Me Pépé Antoine Lamah : « Le CNRD est en train de rattraper les bavures du régime d’Alpha Condé »

CONAKRY -Reconnue coupable d’une série de violations des droits de l’Homme au préjudice de plusieurs membres du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), mouvement farouchement opposé au troisième mandat d’Alpha Condé, la République de Guinée a été condamnée à verser une indemnisation de 5 millions de francs CFA à chacun des plaignants. L’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a été rendu le 17 mars 2025. Comment en est-on arrivé là ? Dans cet entretien, Maître Pépé Antoine Lamah apporte des précisions.
Africaguinee.com : L’État guinéen vient d’être condamné par la Cour de justice de la CEDEAO. Comment en est-on arrivé là, Maître ?
Me PÉPÉ ANTOINE LAMAH : Tout est parti des premières arrestations dans la lutte contre le troisième mandat. Abdourahmane Sano, Sékou Koundouno, Oumar Sylla dit Foniké Menguè, Ibrahima Khalil Keïta, Abdoulaye Oumou Sow, Baïlo « Destin en Main », et tant d’autres avaient été arrêtés, placés sous mandat de dépôt au parquet du Tribunal de Première Instance de Dixinn, jugés et condamnés.
Par la suite, ils ont obtenu une liberté provisoire en appel. Badra Koné, quant à lui, avait été arrêté à son domicile de manière musclée par des éléments de la Gendarmerie nationale. Même les chambres à coucher n’ont pas été épargnées. Les gaz lacrymogènes ont envahi la concession familiale des Koné.
Nous avons donc porté deux actions distinctes devant la Cour de justice de la CEDEAO : une plainte au nom d’Abdourahmane Sano et Cie, et une autre au nom de Badra Koné. Finalement, la Cour a joint les deux procédures et a rendu son verdict. Par exemple, dans le cas de Badra Koné, en plus des violations des droits de l’Homme communes aux autres (liberté d’expression, liberté individuelle, liberté d’opinion, liberté de manifester), il y avait aussi la violation de domicile, car les forces de l’ordre avaient accédé à son domicile de manière violente. Cette violation a été mise à la charge de la République de Guinée.
Conséquemment, la Guinée a été condamnée à verser à chacun des plaignants la somme de 5 millions de francs CFA.
Cette décision est-elle susceptible de faire l’objet d’un appel ?
Non, il n’y a pas d’appel. Ce sont des décisions exécutoires rendues contradictoirement. L’État guinéen était représenté par un avocat, Maître Joseph Loua, qui gère aujourd’hui le cabinet de Maître Joachim Bilimou. Ce dernier était l’avocat constitué par l’État à l’époque avant de devenir juge à la Cour commune de justice et d’arbitrage de la CEDEAO.
L’État a donc déposé des arguments en défense, mais la Cour a rendu son arrêt de manière contradictoire. Ce n’est pas une décision prise sur une simple plainte.
On observe souvent des difficultés dans l’application des décisions condamnant l’État guinéen. Pourquoi, selon vous ?
Peut-être que certaines informations ne vous parviennent pas. L’État guinéen exécute parfois les décisions. Par exemple, dans le dossier Cissé Fanta, l’État a payé.
Ce que nous cherchions avant tout dans cette affaire, c’est une question d’honneur. La Cour de justice de la CEDEAO vient de valider la légitimité du combat mené par mes clients. Ce n’est pas une question d’argent. Même si on leur avait attribué un franc symbolique, le simple fait qu’une instance internationale reconnaisse, cinq ans plus tard, que leur lutte n’était ni sauvage ni désordonnée, mais bien un combat légitime, constitue une grande victoire.
Ce verdict réhabilite mes clients. On les avait traités comme des bandits et des délinquants. Aujourd’hui, la justice internationale reconnaît qu’ils étaient des patriotes menant un combat de valeurs. Cela vaut bien plus que l’argent.
Certains des bénéficiaires de cette condamnation occupent aujourd’hui des postes de responsabilité sous le régime du CNRD. Que répondez-vous à ceux qui y voient une contradiction ?
L’État est une continuité. Le CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement) est en train de rattraper les bavures du régime d’Alpha Condé. Malheureusement, si un paiement doit avoir lieu, c’est le même État qui s’en acquittera.
Certains estiment paradoxal que vos clients soient aujourd’hui dans l’appareil d’État, alors que ce régime est à son tour accusé de violations des droits de l’Homme. N’est-ce pas une incohérence ?
Le problème n’est pas là. Nous jugeons une affaire qui s’est déroulée en 2019, deux ans avant le coup d’État. Il ne faut pas tout mélanger.
Ceux qui occupent aujourd’hui des postes de responsabilité l’ont sans doute obtenu en reconnaissance des combats qu’ils ont menés avant le 5 septembre 2021. Ce ne sont pas des criminels. Ce sont des citoyens guinéens qui ont le droit d’être nommés ou élus. Leur accession à des fonctions publiques ne constitue ni un crime ni une contradiction.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com