Mohamed Tall, ancien ministre : « Alpha Condé doit se raviser… » (Interview)

Mohamed Tall

CONAKRY- Mohamed Tall, l’ancien ministre de l’Elevage vient de lancer un appel au Président Alpha Condé. Le directeur de Cabinet de l’opposant Sidya Touré, président de l’UFR,  appelle le Chef de l’Etat à se raviser sur la question du troisième mandat, avant qu’il ne soit trop tard. Dans cette interview, l’ex-ministre de l’Elevage s’est aussi exprimé sur les manifestations qui secouent la Haute Guinée, fief traditionnel du parti au Pouvoir. Selon lui, celles-ci témoignent l’échec de la gouvernance d’Alpha Condé. D’autres sujets d’actualité relatifs notamment, à la nomination de dame Aissata Daffé,  de la lutte du FNDC mais également de l’élection présidentielle ont été abordés dans cet entretien.

AFRICAGUINEE.COM : La région de la Haute Guinée est secouée par des manifestations contre le manque de courant. Comment vous expliquez cette situation ?

MOHAMED TALL : La Haute Guinée, c’est la base ou le fief traditionnel du RPG Arc-en-ciel. C’est-à-dire pendant les 20 années de combat d’Alpha Condé dans l’opposition, c’est la zone de la Guinée qui s’est le plus battue pour lui et a consenti le plus de sacrifices. Ce sont des gens qui ont été tués, emprisonnés et qui ont perdu des biens pour que le Professeur Alpha Condé accède au pouvoir. Depuis dix ans, ils ont été déçus parce qu’ils ont fait le constat comme tout un chacun, de l’échec lamentable de la gouvernance d’Alpha Condé. Une gouvernance basée sur le mensonge, sur la corruption et la répression. En revanche, les problèmes auxquels est confrontée la population sont les mêmes que dans les autres zones du pays. Il y a une prise de conscience au niveau de cette jeunesse. Et cette prise de conscience intervient au moment où le président s’apprête à briguer un troisième mandat. Donc au-delà de ces revendications formelles exprimées par la jeunesse à savoir : le manque d’eau, de courant, il y a beaucoup d’autres problèmes. Il n’y a pas de routes non plus, pas d’hôpitaux, pas d’écoles. Les gens n’ont pas d’emplois. Les problèmes sont entiers. Surtout derrière ça, il y a le rejet total du Pr Alpha Condé, il y a  une opposition très forte à son idée de troisième mandat. Ce qui se passe en Haute Guinée  traduit simplement l’échec total du système d’Alpha Condé qui est rejeté par l’ensemble des guinéens.

Parmi les manifestants certains ont scandé « non au troisième mandat ». Le FNDC compte-t-il jouer sur cette fibre afin que ces jeunes rejoignent votre mouvement ?

Le FNDC n’est pas un mouvement politique, c’est un mouvement citoyen qui vise à faire respecter les règles démocratiques, à commencer par le respect de la Constitution. Mais derrière le respect de la constitution, la volonté du FNDC est de normaliser notre pays. De faire en sorte que notre pays fonctionne un peu comme les autres pays. C’est-à-dire un pays où il y a le respect des règles et de la constitution, où on aura une administration capable d’impulser le développement économique, où de par l’organisation administrative, la Guinée deviendra un pays attractif pour les investissements. C’est de cela qu’il s’agit. Donc, la finalité de tout ça, c’est d’améliorer les conditions de vie des guinéens. Ce qui se passe en Haute Guinée,  ce n’est pas d’ordre politique même si au centre de tout cela,  il y a l’affaire de troisième mandat que personne ne veut. Mais les revendications fondamentales sont d’ordre social. Il s’agit d’améliorer les conditions de vie nos compatriotes. Lorsque vous allez en Haute Guinée, c’est la misère absolue pour des gens qui ont fait tant d’efforts. Cette déception, on la comprend et on la partage largement. Ce n’est pas qu’en Haute Guinée, que ça soit en basse Guinée ou en forêt ou la moyenne Guinée c’est la même histoire. Donc le Président Alpha Condé doit se raviser. Et j’ai peur que ça ne soit trop tard. Aujourd’hui, ce n’est pas une affaire d’opposition, c’est un combat citoyen qui se généralise.

Sur le terrain des opérations de maintien d’ordre, on a vu des bérets rouges qui ont été appelés en renforts à Kankan. Qu’est-que ce la traduit selon vous ?

Nous sommes confrontés dans le cadre des manifestations du FNDC depuis le mois d’octobre 2019 à une répression sauvage. Il y a eu beaucoup de tueries, les forces de l’ordre pourchassent les manifestants jusque dans les quartiers et dans les maisons pour les assassiner. Le caractère répressif de ce ré­gime ne fait l’objet d’aucun doute, ça s’est confirmé et aggravé ces derniers mois. Pour une manifestation de l’ envergure  de celle qu’on a connue à Kankan, je trouve regrettable qu’on ait eu à faire recours à l’armée. Ce n’est pas le rôle de l’armée que d’intervenir dans ce genre de situation. On serait bien heureux que l’armée puisse sécuriser notre territoire national. L’armée n’est pas là pour le maintien de l’ordre à l’intérieur du pays. C’est la preuve que lorsqu’ils sont acculés, ce sont des gens capables de monter d’un cran dans la répression. Ceci étant dit, je dois remarquer que dans l’ensemble des régions, on a assisté à des répressions sanglantes qui ont entrainé des morts. S’agissant des mouvements qui commencent en Haute Guinée, heureusement pour le moment, nous n’avons pas enregistré de morts, mais nous constatons que la tension s’aggravant, des dispositions se renforcent en vue d’une véritable répression. Est-ce qu’on doit comprendre par-là que le président Alpha Condé et son clan sont prêts à faire également couler le sang dans cette zone du pays ? L’avenir nous le dira. Parce que je crois savoir que les manifestations qui ont commencé ne vont pas s’arrêter aussitôt.

Certains responsables du RPG accusent l’opposition d’avoir manipulé ces jeunes. Que répondez-vous ?

Ce n’est pas la première fois, c’est la méthode communiste de ce régime. C’est un régime qui ne règle absolument aucun problème et qui ne veut pas non plus de mouvements de revendications par les populations. Quand il y a des mouvements de revendication, tout de suite, il faut trouver un bouc émissaire. C’est la pratique bien connue de ce système. Ils sont là, ils ont des positions de responsabilité et les moyens de l’Etat, c’est à eux de résoudre les problèmes mais ils ne le font pas.  Ils parlent comme s’ils ne sont pas responsables de ces problèmes qu’ils sont incapables de résoudre, c’est toujours les autres. Vraiment, les populations en ont marre de toutes ces promesses non tenues. C’est une rupture de confiance entre les populations et le pouvoir. C’est pour tout cela qu’ il faut changer ce régime.

Comment avez-vous accueilli la nomination de Madame Aissata Daffé au poste de DGA de l’ANIES ?

Il faut rester assez raisonnable. C’est vrai qu’il y a eu quelques défections, j’en connais trois au niveau de l’UFR.  Je voudrais rappeler qu’à l’approche de chaque échéance électorale, l’UFR fait l’objet d’acharnement. Des milliards sont débloqués pour tenter de débaucher des militants et responsables du parti. Ça traduit le danger et la menace que représente l’UFR pour le pouvoir d’Alpha Condé. Il est conscient que l’UFR est l’alternative crédible à son pouvoir. L’UFR est le parti qui peut rassembler et ratisser large, c’est pourquoi il y a cet acharnement.  En ce qui concerne la nomination de Madame Daffé, je n’ai pas grand-chose à dire. J’ai été surpris comme beaucoup d’autres par cette nomination.  Si elle décide de tourner la page après tant d’années d’engagement et de combat politique, je n’ai rien à dire par rapport à cela. Elle a été nommée directrice générale adjointe, je pensais qu’elle valait mieux que ça. Mais si elle estime que c’est sa vraie valeur, je crois qu’il faut tourner la page et regarder l’avenir.

Madame Daffé qui était perçue comme une dame de poigne avec de fortes convictions n’est pas la première à avoir quitté le navire UFR. Face à ces démissions ou débauchage répétés, certains s’interrogent sur le leadership de Monsieur Sidya Touré quant sa capacité à pouvoir  garder ses cadres. Qu’en dites-vous ?

Non, le leadership de Sidya Touré est un leadership éclairé et fort. C’est quelqu’un qui communique énormément avec ses collègues. L’UFR est un parti très ouvert et il suffit de voir un peu comment les débats se déroulent lors des différentes réunions pour s’en convaincre. Le problème n’est pas de ce côté-là.  Le problème  se trouve au niveau des besoins, prétentions et ambitions des uns et des autres. Alpha Condé a de manière délibérée ou non créé une situation de paupérisation généralisée.  Il a plongé tout le monde dans la misère absolue. Et cette misère progressant, les gens deviennent de plus en plus vulnérables économiquement. C’est dans cette situation qu’il débloque des milliards pour essayer d’acheter des consciences ou  débaucher des responsables. Comme l’a dit un responsable de l’UFR, c’est une situation qui n’est pas facile certes, mais seuls les plus forts résisteront. Ceux qui sont faibles iront à la soupe. C’est bien normal.

Ne peut-on pas dire aujourd’hui que l’UFR est  victime de son inconstance ?

L’UFR n’est victime de rien du tout. L’UFR est victime peut-être de son succès. Si on ne représentait rien comme le prétendent certains, à mon avis on n’aurait pas fait l’objet de tant d’acharnement. S’il y a autant d’acharnement spécifiquement à l’approche de l’élection présidentielle, c’est parce que nous sommes la principale préoccupation pour le pouvoir en place. Ceux qui sont partis pour la plupart sont venus récemment et sont repartis comme ils sont venus. C’est-à-dire tout seul. Donc ça n’affecte pas réellement le fonctionnement du parti et ça ne déstabilise nullement les structures du parti. C’est vrai en ce qui concerne Madame Daffé, c’est assez regrettable. C’est la seule parmi les partants qui peut se prévaloir d’un vrai parcours de combat au sein de l’UFR.

Madame Daffé réclame toujours son appartenance de l’UFR. Comment comprendre cette contradiction ? Sera-t-elle exclue du parti ou pas ?

Les concertations sont en cours et une décision sera prise à cet égard. Mais c’est une position difficilement compréhensible dans la mesure où on ne peut pas aller à gauche et se revendiquer de droite.  Il faut choisir à un moment donné.

Pourtant l’UFR a eu à défendre cette tendance après son rapprochement avec le pouvoir d’Alpha Condé en 2015. Peut-on dans ce cas blâmer dame Aissata Daffé ?

L’UFR est un parti, ce n’est pas un avis individuel qui a été exprimé. C’est un positionnement politique qu’on a eu à la suite d’un débat organisé à l’interne. Tout le monde s’est exprimé et le parti a décidé de faire ce qu’il a fait. C’est différent d’une décision unilatérale qu’on prendrait en contradiction avec les lignes ou la conduite du parti. Il ne faut pas confondre une décision d’un parti politique avec une décision unilatérale qui est en contradiction avec les orientations du parti.

Comment expliquez-vous la faible mobilisation des citoyens lors de la dernière manifestation appelée par le FNDC ?

D’abord, il ne faut pas minimiser ce qui s’est passé. La ville n’a pas fonctionner normalement et les choses étaient largement perturbées. En plus on sort d’une trêve de plus de trois mois. Ce n’est qu’une reprise peut-être qu’il ne faudrait pas aller trop vite en besogne. Il y a certainement des petits réglages à faire pour retrouver nos performances ou  l’intensité de nos manifestations passées.  Mais le combat continue au sein du FNDC, nous ne baisserons pas les bras, loin sans faut, nous sommes plus que jamais déterminés et nous sommes convaincus de notre victoire finale. Nous allons nous retrouver pour programmer les actions à venir.  

L’élection présidentielle approche à grand-pas. Se dirige-t-on vers un boycott de ce scrutin par l’opposition ?

Nos positions sont très claires. Nous sommes dans une situation inimaginable, incompréhensible. Nous sommes dans une situation de non droit aujourd’hui, avec cette histoire de falsification de la constitution. La Guinée se retrouve sans repère constitutionnel et institutionnel.  Nous contestons le référendum du 22 mars et les institutions qui en découlent. Donc pour la présidentielle, il va de soi que nous ne reconnaitrons pas à Alpha Condé le droit de se représenter.  C’est la première des conditions. Il faut qu’Alpha Condé soit absolument hors-jeu. pour que nous participions à une élection, il faut réviser le fichier afin qu’il reflète les réalités du corps électoral. Ça également c’est l’une des conditions. Le referendum et les institutions qui en découlent, les législatives doivent être annulées. Nous demandons l’annulation du double scrutin.

Au-delà de ça, nous sommes prêts naturellement à participer à un dialogue qui permettrait d’aller dans les détails des préparatifs de l’élection présidentielle. Nous ne pouvons pas participer à une élection où le Président bien qu’il n’ait pas le droit d’être candidat, sera juge et partie. Il est à la fois le Chef de la Cour Constitutionnelle et de la CENI. C’est lui qui fixe toutes les règles. A quoi bon d’aller à une telle élection ? Sans compter cette force de répression qu’il utilise abusivement. Vous comprendrez que nous ne soyons pas disposés à cautionner une nouvelle farce électorale.

Quel est votre dernier message ?

Mon dernier mot, c’est de dire aux guinéens de se mobiliser parce qu’au-delà de l’élection présidentielle, il s’agit de notre survie collective car notre pays est en danger. Il faut sauver notre pays. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une situation où les tensions intercommunautaires sont ravivées tous les jours. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans un pays où les citoyens n’ont aucun droit. Ce n’est pas possible de continuer comme ça. Nous ne pouvons pas continuer  à vivre dans une situation où tous les jours nous devenons un peu  plus pauvres. Nous ne pouvons pas tolérer, accepter et imaginer qu’un régime qui a créé et qui s’est rendu responsable de tous ces maux veuille nous maintenir dans cette situation qui ressemble à de l’esclavage. Nous allons combattre cela,  et ensemble nous vaincrons.

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 655 311 112

Créé le 27 juillet 2020 11:29

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