandes entreprises chinoises, dont nous sommes le principal fournisseur, se sont tournées vers d’autres usines. Celles-ci, pour fidéliser ces clients et les encourager, se sont surtout concentrées sur le projet de Wining, celui du port, etc. C’est donc ce qui a entraîné cette crise dans notre pays.

Si cette crise perdure dans notre pays, le pire n’est-il pas à craindre ?

Il faut retenir une chose : si l’État ne prend pas de dispositions, s’il n’exige pas de toutes les usines une augmentation de leur capacité de production, la crise va persister, elle va demeurer.

Nous, on avait vu cette crise venir. De 2015 à 2018, on a été le plus grand distributeur de ciment en République de Guinée, grâce à CIMAF, Diamond et Ciment de Guinée. Donc, nous connaissons tous les problèmes. En 2018, j’ai voulu lancer Syli Ciment ; les autres usines s’y sont opposées. Leurs promoteurs ont formé un bloc pour dire que si une nouvelle usine voyait le jour dans ce pays, ils couraient le risque de perdre leur marché. Ils ne voyaient pas ce qui était en train d’arriver.

Donc, si on n’avait pas lancé notre usine, on aurait vécu le pire en Guinée. Ceux qui pensent que sans Wining, il ne peut pas y avoir un marché aussi important se trompent. Après la construction de Simandou, toutes les recettes que la Guinée obtiendra serviront à financer des infrastructures. La Guinée est un pays vierge. Tout ce que vous voyez ici, ce sont des maisons datant de la période coloniale. Il faut tout démolir et reconstruire. Cela demande beaucoup de ciment.

Il y a deux ans, nous avons introduit une demande de construction d’une usine de clinker pour rendre la Guinée autonome. Il y a deux ans déjà, une crise similaire à celle d’aujourd’hui avait secoué le marché. L’Algérie en a pris conscience et a cherché, puis obtenu les financements nécessaires auprès d’autres pays arabes. Aujourd’hui, il y a plus de dix usines de clinker en Algérie, mais elles sont incapables de satisfaire à la fois le marché africain et celui du Moyen-Orient.

La première chose que doivent faire les autorités, c’est d’imposer à toutes les usines d’augmenter leur capacité de production. La crise actuelle va durer presque jusqu’en décembre. Même si la production reprend tout de suite, la situation ne va pas se régler immédiatement, car il y a un retard à rattraper sur plusieurs chantiers. Et parallèlement, de nouveaux chantiers s’ouvrent, ce qui accroît encore la demande.

Pour notre projet, nous avons construit une centrale à béton d’une capacité d’environ 580 m³/heure, soit environ 5 000 m³/jour. Et pour produire 5 000 m³/jour, il faut au minimum 2 000 tonnes de ciment. Nous serons donc presque autonomes pour notre propre chantier, parce que nous avons l’usine. Mais nous ne pourrons pas satisfaire toute la demande nationale. Il faut donc impérativement une augmentation des capacités de production dans les autres usines. L’État doit encourager cela.

Deuxièmement, l’État doit nous autoriser à construire l’usine de clinker dans les plus brefs délais. Sinon, dans deux ou trois ans, il sera très difficile de trouver du clinker. Et sans clinker, on ne peut pas produire de ciment.

Demain, les recettes issues de Simandou serviront à construire des infrastructures à travers tout le pays. Aujourd’hui, entre Conakry et Kankan, ce ne sont que de petites routes de 10 mètres de largeur. Pour construire des autoroutes de 40 mètres, à l’image des autres pays, il faut du ciment. Les usines actuelles rendent service, certes, mais elles ne pourront pas satisfaire toute la demande. Si elles n’augmentent pas leur production, demain, le ciment manquera et son prix augmentera.

Selon vous, la faute vient de qui dans cette crise du ciment, et que doivent faire les autorités pour la résoudre définitivement et prévenir d’éventuelles récidives ?

ELHADJ BAILO SOW patron de Syli Ciment

La faute vient de nous. Aujourd’hui, les autorités, sur ce plan, n’ont qu’à prendre des dispositions pour permettre aux Guinéens d’avoir du ciment à moindre coût. Et pour cela, il faut impérativement qu’elles autorisent la construction d’usines de clinker.

On a du clinker à Mali. La qualité est bonne. Des études que nous avons menées ont prouvé qu’il y a du calcaire de très bonne qualité à Mali, suffisant pour produire du clinker. Il y en a également à Tougué et à Siguiri.

Aujourd’hui, pour exploiter Simandou, on a construit 600 kilomètres de rails. Donc, s’il y a du calcaire à Mali qui peut servir à fabriquer du clinker, rien n’empêche les investisseurs de désenclaver cette zone, en y construisant de bonnes routes et d’excellents chemins de fer. Parce que ce qu’il faut retenir, c’est que le clinker est plus important que la bauxite.

Aujourd’hui, l’homme le plus riche d’Afrique a fait fortune dans le ciment. L’Afrique ne produira rien, ne construira rien, si rien n’est fait dans ce domaine. Nous devons d’abord réaliser que nous n’avons encore rien fait dans notre pays. Tout est à refaire.

Depuis l’avènement du Général [Doumbouya], il est en train de reprendre des routes qu’on considérait pourtant bien faites. Il nous faut des autoroutes un peu partout, pour relier toutes les villes. Tout cela demande du ciment. Il faut construire des logements sociaux.

Le gap en Guinée est de 1,5 million de logements. Cela signifie qu’il faut construire, en priorité, 1,5 million d’habitations. Ça représente combien de millions de tonnes de ciment ? Et si on comble ce gap, il faudra ensuite construire 50 000 logements chaque année. Tout cela, c’est du ciment !

La plupart des maisons qu’on construit à l’intérieur du pays aujourd’hui ne répondent pas aux normes. Il faudra les casser après.

 

Entretien réalisé par Mamadou Yaya Bah

Pour Africaguinee.com

Créé le 31 mai 2025 15:00

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